Le Soir d�Alg�rie: Que faut-il entendre par �syst�me judiciaire ? Z. Sekfali : En fait, j�avais le choix entre cette expression et les suivantes : �syst�me juridique�, �organisation judiciaire� et �institutions judiciaires�. J�ai �cart� la premi�re, parce que l�objet du livre n�est pas l��tude des modes d��laboration des normes juridiques. La seconde expression recouvre l��tude des juridictions, ainsi que celle des statuts des magistrats et des auxiliaires de justice ; bien que large, elle ne rend compte que partiellement du contenu du livre. S�agissant enfin de l�expression �institutions judiciaires�, on sait qu�elle d�signe les seules juridictions de l�ordre judiciaire ; elle est donc plus �troite que la pr�c�dente. Par contre, l�expression �syst�me judiciaire� recouvre les domaines respectifs de l�une et de l�autre. Sachant par ailleurs qu�un chapitre du livre est consacr� � la pr�sentation des lois promulgu�es depuis 2001 dans le cadre de la r�forme judiciaire, j�ai retenu l�expression �syst�me judiciaire� car elle correspond mieux au contenu du livre. L. S. A. : Qu�est-ce que r�former la Justice? Z. S. : R�former la justice ce n�est pas faire table rase du syst�me judiciaire pr�c�dent. Personne du reste n�a demand� de d�manteler l�institution judiciaire, ni d�inventer ex nihilo un nouveau syst�me judiciaire ! Je rappelle, au passage, l�importance du terme �pr�c�dent� dans le droit. R�former la justice signifie, donc, la faire progresser, la moderniser, la rendre transparente, performante, lisible et compr�hensible, moins proc�duri�re et moins on�reuse ; c�est aussi rationaliser sa structuration, red�ployer les juridictions sur la base de param�tres objectifs, introduire dans la gestion des juridictions les m�thodes du management, et tendre � une justice juste, ce qui, contrairement aux apparences, n�est pas un pl�onasme ; un grand �crivain disait : �Il faut r�fl�chir � la diff�rence qu�il y a entre �tre juge et �tre juste ! � L. S. A. : Les objectifs sont ambitieux. Comment y parvenir ? Z. S. : Pour atteindre les nombreux objectifs de la r�forme, il faut disposer de moyens humains, financiers et mat�riels cons�quents ; d�o� l�exigence d�une planification des besoins et des cr�dits � d�gager pour leur satisfaction, donc d�une loi de programmation pluriannuelle rigoureuse. Mais c�est au niveau de l��l�ment humain que des efforts qualitatifs tr�s importants sont � faire. La formation des magistrats, des avocats, des greffiers et autres auxiliaires de la justice doit �tre constamment am�lior�e du point de vue des m�thodes p�dagogiques, des programmes et des mati�res enseign�es ; il ne s�agit pas de former pour former, mais de former utile et de pr�f�rer, comme disent les p�dagogues, �les t�tes bien faites aux t�tes bien remplies �. Il faut �galement promouvoir, y compris dans la magistrature, une r�elle culture des droits de l�homme : cela exige naturellement du courage et de la pers�v�rance. L. S. A. : Vous pr�sentez des r�sum�s des lois prises dans le cadre de la r�forme de la justice. Que pouvez-vous ajouter � ce propos ? Z. S. : Il a �t� promulgu� � partir de 2001 plusieurs lois modifiant les codes de base, comme le code civil, le code p�nal, le code de proc�dure p�nale, le code de la famille, etc. Certains d�entre eux ont encore �t� modifi�s entre 2004 et 2006, car les r�visions se font au rythme des travaux des commissions de codification du minist�re de la Justice. En 2008, le code de proc�dure civile a �t� remplac� par un code de proc�dure civile et administrative ; on sait que sa mise en application, diff�r�e de 2008 � 2009, a pos� des probl�mes d�interpr�tation ; on a aussi d�plor� que sa promulgation n�ait pas �t� imm�diatement suivie de textes r�glementaires d�application. En mati�re d�organisation judiciaire, je rappellerai la loi portant statut de la magistrature, la loi relative au Conseil sup�rieur de la magistrature, celle qui porte organisation judiciaire, le code de la r�forme p�nitentiaire ainsi que les lois relatives au notariat et � la profession d�huissier. Ces nouveaux textes ont abrog� les anciens qui, sans doute, ne convenaient plus. Aucun texte du droit positif n�est en effet parfait. Les nouveaux textes ne font pas exception : ils sont eux aussi perfectibles. De plus, je regrette en tant que juriste que l�on continue � promulguer des lois sans les accompagner ni de leurs expos�s des motifs, ni des comptes-rendus des travaux et d�bats parlementaires auxquels ils ont donn� lieu. Tous les juristes et les l�gistes savent l�int�r�t des �travaux pr�paratoires� pour l�interpr�tation des lois, lorsque celles-ci posent probl�me et suscitent des opinions divergentes. On l�a bien vu � propos du code de proc�dure civile et administrative, et tr�s r�cemment � propos de l�article 144 bis 2 du code p�nal, qui sanctionnerait, dit-on, l�inobservance du je�ne. L. S. A. : Pr�cis�ment, quel est votre avis sur l�article du 