Acculé par la pression de la rue, Hosni Moubarak a tenté une manœuvre pour «sauver sa tête et son régime». Face à l'accélération des événements, il a nommé, hier, le chef des services secrets, Omar Souleïmane (74 ans), au poste de vice-président et un ancien militaire, Ahmed Chafic, pour former un nouveau gouvernement. La veille, Hosni Moubarak, retiré dans la station balnéaire de Charm El Cheikh, s'est adressé à la nation dans un discours jugé par l'opposition et la rue en dissidence «très négatif car il ne répond pas aux exigences du peuple égyptien qui réclame son départ», a déclaré Abdelhalim Kendil, coordinateur du mouvement Kifaya. Moubarak a annoncé la dissolution du gouvernement de Ahmed Nazif et usé d'un ton menaçant à l'égard des manifestants. Mais son autorité semble altérée face un peuple égyptien déterminé à en finir enfin avec «un régime despotique en place depuis trente ans», a indiqué George Ishak, un des animateurs du mouvement Kifaya. Ainsi, les manifestations se sont radicalisées alors que les forces armées ont pris position dans toutes les villes du pays. Les affrontements entre manifestants et services de sécurité, qui ont fait près de 100 morts, ont laissé place à des manifestations pacifiques après que les blindés de l'armée aient été accueillis à bras ouverts par les manifestants. Ces derniers ont bravé, pour le deuxième jour, le couvre-feu imposé par le Président. Les Egyptiens ont continué à manifester durant toute la nuit d'hier, réclamant le départ de Moubarak et l'instauration d'un régime démocratique au pays du Nil. Ils étaient des centaines de milliers à occuper les principales places au Caire, à Alexandrie, à Suez, El Mahala et autres villes du pays. Les menaces du ministre de la Défense contre toute personne bravant le couvre-feu n'ont pas eu l'effet escompté. Alors que des milices tentent de semer le trouble lors des manifestations, les Egyptiens commencent à mettre sur pied des comités populaires pour protéger les personnes et les biens. Par ailleurs, le leader de l'opposition et président du Comité national pour le changement, Mohamed El Baradei, a appelé les Egyptiens à continuer à manifester «pacifiquement jusqu'à faire tomber le régime de Moubarak». Il a sévèrement critiqué la nomination de Omar Souleïmane et Ahmed Chafic, respectivement vice-président et chef de gouvernement, car pour lui, il s'agit de «la militarisation du régime et la consécration de l'approche sécuritaire dans la gestion d'une crise politique grave». Dans une déclaration à la chaîne Al Jazeera, l'ancien directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique a indiqué que «seul un changement radical au sein du pouvoir, avec le départ de Moubarak et l'amorce d'un processus de transition, pourrait sauver le pays. Le mouvement de contestation qui mobilise de plus en plus veut un changement de régime». De son côté, le coordinateur du mouvement Kifaya, Abdelhalim Kendil, dans une déclaration à El Watan, a dénoncé «une manœuvre de Moubarak qui tente de sauver son régime alors que la rue est unanime à exiger son départ du pouvoir. Nous voulons en finir avec un despotisme qui a écrasé tout un peuple pour se maintenir». Tout en estimant que la révolte qui s'est emparée de l'Egypte depuis cinq jours, M. Kendil a émis des propositions pour sortir de «ce bras de fer qui oppose un peuple déterminé à un pouvoir aveuglé par la corruption». «Il est urgent que le Président se retire avant qu'il ne soit chassé comme le président tunisien ; il est urgent de dissoudre toutes les institutions issues de la fraude, de former un gouvernement de salut national et d'élire une Assemblée constituante», préconise M. Kendil. En somme, les Egyptiens sont en passe de mener leur révolution contre un des régimes les plus cruels de la région. Si le président Moubarak s'accroche mordicus au pouvoir, le peuple égyptien, qui s'est soulevé tel un volcan, est bien parti pour déloger «le pharaon du Caire». Pas facile de tenir face à la violence de la crue du Nil.