L'armée égyptienne, à qui l'ex-président Hosni Moubarak a confié les rênes du pays, est confrontée à la tâche colossale de restaurer la stabilité tout en répondant aux aspirations du changement démocratique, mais a donné peu d'indications précises sur comment y parvenir. Le Conseil suprême des forces armées, dirigé par le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, est chargé de «gérer les affaires du pays», et a déclaré que l'armée serait garante d'élections «libres et transparentes». Première annonce : «mettre un terme à l'état d'urgence en vigueur tout au long de la présidence de Moubarak, dès que la situation serait redevenue normale». L'armée égyptienne, qui a fait communion avec son peuple, a promis «une transition pacifique du pouvoir menant à une société démocratique libre». C'est en fait la phase la plus délicate pour l'avenir du pays. En attendant de lancer les jalons de la nouvelle Egypte, elle assure, chose qui est très importante dans l'étape actuelle, qu'elle ne voulait pas se substituer à la «légitimité voulue par le peuple» et a précisé qu'elle annoncerait plus tard des «mesures» pour répondre aux demandes de «changements radicaux» des manifestants. Mais dès que le quatrième communiqué du Conseil suprême des forces armées a fait part, hier, de son intention de maintenir le même gouvernement pour conduire les affaires, la réaction de la classe politique et des manifestants n'a pas tardé. Ils réclament un gouvernement de technocrates ou d'union nationale. Ayant déjà la sympathie des Egyptiens pour ne pas avoir marché avec le président déchu, l'armée égyptienne devrait prouver encore sa crédibilité en menant une transition sûre et bénéfique pour la démocratie. «Dès le début, l'armée s'est abstenue d'intervenir pour empêcher les manifestations, elle n'a pas joué le rôle que Moubarak aurait sans doute voulu qu'elle joue. Elle a préféré rester neutre et préserver sa position d'arbitre», estime Mustapha Kamel el-Sayyed, professeur de sciences politiques à l'université du Caire. «L'armée est perçue comme un garant, comme un médiateur, entre un pouvoir absent et la révolte de la rue», fait valoir Amr al Chobaki, de l'Institut al Ahram d'études politiques et stratégiques. Appréciée – à l'inverse de la police – par la population qui a souvent fraternisé avec la troupe lors des manifestations, l'armée n'a pas dit non plus quel processus concret elle comptait instituer pour réformer un système dont elle est l'épine dorsale. «Le départ d'un homme n'est pas la fin de tout. Le système répressif dont les Egyptiens ont souffert pendant trente ans n'a pas disparu», a estimé Amnesty International. Face à ces incertitudes, le vice-président américain, Joe Biden, a prévenu que les jours à venir seraient «délicats et lourds de conséquences». Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a appelé de ses vœux «l'établissement prochain d'un régime civil». La chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, a souhaité la mise en place d'un gouvernement «largement représentatif». Mais le vœu de la classe politique égyptienne ne semble pas être exaussé. La reconduction de l'équipe gouvernementale du régime de Moubarak pose une véritable problématique. L'armée égyptienne est en face d'un défi de changement radical. C'est sa crédibilité qui est en jeu.