144 bis 2 du CP et sur les poursuites engag�es sur sa base ? Z. S. : Il y a en effet beaucoup de choses � dire sur ce sujet. J�observe d�abord que cet article fait partie d�une section intitul�e �Outrages et violences � fonctionnaires et institutions de l�Etat� ; on se demande quel est le rapport entre le contenu de l�article et l�intitul� de la section� On constate aussi que dans cette section, parmi les personnes prot�g�es contre les offenses, on commence par citer les magistrats et fonctionnaires (art 144), puis en deuxi�me position le pr�sident de la R�publique (art 144 bis), en troisi�me position (art 144 bis 2) le Proph�te (QSSL) et les envoy�s de Dieu, et � la fin (art 146), les corps constitu�s suivants : l�APN, le Conseil national et l�ANP. Cette hi�rarchisation est assez insolite ! Dans cette section, je crois qu�on m�lange tout. S�agissant pr�cis�ment de l�article 144 bis 2, il est clair qu�il incrimine deux faits : primo �l�offense� au Proph�te et aux envoy�s de Dieu, secundo �le d�nigrement � du dogme ou des pr�ceptes. En sanctionnant �l�inobservance� d�un des cinq �l�ments du dogme, en l�occurrence le je�ne, on proc�de � une interpr�tation extensive de cet article du code p�nal. Or, tout magistrat sait que les lois p�nales doivent �tre interpr�t�es de fa�on restrictive. L�interpr�tation extensive est, en droit, assimil�e � une fausse application de la loi et le jugement rendu sur la base d�une interpr�tation extensive, encourt la cassation ou l�annulation pour manque de base l�gale. Si on admet que l�on peut, � partir des �nonciations pourtant non ambigu�s de cet article, condamner des �non je�neurs�, on finira par condamner des gens pour inobservance des quatre autres �piliers de l�Islam�. On aura ainsi, au m�pris flagrant des pr�ceptes coraniques relatifs � la tol�rance, des dispositions pertinentes de la Constitution sur la libert� de conscience et des r�gles basiques du droit p�nal que je viens de rappeler, relanc� les pratiques inquisitoriales ! Or, qui peut raisonnablement penser qu�on renforce l�Islam et favorise son essor, en jetant les gens en prison ? Je suis du reste d�avis que tous les articles du code p�nal pr�voyant des infractions � connotation religieuse soient regroup�s dans un chapitre ou une section � part Au pr�alable, il est imp�ratif de r��crire ces articles, de la mani�re la plus pr�cise que possible. Un toilettage de ces articles, tant dans la forme que dans le fond, est hautement souhaitable. L. S. A. : Le livre est tr�s critique. Ne risque-t-il pas de faire pol�mique ? Z. S. : Il y a dans ce livre des critiques peut-�tre s�v�res mais objectives s�rement. Elles portent sur des textes, des institutions et les id�es qui les sous-tendent. Il n�y a l� rien d�anormal, car l�analyse critique fait partie de la formation et de la culture juridiques. Ces analyses sont faites certes avec un certain esprit d�ind�pendance ; j�esp�re qu�on admettra aussi que je n�y fustige personne, et ne flatte personne non plus. L. S. A. : Qu�en est-il de l�ind�pendance de la justice ? Z. S. : L�ind�pendance de la justice est une revendication ancienne et actuelle, � la fois. M�me dans les vieilles d�mocraties, il lui arrive d��tre malmen�e et c�est souvent aux politiques que l�on fait ce grief. Peu de magistrats r�sistent aux pressions des politiques ; la raison est simple : ceux qui ont cette audace, sont soit mis dans une voie de garage soit simplement cong�di�s. Malheureusement, il y a aussi des magistrats qui sont tellement apeur�s, qu�ils sollicitent des instructions � propos de tout et de rien ; ces magistrats ne rendent pas la justice, ils rendent des services, selon une expression connue ! L�ind�pendance des juges nous concerne tous : c�est un droit des citoyens et les atteintes � l�ind�pendance des juges, d�o� qu�elles proviennent, doivent �tre consid�r�es comme des forfaitures. L. S. A. : � quel lectorat s�adresse ce livre ? Z. S. : Je ne cible aucune cat�gorie sp�cifique de lecteurs. Ce livre est accessible � tous ; il permet � chacun de savoir comment notre justice a �volu� et quelles sont les tendances lourdes de cette �volution. N�anmoins, j�esp�re que ce livre int�ressera les juristes, en particulier les universitaires. En effet, mon v�u le plus cher est qu�il aide � relancer dans la communaut� universitaire les �tudes et recherches sur le syst�me judiciaire. On ne devrait plus se contenter de d�noncer les dysfonctionnements du syst�me ; il est plus int�ressant de pr�senter, en conclusion des �tudes effectu�es, des propositions concr�tes ; c�est l� une bonne fa�on de participer � l��dification, dans ce pays, d�un Etat de droit. L. S. A. : Votre dernier mot pour conclure� Z. S. : Il n�y a ni Etat de droit ni primaut� du droit, sans institutions judiciaires dignes de ce nom. Nous en sommes, malheureusement, loin, car le conservatisme ambiant et les forces r�trogrades, nich�es ici et l�, freinent le progr�s