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Le changement économique en Algérie : Une trajectoire chaotique
Publié dans El Watan le 27 - 12 - 2010

Auparavant, il convient de revenir sur la signification à conférer à la notion de blocage institutionnel dans le contexte présent de l'Algérie afin d'en déduire, en des termes nécessairement spécifiques et adaptés, la problématique. La formulation d'une telle problématique ne peut faire abstraction de ce qui fait encore la particularité du régime d'accumulation en vigueur dans notre pays depuis au moins quatre décennies : son caractère rentier. Cet exercice nous paraît être un préalable à toute tentative de caractérisation du changement institutionnel tel qu'il s'est effectivement déroulé depuis le début des années 1990, caractérisation qui révèle, entre autres, les blocages auxquels l'évolution institutionnelle est confrontée dans notre pays.
Du blocage institutionnel
La question à laquelle il convient de répondre d'emblée est de savoir pourquoi en Algérie, en dépit des effets conjugués et récurrents des chocs et contre-chocs pétroliers et des mutations en vigueur l'échelle de l'économie mondiale, les formes institutionnelles caractéristiques du régime rentier d'accumulation restent fondamentalement les mêmes, dans le sens où leurs configurations concrètes empêchent toujours l'émergence d'une dynamique productive indépendante de la rente ? Pourquoi de nouvelles configurations, appelées en principe à favoriser l'émergence d'un nouveau régime d'accumulation, ne parviennent-elles pas à émerger, alors que les anciennes ont montré leurs limites ? Pourquoi la transition institutionnelle, qui devrait conduire à une sortie du régime rentier, semble-t-elle bloquée ?
Des questions qui précèdent, il s'en suit que c'est, en fait, la question de l'avènement d'un nouveau régime d'accumulation qui demande à être examinée, car après la caractérisation du régime rentier d'accumulation dans ses versions successives («volontariste » dans les années 1970 et 1980, puis «libérale» à partir des années 1990), il s'agit de rechercher quelle configuration d'ensemble, assumée par les régulations partielles, pourrait favoriser l'émergence d'un nouveau régime d'accumulation dont, il est vrai, on ne connaît pas a priori la forme et la nature exactes, mais dont on sait néanmoins qu'il doit reposer sur la réhabilitation et le développement des activités productives.
Tels nous semblent être les termes dans lesquels pourrait être formulée la problématique du changement institutionnel en Algérie. Le blocage institutionnel apparaît en l'occurrence comme l'obstacle principal à l'émergence d'un nouveau régime d'accumulation.
Cependant, si les analyses qui se sont intéressées à la question du changement institutionnel dans les pays à régime rentier d'accumulation ont toutes souligné l'incapacité des formes institutionnelles adaptées au régime rentier à répondre aux changements requis, elles relèvent aussi que, au-delà de la sphère politique qui, très souvent, n'est pas étrangère à ce blocage, c'est la dépendance de ces formes institutionnelles par rapport au circuit de la rente qui interdit, ou rend difficile, la transformation du régime économique interne. A défaut d'un volontarisme politique affirmé, seul à même de rompre le cordon ombilical qui lie la régulation institutionnelle au circuit de la rente, l'évolution du régime économique dans le sens d'une réhabilitation des activités productives simultanément à un épuisement progressif des incitations aux comportements de recherche de rentes demeurera problématique.
D'une manière générale, la dépendance de la régulation institutionnelle vis-à-vis du circuit de circulation de la rente se lit en particulier dans des configurations institutionnelles spécifiques : surévaluation, en termes réels, de la monnaie nationale ; prééminence d'un rapport salarial de type clientéliste, notamment dans le secteur public ; une répartition des dépenses publiques s'inscrivant davantage dans une logique «politique» de redistribution que dans une logique économique de soutien à l'accumulation, Benin etc.
