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De la psychiatrie coloniale en Algérie
Publié dans El Watan le 30 - 11 - 2010

Moreau de Tours : psychiatre de la colonisation française
Au mois de mai 1830, la flotte militaire française quitte Toulon, c'est l'expédition d'Alger envoyée par Charles X à la conquête de l'Algérie. Le 5 juillet 1830, le général Comte de Gourmont s'empare de la ville d'Alger après une sanglante bataille. Les autres villes tombèrent l'une après l'autre entre les mains de la barbarie coloniale française. C'est de cette façon que la colonisation s'est installée, chassant les autochtones des meilleures terres et continuant à semer la terreur, jusqu'au statut de l'indigénat, en 1881, qui va instaurer pour longtemps une forme d'apartheid.
La population coloniale était tellement diversifiée qu'elle allait du riche propriétaire terrien français de souche au petit paysan du Midi. Ce sont ces gens-là qui ont formé progressivement une société qui a tout fait pour s'affirmer comme appartenant à une «Algérie française». Ce sont également ces gens-là qui ont semé la violence tout en instituant l'idée de «coloniser-exterminer». Même les médecins psychiatres ont participé à l'instauration d'idées racistes et xénophobes. Je cite en tête un certain psychiatre du nom de Moreau de Tours. Il signa un texte inaugural qui va marquer à jamais ce que, aujourd'hui, les historiens appellent «la psychiatrie coloniale».
Ce texte a été un acte de naissance portant comme ultime conviction que le colonisé est un sujet inférieur à tous points de vue. Interrogé, celui-ci n'a pas cessé de confirmer que la maladie mentale est fortement tolérée au Maghreb musulman, et ce, du fait du climat et de la pratique de l'Islam. Ce sont ses déclarations arbitraires qui ont dominé, pendant plusieurs années, les travaux de la psychiatrie coloniale française en Algérie. «Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures», disait ouvertement le fondateur de l'école de la République, Jules Ferry, en 1885.
Ce sont «ces races inférieures d'Algériens» qui, au cours de la Première Guerre mondiale, ont renforcé le bouclier de guerre des bataillons français. Combien l'histoire en a évoqué leur courage et leur héroïsme. Malheureusement, ce sont des psychiatres de surcroît qui se sont montrés talentueusement méprisants à leur égard. Suivez-moi cher lecteur(rice) et je vais vous éclairer sur les méfaits de la psychiatrie coloniale française en Algérie. Basés sur la supériorité raciale, trop marquée par la doctrine phrénologique qui a connu un grand succès en France au début du XIXe siècle. J. M. Begue pense que «le fonctionnement normal du cerveau de l'indigène est un fonctionnement pathologique».
Meilhon, médecin à l'asile d'Aix-en-Provence, publia en 1896 un essai intitulé L'aliénation mentale chez les Arabes, étude de nosologie comparée. Travail récompensé par l'Académie française de médecine, où il avance que «le trait dominant de la folie des Arabes est leur tendance à la violence». C'est dans ce contexte évolutif d'idées psychiatriques que l'école d'Alger a tenu à affirmer et à fonder l'approche psychiatrique dite «scientifique !» de la supériorité de l'Européen sur ledit «indigène». Sans respect aucun pour la liberté de culte de ce peuple, Moreau de Tours a vu que «l'Islam est à la fois prévention et cause favorisante de la maladie mentale en tant que mettant en place des barrières protectrices au prix d'une dénégation des concepts d'individualisation et de liberté qui caractérisent la culture occidentale».
Antoine Porot : Un psychiatre au service de l'idéologie raciale
Le darwinisme est apparu en Europe comme la lanterne dans l'obscurité scientifique. C'est à partir de là que la «race blanche» s'est érigée sous le couvert du Darwinisme – Galtonien, comme race supérieure à tous points de vue. Une des figures emblématiques ayant défendu avec acharnement la théorie du primitivisme dans l'histoire de la psychiatrie coloniale au Maghreb était Antoine Porot. A l'occasion du 22e Congrès des aliénistes et neurologistes de langue française en 1912, il créa le premier service de psychiatrie à Tunis.
Ensuite, il quitta le protectorat tunisien contre une nomination en 1916 en tant que médecin-chef du Centre neurologique de la 197e Région militaire à Alger. Il exerça comme premier professeur agrégé de neuropsychiatrie au niveau de la faculté de médecine d'Alger. Fondateur de l'école psychiatrique d'Alger. Sa forte contribution à la construction de l'hôpital Blida-Joinville en reste un témoin historique indéniable. A partir de 1916 et/ou 1917, Antoine Porot commença à s'intéresser de près aux pathologies mentales de «l'indigène nord-africain».
