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La presse électronique à la conquête du marché virtuel
Publié dans El Watan le 31 - 10 - 2010

La demande est là. Qu'en est-il de l'offre ? Comprendre : les sites d'information. La «e-press». Depuis le lancement de TSA en juin 2007, le fameux journal électronique «toutsurlalgerie.com» (devenu www.tsa-algerie.com après son piratage), la presse électronique s'anime sur la toile. Certes, l'expérience est encore embryonnaire. Mais force est de constater que les professionnels des médias sont de plus en plus nombreux à être tentés de quitter la presse traditionnelle pour se lancer dans le journalisme on-line. L'une des raisons de cet engouement est à chercher dans les blocages politico- bureaucratiques qui dissuadent lourdement les candidats au lancement de nouvelles publications (en presse papier) de réaliser leur projet, l'obtention de l'agrément, le sésame des entreprises de presse, étant extrêmement difficile sous nos latitudes. Nous avons fait le tour, au cours de cette enquête, des principaux fournisseurs de contenus ayant «pignon sur web», les sites professionnels s'entend, à l'exclusion des portails, blogs et autres réseaux sociaux faisant dans le «journalisme citoyen». Objectif : esquisser un premier bilan de l'expérience des médias en ligne dans notre pays, questionner leur background, leur audience, situer leurs contraintes et voir comment se dessine leur avenir à court et moyen termes.
La deuxième vie du journalisme
Dans l'interview qu'il nous a accordée (lire entretien), Lounès Guemache, fondateur de TSA, parlant de sa propre expérience, explique : «TSA est né d'une double expérience, à la fois dans le journalisme et les nouvelles technologies.» Précisément celle de son fondateur Lounès Guemache, qui fut pendant sept ans cadre chez France Télécom. «Dès le départ, nous avons opté pour un positionnement clair : premier quotidien électronique algérien. Nous disons : nous sommes un quotidien comme les autres, sauf que nous ne sommes pas imprimés», ajoute notre confrère. Trois ans et demi après sa création, TSA se targue aujourd'hui d'attirer entre 200 et 250 000 visiteurs/jour. Sans remonter jusqu'à «algeria-interface.com», qui fut un site pionnier, comme le fait remarquer à juste titre El Kadi Ihsane, l'expérience TSA fera très vite des émules. En l'occurrence, l'année 2010 aura été particulièrement faste. C'est ainsi que l'on a vu de nombreux sites d'information, généralistes ou spécialisés, éclore sur la toile tout au long de l'année.
C'est le cas notamment de maghrebemergent.com d'El Kadi Ihsane, site spécialisé dans l'information économique, de www.viva-lalgerie.com de notre consœur Ghania Khelifi ou encore celui de Farid Alilat, «Dernières Nouvelles d'Algérie» (www.dna-algerie.com). D'autres sites, lancés toujours par d'anciens journalistes de la presse écrite, présentent le profil «magazine» plutôt qu'agence de presse en ligne. C'est le cas du magazine électronique www.espritbavard.com de Khadidja Chouit, ancienne journaliste du Matin. Ce dernier s'est mis depuis quelque temps en veilleuse pour un problème de modèle économique. Nous sommes tentés de dire : de modèle culturel tant l'implantation de la presse électronique est largement tributaire des nouvelles tendances comportementales et de la mutation des modes de consommation de l'information, de la culture, du savoir et des loisirs au sein de notre société sous l'impulsion des nouvelles technologies. L'une des premières choses à relever en parcourant rapidement les principaux sites de la presse électronique consacrés à l'Algérie est que la plupart d'entre eux sont «domiciliés» à l'étranger, et tout spécialement en France. Serait-ce lié à quelque conditionnalité rédhibitoire ? El Kadi Ihsane aussi bien que Khadidja Chouit qui vivent en Algérie nous ont certifié qu'il n'était pas nécessaire d'avoir un agrément pour créer un journal électronique. Dieu merci !
L'investigation comme «valeur éditoriale ajoutée»
Parmi les fleurons de la jeune presse électronique algérienne, le site «www.dna-algerie.com» mérite un zoom. Son fondateur, Farid Alilat, reporter de talent, a écumé de nombreuses rédactions avant de s'installer à Paris au milieu des années 2000. Il collabora ainsi à divers magazines parisiens, dont Jeune Afrique, avant de se résoudre à lancer son propre site. «J'ai 19 ans de métier. Je suis passé par tous les postes de responsabilité au sein d'une rédaction. J'ai ainsi dirigé deux quotidiens en Algérie (Le Matin puis Liberté). J'ai collaboré dans des magazines en France (Jeune Afrique, Paris Match, VSD…) ; je me suis dit qu'il était temps de faire une autre expérience. Lancer un journal en papier, c'est d'abord la croix et la bannière. Trop de logistique, trop de contraintes liées à l'imprimerie et à la distribution, mais le plus difficile est que le projet demande énormément de moyens financiers.» A ce propos, Farid Alilat estime que «pour un budget annuel (conception, maintenance, hébergement, charges, salaires d'une équipe de 10 collaborateurs…), il faut compter au moins 14 millions de dinars». Voilà qui nous amène au cœur de cette enquête, à savoir la question du modèle économique, comme évoqué plus haut. Autrement dit : comment un média en ligne peut-il s'assurer une viabilité financière ? Il tombe sous le sens que les ressources ne sont pas pléthoriques.