Cette configuration institutionnelle est à l'origine de l'instauration d'un système de captage des rentes. Est-ce à dire pour autant que l'économie de rent seeking ( ) est organiquement liée au régime rentier ? Répondre à la question par l'affirmative, c'est admettre que tout régime rentier secrète nécessairement les comportements de recherche de rente et qu'inversement, ce type de comportements n'apparaît que là où il y a un régime rentier. Cette hypothèse peut séduire. D'abord parce qu'elle implique, entre autres, que c'est le régime rentier lui-même qui engendrerait en dernière analyse les facteurs de sa propre crise. Mais en conférant à la crise du régime rentier un caractère endogène, cette hypothèse consacre, du même coup, le caractère fataliste de la malédiction du pétrole.
L'autre hypothèse, celle qui nous semble plus juste, est de voir dans la prédominance des comportements de captage de rente une simple excroissance du régime rentier, ce qui, en d'autre termes, signifie que le phénomène de captage des rentes peut se développer dans le cadre de tout autre régime d'accumulation en vigueur dans les pays à économie de marché, pour peu qu'il y ait par exemple administration des prix et/ou des quantités au lieu et place d'une régulation concurrentielle. Dans cette hypothèse, on rejoint ce qui est développé par le courant régulationniste, à savoir que c'est le mode de régulation qui serait à l'origine de la prédominance de la logique rentière dans le comportement des acteurs et des agents économiques, cette logique pouvant contaminer à son tour le fonctionnement d'ensemble de l'économie et provoquer, à plus ou moins longue échéance, sa crise.
En termes de modalités pratiques de transition institutionnelle, cette seconde hypothèse implique qu'il faut – et il suffit de, serions-nous tentés d'ajouter – réformer le mode de régulation de l'économie pour supprimer les sources de captation de rentes. Celles-ci étant faciles à localiser, le problème reviendrait à identifier les facteurs, souvent d'ordre extra-économique, qui favoriseraient une telle transition. Quant à l'autre hypothèse, elle suggère que seule l'extinction de la rente externe est à même de laisser place à un régime de croissance d'une autre nature.
Résistance au changement
Qu'est ce qui caractérise la trajectoire institutionnelle de notre pays durant les deux dernières décennies ? Si l'on examine la façon dont la réforme s'est effectivement déroulée dans le temps long, on peut relever, entre autres, la résistance farouche au changement de l'environnement externe, l'omniprésence du politique, l'absence manifeste de cohérence, synonyme d'absence de projet économique, le poids déterminant des contraintes, et l'ambiguïté de la séquence des réformes.
Rétrospectivement, et à première vue, on ne peut ne pas faire le constat d'une résistance du régime rentier à la crise. Cependant, cette résistance doit être relativisée et analysée à la lumière de la succession chronologique des contraintes ayant engendré la crise. Autrement dit, la résistance du régime rentier à la crise qui le secoue à chaque fois que le marché mondial des hydrocarbures montre des signes d'effondrement s'explique moins par la solidité des configurations institutionnelles nationales face au changement de leur environnement externe que par le caractère conjoncturel, et donc limité dans le temps, de ce changement.
La reprise des cours du pétrole sur le marché mondial survient toujours avant que le changement institutionnel n'ait encore consolidé ses nouvelles configurations ou ses nouvelles assises, empêchant ainsi que le changement n'atteigne le stade de l'irréversibilité, notamment du point de vue de l'autonomisation de la sphère économique par rapport au politique. Ceci dit, l'autonomie de la sphère économique par rapport au politique relève d'une dynamique, en ce sens que le changement, quand il se produit, peut aller dans un sens (plus d'autonomie) comme dans l'autre (moins d'autonomie).
De ce point de vue, les premiers signes annonciateurs des revirements en matière de changement peuvent être situés au milieu des années 1990. S'en est suivi un relâchement manifeste depuis l'expiration de l'accord avec le FMI, en 1998, relâchement qui a pris, à la faveur de la reprise soutenue des cours du pétrole, les allures d'une inertie institutionnelle tout au long des années 2000.

