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De l'installation à l'enracinement
Déportés algériens de Nouvelle-Calédonie
Publié dans El Watan le 14 - 08 - 2009

Avec le développement de leurs concessions agricoles, les familles de déportés algériens s'agrandissent petit à petit pour donner naissance à une communauté attachée à ses origines, à sa religion et à ses coutumes ancestrales.
Malgré le mutisme gardé par les anciens sur leur passé, les descendants de ces déportés ont, tant bien que mal, tout fait pour transmettre ces repères aux générations futures. En participant pleinement au développement de leur pays d'adoption, cette communauté s'est complètement intégrée au pays sans avoir à renier son passé, sa religion et sa culture. L'exemple le plus marquant est celui de Taïeb Aïfa, actuellement maire de la ville de Bourail, une personnalité politique incontournable pour les grands problèmes sociaux politiques de Nouvelle-Calédonie. A leur arrivée en Nouvelle-Calédonie, la plupart des déportés algériens ont été logés dans l'île des Pins, une île vierge où tout était à faire. Certains décéderont dans cette île et seront enterrés dans le cimetière spécialement aménagé pour enterrer les révoltés de la commune de Paris. Ali Ben Galouza, né en 1821 à Draâ El Mizan, suite à son implication dans le soulèvement de 1871, est condamné à la déportation le 20 mai 1873 par la cour d'assises de Constantine. Il meurt le 17 novembre 1875 et sera enterré dans ce cimetière avec ses compagnons d'infortune de la commune de Paris. Sa tombe porte le numéro 103. D'autres algériens seront aussi enterrés dans ce cimetière des communards, on peut aussi citer Tahar Ben Akli ; lui et Ali Ben Galouza figurent dans la stèle commémorative du cimetière. La création d'un cimetière musulman à Nessadiou va entraîner le regroupement des déportés algériens dans cette vallée. Leurs épouses n'étaient pas autorisées à rejoindre leurs époux, ils finiront par se marier à des Européennes.
1896 - Création du cimetière musulman
Avec l'âge s'est posé le problème du cimetière de cette communauté musulmane. Ils se sont entendus pour soumettre cette question aux autorités administratives locales. Lors de la séance du 18 juillet 1896 de la commission, Charles Metzer soulève cette question et demande à cette commission « pour savoir s'il y aurait ou n'y aurait pas d'inconvénients à créer, à Nessadiou, un cimetière arabe ». A l'unanimité, la commission déclare n'en voir aucun et émet le vœu de donner satisfaction à ces professants d'un culte essentiellement différent, mais à la condition que les « arabes » soient seuls chargés, et à leurs frais, de tous les travaux d'entretien… (Extraits du registre des délibérations) Sidi Moulay, en voulant traverser à cheval par temps de grande pluie la rivière, s'est noyé. C'était un grand marabout très respecté. Le vieux Miloud, au nom de la solidarité communautaire, propose de l'enterrer sur son terrain. Il fait don d'une de ses concessions pour créer le cimetière musulman actuel de Bourail. Le marabout Sidi Moulay est enterré dans un coin de ce cimetière. Sa tombe devient un lieu de recueillement, où les vieux, autrefois, déposaient de l'argent et formulaient des vœux. Avec le temps, le nombre de tombes s'est accru, les plus anciennes n'ont malheureusement aucune inscription. Avant, les vieux n'inscrivaient pas les noms de leurs morts sur les stèles. En guise de stèles, ils utilisaient des pierres tombales peintes en blanc. L'entretien de ce cimetière est entièrement pris en charge par la communauté par le biais de l'Association des Arabes de Nouvelle-Calédonie. A l'intérieur du cimetière est planté un palmier orienté vers la Mecque et servant de kebla pour l'enterrement des morts. A côté de ce cimetière se trouve un hangar aménagé avec une petite cuisine et une salle avec des tables et des chaises. Des cérémonies de célébrations et de commémorations d'êtres chers disparus sont organisées par des familles, tous les membres de la communauté y sont invités à manger et à partager ce moment de recueillement avec la famille organisatrice. Ces rencontres rituelles sont assez appréciées par tous, elles leur permettent de se retrouver, y compris ceux de la communauté qui vivent loin de Bourail.
