Aucune ville d'Algérie, ni Oran ni Béjaïa et encore moins Alger, n'a un accès aussi facile à ses plages, où du centre-ville, on peut s'y rendre à pied. A Annaba proprement dit, neuf plages principales s'étalent, avec toutes leurs histoires, d'aujourd'hui et d'hier. D'ouest en est, balade en maillot au bord de la plus charmante ville du pays. Minuit, la nesma du large a rafraîchi toute la ville. Le long des plages et du grand boulevard du front de mer, la circulation est encore dense et les femmes, couples ou groupes, déambulent dans une véritable atmosphère méditerranéenne. Les veillées au bord de mer sont une tradition ici, les boutiques sont ouvertes, glace ou bourek annabi, selon les envies, ou simplement café jetable. Sur le front de mer, assis sur un rocher central qui doit avoir 500 millions de fois son âge, Paypoz, un « ptit » de Annaba, bien qu'il n'ait pas vraiment d'âge, sirote un thé froid. Il est né par là, a grandi ici, et pour rien au monde, il ne quitterait Annaba. « Un petit tour en Europe, quand même. » Il a été jeune, il a donc tenté sa chance comme tout le monde. « Je suis parti quatre fois. A chaque fois, je revenais. » Contre son gré bien sûr, expulsé ou refoulé, mais il n'a rien contre, ça lui fait des vacances. En dehors du chômage, endémique comme dans le reste du pays, il fait bon vivre à Annaba et même les harraga ou futurs harraga le savent. Une ville peu peuplée, 300 000 habitants (pour 600 000 estivants), au climat doux et bien arrosée, qui possède surtout cet énorme avantage d'avoir de belles plages en pleine ville. L'arrière-pays est immense, forêts, montagnes et collines, qui convergent toutes vers la grande plaine de Annaba. Tout y converge d'ailleurs, comme le principal oued de la ville, le Seybouse, qui se déverse à Sidi Salem, première plage de Annaba côté est. Là où tous les départs s'organisent. Sidi Salem, la rampe de lancement C'est un trésor naturel, dépouillé par le temps et les chasseurs. On l'appelle La Baie des corailleurs, ce demi-cercle marin de 70 km de large du cap Rosa à Ras El Hamra (cap de Garde). Entre ces deux extrémités, là où le corail foisonnait tellement qu'on pouvait le ramasser près du centre-ville de Annaba, on peut compter une vingtaine de plages étalées sur la baie. Mais à Annaba senso stricto, neuf plages sont répertoriées. La plage la plus à l'est est Sidi Salem, connue pour être le point de départ des harraga. Malgré la récente pénalisation de l'exil clandestin, on continue à partir de Sidi Salem comme on démarre d'une gare routière. Une cinquantaine de personnes ont d'ailleurs été arrêtées depuis le début de la saison, toutes parties de nuit de cette plage qui jouxte les quartiers populaires où la mal vie n'est pas une légende, contrairement à la Sardaigne. « La plage du désespoir », commente Paypoz, qui rappelle qu'il y a seulement quelques jours, quatre jeunes sont montés sur un poteau en menaçant de se suicider. Ils ne l'ont pas fait. Mais c'est surtout pour la harga que la plage est connue. Paypoz se souvient de « la grande nuit ». Dans une ambiance bon enfant, rires et longs adieux, le 31 décembre 2006, 500 personnes partaient de la plage de Sidi Salem, déclenchant la plus grande opération d'exil de l'Algérie indépendante, une harga mémorable, qui a ouvert la voie à tous les départs suivants. Parce qu'un pêcheur de cap Rosa, perdu au large, a découvert la Sardaigne, inconnue des Annabis, où flottait un drapeau italien. « Les policiers étaient dépassés, ils ne savaient pas quoi faire, ils n'avaient jamais vu autant de monde partir en même temps », raconte Paypoz, heureux. Aujourd'hui, on part encore, autour de 50 000 DA la place, les prix ont un peu baissé et on vient de tous les coins d'Algérie. Mais Si Sidi Salem est la piste de décollage préférée des harraga, elle est paradoxalement la seule plage de Annaba que l'on appelle par un nom algérien, toutes les autres portant encore des noms français, ce qui avait irrité le président Bouteflika lui-même lors de son récent passage dans la ville. « Il est parti », rappelle Paypoz, « les plages sont restées ». A l'ouest, collée à Sidi Salem, c'est Jouaneau, parcourue par les gros et hideux tubes d'Asmidal, l'usine d'engrais. C'est là où, probablement, saint Augustin, l'enfant historique de la ville, a dû nager puisque l'antique Hippone était plantée à ce niveau, bien que, selon une vieille mosaïque romaine retrouvée sur place, le niveau de la mer était beaucoup plus élevé, sur les hauteurs actuelles de la ville, adossée contre le Sour el Jouhala, ce nom que l'on donne aujourd'hui aux remparts de l'ancienne ville, par rapport à la Jahiliya. A côté de Jouaneau, toujours vers l'ouest, le Port de Annaba. C'est ici que Hadj El Anka travaillait comme docker et a composé quelques-uns de ses inimitables qacidate. C'est ici aussi qu'en 1964, le bateau égyptien Star of Alexandria, chargé d'armes pour l'Algérie, était plastiqué par les services secrets français. Le ministre Daho Ould Kablia l'a officiellement déclaré récemment à Annaba en tant que président de l'association du Malg, l'ancêtre des services secrets algériens. C'est aussi la première fois que l'on rendait hommage aux victimes, le 23 juillet dernier. « Ce n'est pas vraiment un secret », souligne Paypoz, mais de nature à brouiller