L'omniprésence du politique
L'idée de l'omniprésence, ou plus exactement, de la primauté du politique comme facteur du changement est une hypothèse centrale pour appréhender la réalité du changement institutionnel en Algérie. C'est là une considération dont il convient de tenir compte lorsqu'il s'agit d'évaluer le rôle de la délibération politique dans la définition d'une réforme institutionnelle ; celle-ci jouant de toute évidence un rôle essentiel dans le processus de réforme.
Que peut-on retenir de l'omniprésence du politique dans la définition et la mise en œuvre du changement institutionnel en Algérie ?
Il convient d'abord de remarquer que jusqu'au jour d'aujourd'hui, et à l'exception de la période de l'ajustement structurel où le FMI exerçait de fait un pouvoir de tutelle sur la conduite de la politique macroéconomique, tous les changements qui ont eu lieu sont le fait du pouvoir politique, et non de la société dite civile. Le pouvoir politique a toujours été à l'origine de l'impulsion principale qui a entraîné le changement (et son blocage, serions-nous tenté d'ajouter). L'omniprésence du politique signifie en l'occurrence absence de la société civile.
Il va sans dire qu'une telle situation trouve son origine dans le fait que l'Etat est le détenteur exclusif de la rente pétrolière, ce qui lui permet d'être le seul responsable des modalités de son utilisation. La conséquence en est que le poids relatif des partenaires sociaux (syndicats, patronat, associations, …) est insignifiant face à celui de l'Etat ( ).
Par ailleurs, il convient de noter que, très souvent, l'attitude des acteurs en présence vis-à-vis des réformes ne correspond pas à celle qui, logiquement, devrait être la leur. Ainsi, la vision classique selon laquelle l'intérêt bien compris des acteurs collectifs en présence devrait les conduire à adhérer à une réforme s'avère en l'occurrence dénuée de fondement puisqu'elle est loin de correspondre à la réalité ( ).
Une autre caractéristique réside dans le fait que, même centralisé, le pouvoir étatique en Algérie semble ne pas avoir saisi qu'une stratégie politique affirmée peut profiter d'une conjoncture favorable pour lancer une réforme qui entend répondre par anticipation à des difficultés qui ne se sont pas encore manifestées. Le retournement favorable de la situation sur le plan externe à partir de la fin des années 90 ne semble pas avoir freiné les tentations de recourir aux solutions de facilité qui ont de tout temps caractérisé les pratiques économiques de l'Etat lors de conjonctures favorables.
Un dernier aspect mérite d'être souligné. Il se rapporte à la nature du système politique en Algérie. Celle-ci rend difficile l'interprétation du rôle régulateur des institutions, et ce en raison du développement de ce que D. North appelle les « dual use institutions ». En effet, la rente issue du secteur des hydrocarbures a permis le développement de réseaux clientélistes informels opérant sous le couvert des institutions officielles. Dans ce contexte, beaucoup d'actes de régulation ou de mesures de changement obéissent davantage à des logiques de luttes entre clans qu'à des nécessités économiques. L'économie continue ainsi de subir l'interférence politique des pouvoirs, formel et informel, qui empêchent l'émergence et le fonctionnement des institutions indispensables à la création d'un environnement favorable à une croissance stable, durable, et autonome du secteur des hydrocarbures.
Absence de cohérence, synonyme d'absence de projet
A l'exception peut-être de la période courte dite des réformateurs (1990-1991) où manifestement une certaine cohérence se dégageait de la multitude de mesures de réforme engagées ( ), l'absence de cohérence semble être une caractéristique majeure des politiques de changements institutionnels mises en œuvre durant ces deux dernières décennies.