Elles proviennent essentiellement de la publicité, d'une éventuelle formule payante (abonnement, vente d'archives…) ou, fait rare, d'hypothétiques aides publiques. Cette dernière source de financement étant d'emblée écartée et la possibilité d'aller vers des sites payants étant prématurée, la seule issue qui reste est le développement du marché publicitaire «virtuel». Et c'est là une différence de taille avec la presse traditionnelle qui peut compter sur l'apport des lecteurs pour alimenter sa trésorerie. Farid Alilat : «Il y a trois manières pour un site de générer des revenus : la publicité, l'abonnement et la vente d'articles. Nous n'avons pas de publicité pour le moment, le site ne sera jamais payant, et pour l'anecdote, on a ‘‘vendu''un de nos reportages à Courrier international. Nous n'avons pas encore démarché les annonceurs. Nous partons du principe qu'il faut d'abord asseoir la marque, proposer un journalisme de qualité.» «Pour cela, DNA compte privilégier le journalisme d'investigation en guise de ‘‘valeur éditoriale ajoutée'', avec, à la clé, beaucoup d'enquêtes et de reportages. Une recette alliant le fil d'agence et le magazine dans une tentative d'investir un créneau curieusement laissé en jachère par les éditeurs : celui des ‘‘news'' et de la presse magazine.» «DNA est un site d'infos en continu, mais aussi et surtout un magazine d'investigation. Nous publions des enquêtes et des reportages sur des sujets sur lesquels d'autres journaux s'intéressent peu ou pas», dit Farid. Et d'ajouter : «Nous sommes lus dans 140 pays. Depuis le lancement de DNA en juin 2010, nous avons enregistré quelques 300 000 visites. Cela va au-delà de nos espérances. Mais nous n'avons pas les yeux fixés sur la courbe d'audience. Nous avons le temps devant nous, de la passion, de l'énergie et de la patience pour faire de DNA un site de référence.»
Des recettes publicitaires toujours «virtuelles»
Il faut dire que les moyens financiers limités générés par une publicité électronique balbutiante ne permettent pas à la majorité des sites d'investir dans les «ressources humaines» et disposer ainsi d'une effectif rédactionnel conséquent. Et cela influe sur les contenus, ce qui, à son tour, a une incidence négative sur l'afflux des annonceurs, même si ces derniers commencent à se manifester. «Les annonceurs préfèrent placer leurs bannières sur les sites de la presse traditionnelle, du fait que celle-ci a une plus grande visibilité», fait remarquer Baya Saïdoun, responsable commerciale du site «maghrebemergent.com». Les journaux électroniques sont ainsi contraints de casser les prix pour augmenter leur portefeuille clients. «Un mois de présence sur TSA – qui attire entre 200 000 et 250 000 lecteurs par jour – coûte presque une page de publicité couleur pour une journée dans un grand quotidien national», confie Lounès Guemache. «Cet écart est justifié par la différence des structures de coûts. Mais je pense que c'est un écart anormal qui devrait évoluer en faveur d'Internet», précise-t-il. Alors, la presse électronique a-t-elle de l'avenir dans le paysage médiatique algérien ?
Rien n'interdit de le penser, bien au contraire. Avec l'effervescence de la blogosphère algérienne, le succès fou des réseaux sociaux, Facebook en tête qui compte déjà 1,2 millions «d'amis» en Algérie, avec la popularité grandissante des NTIC et du multimédia auprès des jeunes, les dieux du Net annoncent un boom euphorique de la «e-press». «Je suis persuadé que la presse électronique jouera un rôle important dans les dix prochaines années en Algérie. Souvenons-nous : en 1998, l'Algérie comptait 50 000 utilisateurs de téléphone portable. Aujourd'hui, on en compte 30 millions», note Farid Alilat. Lounès Guemache n'est pas moins optimiste : «Sur Internet, il y a de la place pour tout le monde. Il faut un maximum d'initiatives. Je pense aussi que la presse classique a un rôle à jouer dans le développement de la presse électronique via le lancement de nouveaux sites.» Le géant Google vient d'annoncer de son côté qu'il va consacrer 5 millions de dollars au développement du journalisme en ligne, c'est dire…


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