C'est encore la liesse dans les rues de la capitale égyptienne où des milliers de personnes célébraient depuis la veille à place Tahrir, au Caire, le départ du président, chassé par la rue. La joie était ainsi à son comble même si de lourdes incertitudes pesaient sur l'avenir du plus peuplé des pays arabes, dont les rênes ont été confiées à l'armée. Des milliers d'Egyptiens euphoriques étaient encore rassemblés, hier en début de matinée, sur la place Tahrir, épicentre de la révolte lancée le 25 janvier, beaucoup y ayant passé la nuit sur place. L'armée, elle, commençait à enlever les barricades et barbelés autour de la place. L'armée, assistée dans ses efforts par des civils qui nettoyaient la place, retirait également les carcasses de voitures brûlées, traces des affrontements ayant opposé forces de l'ordre, pro et anti-Moubarak au plus fort de la révolte qui a fait au moins 300 morts. Certains chars stationnés au milieu des rues ont commencé de se ranger sur le côté, mais d'autres étaient encore en position. La presse gouvernementale égyptienne, qui affiche d'ordinaire un soutien sans faille au régime, saluait hier la “révolution des jeunes”. “Le peuple a fait tomber le régime”, “Les jeunes d'Egypte ont obligé Moubarak au départ”, titrait ainsi en une Al-Ahram, poids lourd de la presse gouvernementale. Transition vers la démocratie “Tenant compte des revendications de notre grand peuple qui souhaite des changements radicaux, le Conseil suprême des forces armées étudie (ces revendications) et publiera des communiqués qui préciseront les mesures qui vont être prises”, a-t-elle indiqué vendredi soir. Vendredi matin, alors que Hosni Moubarak était encore président, mais qu'il avait délégué ses prérogatives à son vice-président Omar Souleiman, ce conseil avait affirmé qu'il garantirait “une élection présidentielle libre et transparente”. Il avait aussi promis de mettre fin à l'état d'urgence, en vigueur depuis 1981, “dès la fin des conditions actuelles”. Le nouvel homme fort du pays est désormais le ministre de la Défense Mohamed Hussein Tantaoui. Âgé de 75 ans, il est à la tête du Conseil suprême des forces armées, une commission de dirigeants militaires qui a pris la direction de l'Egypte. “L'Egypte d'aujourd'hui est une nation libre et fière”, s'est félicitée la figure la plus en vue de l'opposition, Mohamed El Baradei, sur Twitter. “Mon message au peuple égyptien est que vous avez gagné la liberté. (...) Faisons-en le meilleur usage”, a-t-il déclaré plus tôt sur Al Jazeera. Les Frères musulmans ont de leur côté salué “l'armée qui a tenu ses promesses”. Le président américain Barack Obama a affirmé que l'Egypte “ne sera(it) plus jamais la même” et appelé l'armée à assurer une transition “crédible” vers la démocratie. Tâche colossale de l'armée L'armée est confrontée désormais à la tâche colossale de restaurer la stabilité tout en répondant aux aspirations au changement démocratique. Et l'incertitude règne aujourd'hui sur la manière dont cette institution, adepte du culte du secret, s'y prendra. Pour l'instant, elle ne s'est exprimée que par trois brefs communiqués lus à la télévision d'Etat. Appréciée -à l'inverse de la police- par la population qui a souvent fraternisé avec la troupe lors des manifestations, l'armée n'a pas dit non plus quel processus concret elle comptait instituer pour réformer un système dont elle est l'épine dorsale.