Un examen critique des politiques de réforme n'a, à cet égard, d'intérêt que dans la mesure où il mettrait l'accent sur la compatibilité logique des évolutions institutionnelles avec la dépendance de sentier ( ) et sur la compatibilité entre régulations partielles. Or, comme le souligne B. Theret ( ), l'histoire n'est, en pratique, loin d'être logique, notamment dans les périodes de crises. De plus, les décisions en matière de politique économique ne sont pas toujours aussi simples que ne le suggère le raisonnement économique pur : le poids de l'histoire, la complexité et les lourdeurs des processus de prise de décisions politiques, les considérations idéologiques, … interviennent pour beaucoup. C'est ainsi qu'on a pu observer, tout au long des années 1990 et 2000, beaucoup de réformes suivies de contre-réformes, des ajustements fondés sur des recettes universelles qui se sont souvent avérées peu adaptées au contexte local.
Bien que la multiplicité des facteurs qui gouvernent le changement institutionnel nous conduise à admettre l'inexistence d'un modèle canonique en la matière, il n'en demeure pas moins que sans la présence d'un projet économique approprié, politiquement assumé et effectivement pris en charge, il y a lieu de s'attendre à ce que la quête d'une cohérence pour les réformes soit vaine. En d'autres termes, l'absence de cohérence de la réforme traduit l'absence de projet de réforme.
Le poids des contraintes
Il n'est pas inutile de rappeler que, souvent, c'est sous la contrainte, prenant notamment la forme de déséquilibres financiers majeurs (déficits budgétaires, déficits des entreprises publiques…) ou de problèmes macroéconomiques préoccupants (balance des paiements), qu'apparaît la nécessité de réformes et que ces dernières sont mises en œuvre.
Dans le cas spécifique de l'Algérie, il semble que c'est le durcissement des contraintes internationales qui mérite une attention particulière dans la mesure où elles tendent à s'imposer plus directement à l'ensemble de la collectivité nationale. Alors qu'ailleurs la pression d'un durcissement de la concurrence internationale a imposé des réformes du droit du travail (pour devenir moins protecteur et plus flexible), de la fiscalité, du budget, … ; dans le régime rentier qui est le nôtre, la rente pétrolière semble jouer le rôle d'un mur protecteur, comprimant considérablement, au point de la rendre quasiment absente, la pression de la concurrence internationale.
Le poids des contraintes soulève par ailleurs d'autres questions importantes. Ainsi, si la dureté des contraintes n'est pas de nature à favoriser le succès des réformes institutionnelles, il peut sembler cependant plus facile de procéder aux réformes dans le contexte de hausse des revenus pétroliers, ne serait-ce que parce que, dans ce contexte, il est plus aisé de compenser les gains des perdants grâce à des procédures de redistribution. Or, l'expérience de ces deux dernières décennies montre que c'est plutôt l'inverse qui se produit dans le pays.
En effet, force est de remarquer que les quelques tentatives de modernisation des institutions, enregistrées ces dernières années, ont été entreprises suite aux pressions exercées par les institutions de crédit internationales et aux contraintes posées par des déséquilibres intérieurs intenables. Mieux encore, les quelques améliorations constatées ont été réalisées durant les années 90 lorsque le pays traversait une grave crise des paiements. Plus récemment, les paiements externes sont devenus excédentaires, confortés par des prix du pétrole élevés, et les soutiens politiques extérieurs se sont renforcés, particulièrement depuis les événements du 11 septembre 2001. Dans cette conjoncture des plus favorables, le pouvoir politique ne semble guère incité à envisager de véritables réformes, d'où la persistance d'un statu quo.
Séquence et vitesse des réformes
La question de la séquence des réformes se pose souvent dans le débat théorique sur le déroulement temporel du changement institutionnel. Il est en effet très important d'analyser, entre autres, les raisons pour lesquelles certaines réformes sont appliquées plutôt que d'autres et pourquoi certaines réformes sont appliquées simplement comme une réponse à une conjoncture particulière, tandis que d'autres s'inscrivent dans le cadre plus large d'un programme complet…Bref, la question de la séquence des réformes se réfère à l'ordre auquel les mesures de changement dans les configurations institutionnelles doivent être mises en œuvre dans un processus de changement institutionnel cohérent et global. Par ailleurs, d'un point de vue pratique, la séquence des réformes est importante parce qu'elle détermine la faisabilité et le succès de celles-ci.
