Le sempiternel casse-tête chinois s'incruste durement à la veille des congés. Pour le père de famille : où passer les vacances avec la famille sans être dérangé ? Pour le jeune des villes : où partir pour pas cher et où draguer ? La cote d'une plage ne se fait pas en fonction de sa propreté, de son accessibilité ou du paysage qu'elle offre. Chacun a établi son barème avec ses propres valeurs. Chacun y trouve son compte : l'époux et l'épouse. Lui est satisfait de ce que personne ne regarde sa femme en tenue plus ou moins légère et madame est assurée que mari ne plongera pas ses yeux dans un décolleté plongeant. Les plages familiales « pullulent » la côte ouest d'Alger. Jusqu'à Beni Haoua. Parfois, elles n'ont de familiales que le nom. Un peu comme les restaurants. A l'étranger, sur les côtes tunisiennes, par exemple, le phénomène est différent. Ce sont les touristes étrangers qui se plaignent de l'intrusion d'une famille autochtone sur les plages de l'hôtel. Idem au Maroc. En France, les plages peuvent être interdites au chien. Histoire de dire à la mamie qu'il faut qu'elle se trouve un autre compagnon pour regarder le coucher du soleil. Autre phénomène de plus en plus en vogue sur les côtes européennes : plages interdites aux baigneurs en maillot. Les plages de naturistes n'acceptent aucun morceau de tissu pouvant recouvrir le corps. Phénomène mondiale donc : les plages, lieu de plaisance, observent un découpage parfois tacite et qui diffère d'un Etat à un autre, d'un continent à l'autre. La tête haute, un poste sur l'épaule qui braille une musique estivale, casquette et lunettes de soleil dernier cri, il promène sa jeune carcasse sur une plage bondée de monde à Tipaza. A Matares, plus exactement. Tout juste sorti de « la houma » pour profiter des joies de la plage, ce jeune a la peau doublement colorée. Le cou, la tête et les orteils sont bronzés ; le reste est blanc. Il longe fièrement la plage, son poste à pleins tubes sur l'épaule. Même si Monsieur doit jouer les contorsionnistes pour maintenir le gros transistor en équilibre sur l'épaule, il n'en montre rien. Une touffe de poil à l'aisselle qu'il laisse à découvert à cause de sa contorsion donne l'impression qu'il est un homme. Arrivé à la hauteur de jeunes filles en maillot, il contracte ses abdos pour laisser apparaître une superbe tablette de chocolat. Six abdos en morceaux de chocolat. De quoi être fier ! Des jeunes filles gloussent à son passage, d'autres font mine de ne rien voir. Un groupe de jeunes garçons, en retrait sous des parasols, se moque de lui. Mais le jeune avec sa tablette de chocolat n'en n'a que fi. Un regard en biais en direction de ces railleurs pour le conforter dans son idée qu'ils sont jaloux. Et pour cause : la poitrine tombante ou maigrelet, ils n'ont pas son apparat. Ils n'ont même pas sa touffe de poil nichée sous les aisselles. Il fera ainsi des kilomètres à longer la plage, le poste à l'épaule. Ses pieds trébucheront, de temps en temps, sur un sac en plastique noir ou un vieux morceau de tissu, sans que cela gêne sa démarche acrobatique. Il n'est pas venu pour se baigner dans une eau claire et transparente. Le charme du site ne l'intéresse pas. Seule beauté qui mérite qu'on s'y attarde est celle des filles nubiles et de leur roucoulement à son passage. Complexe touristique du Cet. A la sortie de Tipaza. La plage ressemble à une crique. La mer est rapidement profonde et permet ainsi de faire du pédalo. Même si la distance est limitée, car petite, ils sont nombreux à s'offrir ce plaisir. La plage, également petite, est pourtant largement fréquentée. Par des groupes de femmes de tout âge ou des hommes. Pas de mixité ou peu. Pas de familles en somme. Parmi les groupes de femmes, il y a la grand-mère couverte. La mère d'une cinquantaine d'années en maillot 6 pièces. Les jeunes filles en maillot 2 pièces et les enfants en 1 pièce. Parmi les groupes d'hommes, on ne trouve que des gens du même âge. Des amis ou des cousins. Les hommes les plus âgés se sont installés sur les pelouses en hauteur. Ce qui offre une vue magnifique... Dans le complexe, plusieurs terrasses de café parsèment l'allée principale. Des hommes sont avachis sur une table à siroter une boisson fraîche en scrutant les nouveaux venus. L'allée est bordée de voitures en stationnement. En sortant de voiture, premier accueil : l'emballage d'un préservatif à la banane. Les uns s'inquiéteront de ce signe agressif de libertinage en des lieux dits « familiaux », d'autres se consoleront en se disant qu'au moins, on se protège du sida. Et mieux vaut le trouver sur une place de parking que dans l'eau de mer... L'éternel histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein. Enfin... Complexe touristique du Grand Bleu à Chenoua. Trop tard, c'est complet. 