encore plus les relations algéro-françaises puisque l'Algérie était indépendante à ce moment-là. A côté du port, la Plage des Juifs, ainsi dénommée parce que la nombreuse communauté juive s'y trempait, à l'image de Guy Bedos, enfant de la région, qui a dû y pêcher ses bons mots, dans cette plage de rochers juste en contrebas du boulevard, là où se situe la boulangerie de Ahmed Gaïd Salah, l'actuel chef d'état-major de l'armée, qui fournit toute la 5e Région militaire. « Le pain, c'est le nerf de la guerre », explique Paypoz. Cloué à Saint Cloud Avec Chapuis, c'est la plage centrale, celle des familles et des gens de la ville ou ceux de passage. Saint Cloud, la plage préférée de Paypoz, qui y reste cloué à longueur d'année. Saint Cloud, là où le dauphin d'Hippone, selon Pline le Jeune, a sauvé un jeune garçon de la noyade il y a 2000 ans. L'enfant de la ville et le dauphin devinrent amis, et tout Hippone se pressait sur le rivage pour voir ces deux compagnons, l'un sur le dos de l'autre, jouant, plongeant et sautant. Aujourd'hui, « le jet-ski a remplacé le dauphin », explique Paypoz, qui en veut à ces « arrivistes qui ont pris la ville ». Est-ce bien nouveau ? « Pas vraiment », commente Paypoz, Annaba étant une ville un peu mafieuse, où l'argent passe de main en main dans des conditions souvent opaques. D'ailleurs, le premier wali de Annaba, ou plutôt le premier gouverneur d'Hipppone, un Romain nommé Salluste, y avait fait une fortune, selon la chronique de l'époque. Quant au dernier wali, M. Ghazi, les mauvaises langues connues à Annaba ne se sont pas encore déchaînées, même si dans la ville, on se demande comment un wali qui a provoqué une émeute à Chlef est récompensé en devenant wali à Annaba, « la plus charmante ville du pays », selon Paypoz. Une sorte de promotion, « pas étonnante », explique encore Paypoz qui sait tout de Annaba, « le wali est Tlemcénien et parent du ministre de l'Intérieur, ils ont épousé deux soeurs ». Tout est dit et sur la plage de sable incroyablement fin, tout file entre les doigts. Saint Cloud, ses histoires, ses belles maisons, comme celle du propriétaire de la discothèque Shems El Hamra. Cette même maison où il y a plus de trente ans, Medeghri, Draïa et Bouteflika étaient assignés par Boumediène. Saint Cloud puis Chapuis et son incroyable château des Anglais, vrai château avec donjons et entrée souterraine marine, qui date de l'époque où des Anglais avaient été pris sous le charme de la ville et s'y étaient installés. Les Anglais sont partis et le château a été récupéré par l'Etat, c'est là que le président Bouteflika s'installe quand il vient. Toujours vers l'Ouest, après Chapuis, c'est la plage de La Caroube, en contrebas du nouvel hôtel Sabri, qui construit sur la plage une marina concédée par le nouveau wali, empiétant sur le littoral. C'est en tous les cas dans cet hôtel que les riches nouveaux mariés atterrissent pour la nuit de noces, dans ce luxueux établissement qui pratique des prix dignes du Sheraton. D'ailleurs, il attend encore son inauguration officielle par le président de la République, qui aurait promis. Attendre, attendre, tout ça donne soif. « Toche », lâche Paypoz, comme une onomatopée jamaïcaine. Toche, la grande descente Plage et soleil, oui, mais il y a aussi les plaisirs de la vie. Pour tout ça, il y a Toche, quartier plage équivalent de La Madrague à Alger, où les amateurs de sensations se réunissent. Bien sûr, à Annaba comme partout, les bars, cabarets et discothèques ont été victimes de la loi, et le wali, comme ailleurs, a fermé une vingtaine d'établissements, officiellement pour des raisons de régularisation. Ont rouvert à la mi-juillet ceux qui avaient les agréments pour le faire. « Il faut penser aussi au tourisme de jouissance », explique Paypoz. A côté, toujours vers l'Ouest, la plage du Belvédère, avec Bona Beach, le fameux club des tchi-tchi de Annaba, aux prix non compétitifs. Puis la plage militaire, si si, c'est là qu'a été signé en 1997 le fameux accord entre l'AIS et l'ANP, entre Madani Mezrag, d'un côté, et Smaïl Lamari, de l'autre, « signe des temps, le premier est toujours vivant », ironise Paypoz, qui se défend de faire de la politique. Puis Aïn Achir et Ras El Hamra, le cap tout à l'ouest, fin de la visite des plages de Annaba. Tout le monde la connaît, la discothèque Shems El Hamra, plantée au bord de la plage, au-dessus du Vivier où des fruits de mer étaient élevés par les Français, morts d'ennui (les fruits de mer pas les Français). Fermée elle aussi, la discothèque a rouvert, à la grande joie des noceurs de Annaba et du reste du pays. Après, c'est le grand large, pour les pêcheurs. Puis Djenane El Bey et Oued Baqrat, la plage chic au-dessous de Seraïdi où un charmant hôtel est implanté, avec vue imprenable sur la baie des corailleurs et le reste du monde. Plus loin encore, par des pistes difficiles, on bascule de l'autre côté, les deux frères, du nom de ces gros rochers jumeaux, Oued Semhout, Aïn Barbar, puis les premières plages de Skikda, Chtaïbi et El Marsa. Mais Paypoz aime-t-il la mer ? « Oui, bien sûr. Mais je préfère la regarder, quand je nage, j'ai toujours envie d'aller plus loin. » En Europe ? « Oui, mais il ne faut pas le dire. Officiellement, il fait bon vivre à Annaba. » Sur les plages, et en été.