Dans la littérature économique consacrée à la question de la réforme dans les pays en développement, on distingue habituellement entre stabilisation (ou ajustement) et réforme structurelle, la première produisant des effets se manifestant sur le court terme et la seconde sur le moyen et long terme. Cette distinction permet d'envisager la question de la séquence des réformes en termes de choix entre deux alternatives : stabilisation suivie d'une réforme structurelle, ou stabilisation et réforme structurelle menées simultanément. Pour beaucoup d'économistes, l'idéal serait que le changement structurel précède l'ajustement macroéconomique. Dans ces conditions, la stabilisation pourrait s'appuyer sur les effets de politiques de long terme déjà en application au moment où intervient le choc déstabilisateur. Cela est évidemment impossible lorsque c'est précisément le choc extérieur qui sert de révélateur d'insuffisances qui manifestement étaient déjà présentes, mais dont l'économie avait pu, par différents biais (comme l'endettement extérieur, par exemple), s'accommoder, comme cela semble avoir été particulièrement le cas de l'économie algérienne au lendemain du contre choc pétrolier de 1986.
Dans son analyse de la question de la réforme, Ph. Hugon insiste sur les conséquences à long terme du changement institutionnel. Pour l'auteur, la transformation en profondeur de l'économie en développement nécessite la constitution d'un contexte institutionnel favorable. Et l'auteur de rappeler que, contrairement à une idée reçue, le « modèle asiatique », souvent présenté comme exemple de réussite d'un décollage économique des pays anciennement sous développés, repose largement sur un secteur exportateur subventionné, une industrie destinée au marché intérieur protégé, une grande flexibilité du système productif et une libéralisation interne permettant la constitution d'un vrai marché sous l'impulsion d'un Etat fort. Fort de ce constat, l'auteur en déduit des séquences optimales pour les réformes dans les pays en développement. Ainsi, celles-ci devraient, selon lui, suivre le cheminement suivant : 1) la stabilisation économique ; 2) la libéralisation du secteur réel national ; 3) la libéralisation financière ; 4) la libéralisation extérieure commerciale et des capitaux. Le plus important dans un changement institutionnel étant que « les réformes doivent concilier le temps des apprentissages nécessaires et la nécessité de casser des rentes par des réformes structurelles radicales » ( ).
Ce schéma séquentiel est intéressant à plus d'un titre. D'abord parce qu'il semble privilégier la libéralisation interne à la libéralisation extérieure. Ensuite, parce qu'il met, dans la chronologie des changements, la libéralisation commerciale extérieure en dernière position, au même titre que celle des capitaux.
En Algérie, le changement effectif semble avoir suivi un cheminement qui, manifestement, ne correspond pas au schéma optimal décrit par Ph. Hugon. La stabilisation macroéconomique qui s'est imposée suite à l'exacerbation des problèmes de balance de paiements a été réalisée concomitamment avec une ouverture brutale et inconsidérée des frontières nationales. La libéralisation des opérations du commerce extérieur et le démantèlement tarifaire, qui s'est réalisé en un laps de temps très court, ont fini par déstructurer l'économie réelle interne, rendant vaine et inutile toute démarche visant à améliorer la compétitivité extérieure du pays.
Il convient, enfin, de mentionner une caractéristique au sujet de ce que la littérature économique de la réforme désigne par «vitesse de la réforme» ( ). D'aucuns estiment en effet qu'à l'exception des mesures de réforme entrant dans le cadre du PAS, mesures qui, du reste, sont techniquement faciles à mettre en œuvre, les autres réformes, structurelles pour l'essentiel, ont connu un rythme très lent dans leur mise en œuvre. Il en est ainsi notamment de la privatisation des entreprises du secteur public industriel, de la définition d'une politique industrielle, de la politique du crédit, du statut économique du secteur privé, etc.