42 000 DA la quinzaine pour un F1. 17 000 DA la quinzaine pour une tente avec commodités. L'entrée pourrait rivaliser avec une pépinière. Des roses blanches, roses, jaunes parfument l'air ambiant et s'harmonisent avec le décor verdoyant du mont Chenoua. Sur la route du mont Chenoua, plusieurs plages sont indiquées par un panneau. Des briques sur le sable A la plage bleue, il n'y a pas foule. Et l'espace y est immense. Tout juste arrêté à droite par un rocher. Derrière la montagne et sa fraîcheur. A gauche, un autre rocher. Ah non, une maison ? En fait, une maison sur un rocher. « La dernière maison pour être exact », explique un agent de la Protection civile en service sur la plage. « Plusieurs maisons ont été détruites ici. Sans que l'on sache pourquoi. Je suis un enfant du coin et je travaille ici depuis plus de 10 ans. Ce n'est pas normal », explique-t-il. Des graviers et morceaux de brique jonchent le sable de la plage. Les restes de maisons forment un amoncellement impressionnant. La faïence encore collée à un mur qui n'a pas été détruit démontre l'ancienneté de la bâtisse. « Il ne reste que cette maison de trois étages sur le rocher et que l'on ne nous dise pas que c'est pour préserver l'environnement. Quand vous reprendrez la route, regardez à votre gauche : vous trouverez plein de nouvelles villas, pieds dans l'eau. Sans que les propriétaires aient été inquiétés. Je ne vous dirai pas à qui elles appartiennent », s'exclame-t-il. Des estivants sont déjà sur la plage bleue. Une famille originaire de Douéra s'est installée sous un parasol entouré d'un « lizar », un morceau d'étoffe. La dame est sur une chaise de camping et l'homme lit Le Quotidien d'Oran, assis sur une serviette de plage. Trois jeunes filles d'environ 17 à 20 ans se baignent dans l'eau bleue et transparente. « C'est un plaisir de venir ici. C'est tranquille et la mer est tellement propre. En juillet, c'est bourré de monde », explique l'époux. Une glacière et quelques serviettes et le tour est joué. « Cela fait des années que nous venons ici », explique-t-il. L'homme a trois charmantes jeunes filles. Mais à part la montagne, personne ne peut promener de regard langoureux sur ses charmantes gazelles. Et il n'a pas non plus ainsi à les priver de la joie d'une bonne baignade en maillot de bain. Un jeune homme, regard azur et taches de rousseur sur le nez, s'incruste. « Etes-vous allés faire un tour du côté de la corniche. Vous n'y trouverez que canettes de bière et tessons de bouteille. C'est insupportable ! Ils se donnent en spectacle sans aucune honte. Le site est magnifique, mais on ne peut y aller en famille. On a saisi toutes les autorités, mais rien n'est fait. Ecrivez, s'il vous plaît. C'est pas normal », explique-t-il en un seul souffle. La corniche est effectivement un site remarquable. Il est possible d'observer le littoral sur des kilomètres. La montagne brute se jette directement dans l'eau qui se trouve en contrebas, à environ 30 m. La roche est escarpée et offre plusieurs strates comme des étages. Des trous sont taillés naturellement à même la roche et incite l'esprit vagabond à croire qu'un nid d'oiseaux y est peut-être logé. Un panneau sur les abords de la route avertit d'un danger : attention chute de pierres ! Cela ne semble pas effrayer les jeunes qui s'y donnent rendez-vous pour boire et fumer. Les bouteilles vertes témoignent de beuveries animées. Des dizaines de kilomètres plus à l'Ouest. Au-delà de Cherchell et de Hadjret Ennous, Beni Haoua est prête à recevoir les estivants, qui ne sont pas encore là. « Il faut attendre les résultats du bac. Les gens viennent d'Alger, Blida ou Chlef pour faire du camping ici », explique un jeune homme. La plage est, selon lui, réservée aux familles qui veulent faire du camping. La petite forêt, en contrebas, aux jeunes. C'est plus intime. Sur la route qui mène à Tipaza, plusieurs personnes se sont avancées aux abords de la crête et regardent en direction de la plage qui se trouve 20 m plus bas. Des gendarmes sont également sur les lieux. Une voiture est sortie de la route et s'est écrasée en bas. Une R4, complètement aplatie, le capot ouvert, offre un malheureux spectacle. Et les commentaires vont bon train. « On ne peut pas s'écraser comme ça. La route n'est pas étroite », explique un jeune homme. « Ce sont certainement des jeunes qui ont trop bu », reprend un autre.