Grave incitation à la haine de la part de celui qui est censé garantir à tous et chacun, en vertu des principes de légalité et d'égalité, la sauvegarde de leurs droits fondamentaux(2). Depuis l'insertion de l'article 144 bis 2 dans le code pénal algérien, par la loi 06-23 du 20 décembre 2006, on assiste à une pratique attentatoire aux droits humains les plus fondamentaux, à savoir la liberté de conviction. En effet, plusieurs citoyens ont été surpris par les forces de l'ordre, puis arrêtés, déférés devant les tribunaux pour le seul motif : non-observation du jeûne. Cette pratique illégale et arbitraire soulève deux questions principales. La première est relative à la contradiction des poursuites pénales elles-mêmes (pas l'article lui-même) avec la liberté de culte et de conscience, pourtant garantie par l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par l'Algérie, et reconnu par l'article 36 de la Constitution. Au-delà de toutes considérations d'ordre religieux, moral, ou politique, la seconde est liée à l'interprétation erronée, voire même incompatible aux faits, objet de la poursuite, de l'article 144 bis 2 qui sert de fondement de l'engagement de l'action publique. Cette deuxième question interpelle tout juriste et praticien de droit, et mérite à notre avis d'être analysée d'un point de vue strictement juridique. I- L'absence d'un fondement légal de la poursuite pénale Le premier alinéa de l'article 144 bis 2 dispose que : «Est puni d'un emprisonnement de trois ans à cinq ans et d'une amende de 50 000 DA à 100 000 DA, ou de l'une de ces deux peines seulement, quiconque offense le Prophète (Paix et salut soient sur lui) et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l'Islam, que ce soit par voie d'écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen»(3) . A la lecture de ce texte, nous constatons aisément qu'il ne contient aucune mention expresse au fait de ne pas jeûner. Suivant le principe de la légalité pénale, un principe clé du droit pénal contemporain, nul ne peut être poursuivi et condamné pour des faits qui, au moment où ils ont été commis, ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international Nullum crimen, nulla poena sine lege. En vertu de ce principe, la loi (écrite bien entendu) est la source formelle unique de droit pénal qui exclut définitivement de son champ les autres sources du droit, telles qu'elles sont énumérées par l'article premier du code civil. Ainsi, l'engagement de l'action publique dans ce cas de figure et la condamnation, s'il y a lieu, est infondée juridiquement, et constitue une atteinte au principe de la légalité des infractions et des peines, universellement admis, garantie et repris par les article 46, 140, et 142 de la Constitution, et réaffirmé par l'article premier du code pénal stipulant : «Il n'y a pas infraction, ni de peines ou de mesures de sûreté sans loi».Par conséquent, et à défaut d'une loi incriminant expressément et directement le non-respect du jeûne, on se poserait dès lors la question suivante : comment est-on arrivé à une interprétation permettant l'exercice de l'action publique sur la base de l'article 144 bis 2 ? II- Une fausse interprétation de l'article 144 bis 2 Toutes les lois doivent être interprétées afin d'assure leur application. Cependant, l'interprétation de la loi pénale revêt une particularité indéniable quant à la méthodologie à suivre(4). A ce titre, le juge pénal doit chercher le sens exact du texte lacuneux, et se limite à une lecture «stricte» et «littérale» des lois pénales poenalia sunt restringenda, et enfin il ne devrait jamais interpréter un texte obscur par analogie. Ce pouvoir interprétatif restrictif trouve son essence dans le principe de la séparation des pouvoirs ; le législateur est le seul créateur des lois, le juge se chargera de leur application. A moins que le juge pénal ne s'adonne à une lecture théologique des textes. 1- Une lecture théologique de l'article 144 bis 2 Cette méthode d'interprétation consiste à interpréter la règle pénale en fonction de la volonté du législateur ratio legis. En d'autres termes, le juge doit rechercher les raisons et la finalité poursuivie par l'auteur de la règle pénale. Pour ce faire, le juge pénal consulte le plus souvent les travaux préparatoires. Pour ce qui est de l'article objet de notre étude, il nous semble que le législateur n'avait pas l'intention d'incriminer le fait de rompre le jeûne, sinon qu'est-ce qui l'aurait empêché de le faire en usant d'un texte clair ? L'objectif du législateur à travers cette disposition est de protéger les envoyés de Dieu, et les préceptes de l'Islam contre tout outrage public, comme l'indique le Titre même de section I du chapitre V et ce, que ce soit par voie d'écrit, de dessin, de déclaration, ou tout autres moyens, lorsqu'ils sont de nature offensifs et outrageux. L'expression «ou tout autre moyen», quoi qu'elle laisse le champ ouvert à toute interprétation extensive, force est de constater qu'elle n'est nullement liée à l'objet de la présente protection pénale. Bien au contraire, elle se réfère essentiellement à la liste énonciative des moyens de l'outrage ou d'offense indiquée également dans les articles 144, 144 bis, et 147. D'ailleurs, lors du procès du 21 septembre dernier, le procureur près le tribunal d'Aïn El-Hammam insista sur le fait de rompre le jeûne publiquement, en justifiant les poursuites par une plainte ou une dénonciation de la part des citoyens contre ces non-jeûneurs. Cet argument est fallacieux, et vient, a contrario affirmer l'illégalité des accusations, puisque l'article 144 bis 2/2 dispose que le ministère public peut engager d'office l'action publique, en l'absence même d'une plainte. N'est-ce pas là une manière de se désengager de ses responsabilités face à la mobilisation citoyenne ? 1- Une lecture extensive ? Considérant que le jeûne est l'un des piliers de l'Islam, le non-respect de ce précepte est une atteinte à l'Islam lui-même. Tel est le raisonnement interprétatif suivi par la justice pour légitimer les poursuites pénales contre les non-jeûneurs. De ce fait, au lieu de se contenter d'une interprétation stricto sensu du contenu de l'article 144 bis 2, nos juges-législateurs se sont accaparés le pouvoir de producteurs des lois pénales, jusqu'alors domaine réservé exclusivement au législateur en vertu de l'article 122/7 de la Constitution. Ainsi donc, le raisonnement jurisprudentiel consacré dans cette affaire conduirait à la condamnation également de tout citoyen non pratiquant de la prière, et ceux qui ne se sont pas acquittés de la «Zakat», ou tout autres préceptes ! Pour conclure, toutes les voies d'interprétation suivies mèneront au même résultat : illégalité et non-conformité des actes objet de la poursuite avec l'article 144 bis 2. Une lecture stricte du texte vaudrait absence de fondement légal de la poursuite. Une lecture extensive de l'article en question conduirait à remettre en cause un autre principe d'une valeur constitutionnelle supérieure : la liberté de conscience et de religion.
Notes de renvoi : 1 – Liberté du 22 septembre 2010. 2 – Articles 139 et 140 de la Constitution de 1996. 3 – C'est nous qui Soulignons. 4- Claudia Ghca-Lemarchand, «L'interprétation de la loi pénale par le juge», in www.sena.fr.