Lyon De notre correspondant Pour ce projet difficile de faire revivre les moines de Tibhirine, le cinéaste Xavier Beauvois, et son scénariste Etienne Comar, ont choisi un angle consensuel qui ne risquera pas de créer la polémique, mais plutôt la compassion. Ils y ont réussi en donnant un film profond et humaniste. Gommant tous les aspects litigieux, et particulièrement les conditions de leur assassinat qui ont alimenté la chronique ces derniers temps, ils se sont concentrés sur les derniers mois de la vie des religieux. Alors que la violence gagne du terrain, les moines se posaient de légitimes questions sur les raisons de leur présence, et ils s'interrogeaient sur l'opportunité de se mettre à l'abri. Dès lors, le public français, chrétien de préférence, sera sensible à l'indéniable dimension spirituelle qui parle aussi au musulman et à n'importe quel humain de conviction sincère. Les yeux vers les souffrances de leur Seigneur Jésus-Christ qui, selon les chrétiens a donné sa vie pour sauver l'humanité, les moines trappistes ne pouvaient que se sentir petits, le disciple n'étant pas supérieur à son maître. C'est ce que confie l'un des moines. Pourtant le doute broie ces individus qui se questionnent bien évidemment sur l'intérêt d'un martyr de plus. Le cinéaste filme ce désarroi avec justesse, instruit qu'il l'a été par les courriers laissés par les moines, et les témoignages des familles consultées au moment de la préparation du film. Il fait dire à l'un des religieux, une sentence qu'on ne peut inventer : «je ne suis pas venu ici pour participer à un suicide collectif». Face à cette force de vie, transcrite avec lucidité, un autre moine rétorque : «Peut-on abandonner un peuple dans la détresse et qui souffre plus que nous ?» Et une femme algérienne dans le village explique aux moines qu'ils sont «comme la branche pour un oiseau.» «Après votre départ, où se posera-t-on». Les comédiens du film sont entrés jusqu'à la perfection dans la peau de leurs personnages, jusqu'à les faire revivre. Il faut les citer : Lambert Wilson qui joue le supérieur Christian de Chergé, Michael Lonsdale (Luc) Olivier Rabourdin (Christophe) Philippe Laudenbach (Célestin) Jacques Herlin (un Amédée plus vrai que nature !) Loïc Pichon (Jean-Pierre) Xavier Maly (Michel), Jean-Marie Frin (Paul). Pourtant le film pêche par un certain nombre de manques. D'abord, son tournage au Maroc. Les paysages proches du monastère de l'Atlas marocain à Midelt, et les habits des figurants, et particulièrement des femmes et des enfants, ne sont pas ceux de l'Algérie. Le cinéaste a tout fait pour atténuer cette difficulté, jusqu'à travailler les expressions en arabe pour qu'elles sonnent «algérien», mais cela n'y suffit pas. Sur le plan du récit d'autre part, Xavier Beauvois a tout simplement supprimé le mot de Tibhirine, que l'on n'entend à aucun moment. Enfin, plus grave, rien n'est dit sur les autres religieux assassinés, dont certains fréquentaient régulièrement le monastère, «poumon spirituel». Entre mai 1994 et mars 1996, 11 religieuses et religieux chrétiens sont morts, dont les quatre pères blancs de Tizi Ouzou, après le détournement de l'Airbus d'Air France, à la fin 1994. Cela n'est pas neutre car ces morts conditionnent bien sûr les questionnements des moines sur leur départ éventuel. Cependant, en dépit de ces défauts, avec des prix aussi avantageux pour le succès que le Prix œcuménique, ou encore celui de l'Education nationale, tout est paré pour que le film cartonne. Sur les écrans commerciaux, mais aussi dans les cadres plus informels que sont les écoles, les associations cultuelles et autres, où le film, suivi de débats, attirera un public avide d'échanges. Avant la sortie officielle sur les écrans français, le 8 septembre prochain, plusieurs rencontres de ce type sont annoncées, particulièrement à Paris et Lyon. Enfin, le grand prix du festival de cinéma de Cannes, décroché en mai dernier, sera là pour pousser les plus réticents à faire le déplacement vers les salles obscures. Et le moins qu'on puisse dire c'est que ça marche déjà. Dès la première projection publique, le 15 août (fête catholique de l'Assomption vouée à la Vierge Marie), à Lalouvesc, en Ardèche, le monde se pressait, comme à Cavaillon (Vaucluse) le 26 août. A guichets fermés, la salle a dû refuser des spectateurs. L'émotion suscitée par la mort de ces hommes de religion, n'est pas retombée. « L'émotion, cela ne se décrète pas », disait en juin 1996 l'évêque d'Oran, Pierre Claverie, à un journaliste qui s'étonnait de l'émoi public relayé par les médias alors. L'évêque, assassiné en août de la même année, ne sera pas là pour constater cet engouement, mais sa phrase reste d'actualité, seize ans après.