Pour conclure, remarquons, à la suite de C. Ominami ( ), que dans les pays qui ont réussi la mise en œuvre d'un fordisme périphérique (Corée du Sud, Brésil, Mexique…), la transition institutionnelle s'est souvent opérée selon le modèle basé sur la séquence économique « taylorisation primitive – fordisme périphérique – fordisme autonome». Dans un pays à régime rentier, la question n'est pas tant de savoir si, pour réussir, la transition institutionnelle doit emprunter le chemin qu'une telle séquence indique, mais plutôt de savoir si une telle transition est possible. La «taylorisation primitive», désignant la phase initiale du processus, est en effet une formule qui désigne une configuration du rapport salarial des plus extrêmes, c'est-à-dire la plus favorable au capital et la plus contraignante pour le travail. La présence d'une rente d'origine externe et qui, plus est, est à la disposition exclusive d'un Etat davantage soucieux de l'unité politique de la collectivité nationale que d'un usage «conflictuel» de celle-ci, rend plus hypothétique l'éventualité qu'une telle séquence survienne.
Samir Bellal : Maître de conférences. Université de Guelma.
[email protected]
-1 C'est l'expression consacrée par la littérature économique néoclassique pour désigner les comportements ou les activités tournées exclusivement vers la recherche et le captage des rentes.
-2 On retrouve là une situation déjà décrite par L. Addi dans son œuvre pionnière « L'impasse du populisme », dont une partie est consacrée à la sociologie des pratiques économiques de l'Etat. Bien que traitant d'une période aujourd'hui révolue, son analyse des rapports entre Etat et société civile garde toute son actualité et, à beaucoup d'égards, toute sa pertinence.
-3 Pour l'anecdote, le FCE (Forum des Chefs d'Entreprises), notre MEDEF local, a cru opportun de demander, en 2007, aux pouvoirs publics de réévaluer la monnaie nationale afin, soutient-il, de renforcer le pouvoir d'achat des ménages, mis à rude épreuve par le renchérissement des prix des produits alimentaires, pour l'essentiel importés. Fait significatif, le FMI ne tardera pas à lui emboîter le pas quelques mois plus tard.
-4 Pour beaucoup de nos économistes en vue (Hidouci G, Dahmani A, Gouméziane S, …), les programmes politiques des gouvernements qui ont succédé aux « réformateurs » sont d'une indigence consternante au plan économique. Ce jugement est sans doute exagéré, mais il n'en exprime pas moins un sentiment largement partagé.
-5 La notion de dépendance de sentier, forgée par le courant de la nouvelle économie institutionnelle, renvoie à l'idée que l'orientation du changement doit être a peu prés cohérente avec l'héritage institutionnel existant.
-6 Théret B, (1992). Régimes économiques de l'ordre politique. Esquisse d'une théorie régulationniste des limites de l'Etat. PUF, Paris.
-7 Hugon P, (2006). L'économie de l'Afrique. La découverte, Paris.
-8 Le problème de la vitesse, ou du rythme, des réformes, qui est l'un des aspects récurrents abordés par la littérature économique de la réforme, se pose en termes d'identification des facteurs qui expliquent pourquoi les programmes de réformes, une fois qu'ils ont été sélectionnés et adoptés, sont parfois appliqués instantanément et parfois graduellement. Le rythme des réformes n'est pas moins important que son contenu. Dans « La grande transformation », Polanyi écrit : « Souvent, le rythme du changement n'a pas moins d'importance que sa direction ; mais s'il est fréquent que celle-ci ne relève pas de notre volonté, il se peut fort bien que dépende de nous le rythme auquel nous permettons que le changement survienne ».
-9 Op. Cit.


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