Il a écrit un texte qui a marqué pour longtemps les fondements de la psychiatrie coloniale, paru en 1918 dans les Annales médico-psychologiques. Il témoigne d'une véritable observation clinique du psychiatre colonisateur sur son patient colonisé. Je cite l'auteur et sans commentaires : «L'importante contribution militaire demandée à l'Afrique du Nord, les levées de classes entières, par appel, nous ont mis en présence de la véritable masse indigène, bloc informe de primitifs profondément ignorants et crédules pour la plupart, très éloignés de notre mentalité et de nos réactions et que n'avaient jamais pénétrés le moindre de nos soucis moraux, ni la plus élémentaire de nos préoccupations sociales, économiques et politiques. D'un coup, nous avons pu mesurer toute la résistance morale de certaines âmes simples, la force puissante de certaines indigences mentales et les déviations imprimées par la crédulité et la suggestibilité. Fixer, même à grand trait, la psychologie de l'indigène musulman est malaisé, tant il y a de mobilité et de contradictions dans cette mentalité développée dans un plan si différent du nôtre et que régissent à la fois les instincts les plus rudimentaires et une sorte de métaphysique religieuse et fataliste qui pénètre tous les actes de la vie individuelle et collective.»
(1) Ce sont ces observations infondées et racistes qui m'ont permis de qualifier le discours de ce professeur comme délirant articulé dans une parfaite mégalomanie. A vous cher lecteur(rice) d'en déduire le sens : «Le musulman algérien… possède un fond de réduction intellectuelle avec crédulité et entêtement, rapproche la formule psychique de l'indigène musulman de celle de l'enfant. Ce puérilisme mental diffère pourtant de celui de nos enfants, en ce sens qu'on n'y trouve pas cet esprit curieux qui les pousse à des questions, à des pourquoi interminables, les incite à des rapprochements imprévus, à des comparaisons toujours intéressantes, véritable ébauche de l'esprit scientifique. Rien de semblable chez l'indigène, même intelligent. Nul appétit scientifique, pas d'idées générales ; des syllogismes simples, parfois stupides dans leur conclusions…»
(2) Il ajoute encore, en collaboration avec son élève, Jean M. Sutter, que «l'Algérien n'a pas de cortex ou, pour être plus précis, la domination, comme chez les vertébrés inférieurs, est diencéphalique. Les fonctions corticales, si elles existent, sont très fragiles, pratiquement non intégrées dans la dynamique de l'existence… La réticence du colonisateur à confier une responsabilité à l'indigène n'est donc pas du racisme ou du paternalisme, mais tout simplement une appréciation scientifique des possibilités biologiquement limitées du colonisé».
(3) Les psychiatres racistes français ont exprimé leurs pensées au nom d'une science psychiatrique cousue sur mesure à la taille du colonisé. «Dans l'ordre psychologique, la débilité mentale foncière, doublée de crédulité et de suggestibilité, les tendances à l'entêtement et à la persévération mentale qui rendent difficile la rectification du jugement ou de la logique extérieure, les préoccupations d'ordre végétatif ou instinctif qui l'emportent sur celles d'ordre affectif et intellectuel…
(4) Voilà un texte autre qui a été inscrit dans une thèse élaborée en 1926 et publié par l'imprimerie Carbonnel à Alger par C. D. Arrii, élève aussi d'Antoine Porot, intitulée L'impulsivité criminelle chez l'indigène algérien. Ses facteurs. Enfin, ce sont ces idées macabres montrant «l'indigène nord-africain», à mi-chemin entre l'homme de race inférieure et celui de l'Européen considéré comme très évolué, qui ont nourri la révolte anticoloniale du Dr Frantz Fanon.

Notes de renvoi :
Porot (A.). Notes de psychiatrie musulmane, A.M.P., 10e série, T.IX, mai 1918. PP3777-384
2- Porot (A.). Notes de psychiatrie musulmane, A.M.P., 10e série, T.IX, mai 1918. PP3777-384
3- Berthelier R. L'homme maghrébin dans la littérature psychiatrique.
Editions L'Harmattan, 1994. P.83
4- Porot (A.). Notes de psychiatrie, A.M., 10e série, T.IX, mai 1918
Bibliographie
– Berthelier R., L'Homme maghrébin dans la littérature psychiatrique. Editions L'Harmattan,1994.
– Moreau de Tours J. J., Recherches sur les aliénés d'Orient,
Annales médico-psychologiques, 1843.
– Porot A., Notes de psychiatrie musulmane,
Annales médico-psychologiques, 1918.
– Porot A., Arrii D. C., L'impulsivité criminelle chez l'indigène algérien,
Annales Médico-psychologiques, 1932.
– Porot A., Sutter J., Le primitivisme chez l'indigène algérien,
Annales médico-psychologique, 1958.
– Sutter J. M., Quelques aspects de la psychogenèse en milieu nord-
africain. Maroc médical. 1949.


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