Cimetière musulman de Nessadiou
L'étape suivante a été de doter la ville d'une mosquée, c'est chose faite depuis un peu plus de 10 ans. Le regretté Mohamed Seddik Taouti sera l'un des grands artisans de la construction de cette mosquée, il apportera son aide et sa grande contribution en vue de réunir les fonds nécessaires pour son achèvement. Cette année, une plaque commémorative au nom de cet illustre bienfaiteur a été apposée à l'entrée de ce qui s'appelle maintenant le centre islamique de Bourail. Ce centre est situé à proximité du cimetière. Le vieux Jean-Baptiste Barretteau, voisin et ami des déportés algériens, mort en 1911, est, suite à sa demande, enterré au cimetière musulman de Nessadiou avec son oncle et sa fille Louise. On raconte qu'il a été enterré dans le cimetière par les anciens et que ces derniers avaient accepté la présence de croix sur leurs tombes. Une des conditions posées par les anciens est que la prière du curé soit dite sur les tombes et non dans tout le cimetière. Ce geste de tolérance a toujours été considéré comme un signe de reconnaissance envers des amis, des voisins et surtout des compagnons d'infortune. Par la suite, ce précédent a donné lieu à des polémiques soulevées par les jeunes des nouvelles générations de descendants de déportés d'origine musulmane. Le message transmis par les vieux, en répondant favorablement à la demande de leurs amis et voisins chrétiens d'être enterrés parmi eux, est un message de tolérance. On raconte aussi que ces vieux arabes étaient stricts, mais tolérants.
Mosquée de Bourail
Beaucoup de descendants de déportés algériens ont parfaitement réussi leur intégration dans ce pays. Celui qui symbolise mieux la réussite sociale et l'intégration dans ce pays de ces descendants de déportés algériens est sans contexte Aïfa Taïeb, surnommé le « calife ». Il est né le 31 octobre 1938 à Bourail et il est fils d'un transporté algérien. Il a d'abord été un grand sportif, lors des jeux du Pacifique Sud qui se sont déroulés dans les îles Fidji en 1963, il a gagné la médaille d'or au 3000 mètres steeple. Après une activité syndicale, il se consacre à la politique, il sera maire de Bourail de 1977 à 2001 et de 2008 à ce jour. Lors d'une visite de travail en Nouvelle-Calédonie, l'ancien ministre français d'origine algérienne, Azzouz Begag, s'est rendu au cimetière musulman de Nessadiou. Taïeb Aïfa prend la parole et lui déclare : « Vous êtes dans notre lieu de mémoire. » Il ajoute : « Les vieux couchés, là, avaient été exilés de leurs terres souvent données à des colons, puis installés sur des terres prises à des tribus. Pour eux, l'histoire s'est inversée. La colonisation qu'ils subissaient en Algérie, ils en sont malgré eux devenus les agents, pour survivre ici. » Taïeb Aïfa a visité à plusieurs reprises l'Algérie, dont il est devenu un fervent défenseur sur la scène internationale. On peut aussi citer Kader Boufenèche, petit-fils de transporté algérien, qui s'est beaucoup investi dans la communauté. Actuellement à la retraite, il a été président de l'Association des Arabes de Nouvelle-Calédonie. Sa participation à la construction de la mosquée de Bourail a été déterminante. Il a lui aussi visité l'Algérie à plusieurs reprises.
Une communauté solidaire Cette communauté soudée s'est construite à partir d'une base de solidarité héritée d'un passé douloureux. Les anciens déportés algériens ne parlaient presque pas de leur passé, un silence devenu pesant pour les nouvelles générations. Elles voulaient comprendre l'histoire de leurs parents et surtout de rechercher leurs racines. On retrouve dans leur comportement dans la société certaines coutumes ancestrales algériennes transmises sans doute par leurs parents. Un des exemples de solidarité agissante est celui de Yasmine Mistoura, fille de déporté algérien. Agée et fatiguée, après une longue carrière médicale ponctuée par une médaille de mérite, a pris sa retraite et s'est installée seule à Nouméa pour rejoindre ses enfants. Cette femme extraordinaire est respectée au sein de la communauté. Elle me racontait que ces anciens amis de Bourail, à chaque fois qu'ils venaient à Nouméa, lui rendaient systématiquement visite. Elle était particulièrement heureuse de les retrouver. De par sa vertu, sa sagesse et sa longue expérience, elle était en quelque sorte le modérateur de la communauté. Elle a aussi visité à plusieurs reprises l'Algérie. Elle et ses enfants sont en contact avec des membres de sa famille, résidants du Khroub. Un oued du Khroub porte d'ailleurs le nom de leur famille, Mistoura.


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