Quand il reste à l'Unique que des expédients datant des années de plomb pour faire face à la situation nouvelle créée par la lame de fond qui secoue actuellement les régimes totalitaires dans le monde arabe et qui évidemment n'épargne pas l'Algérie, c'est qu'il n'y a plus aucun espoir de voir cette «boîte» se réconcilier avec elle-même pour s'affranchir des pesanteurs idéologiques qui la maintiennent dans un état de soumission perpétuel au pouvoir malgré les recommandations venues d'en haut invitant les médias lourds à être plus «ouverts» sur les événements. On pensait que l'instruction du premier magistrat du pays, incitant la Télévision et les radios d'Etat à une plus grande liberté d'expression en direction notamment de l'opposition politique jusque-là complètement muselée, allait servir de quitus au petit écran national pour se mettre à jour et donc commencer à assurer correctement et véritablement sa mission de service public. Peine perdue, car ni les tentatives du ministre de la Communication pour essayer de professionnaliser le travail des journalistes, ni la démarche, bien que tardive, du président de la République à lâcher du lest en matière de communication pour se prémunir des signes de révolte en faveur de la démocratie et de la liberté d'opinion qui ne sont jamais démentis, n'ont réussi à peser sur le comportement suicidaire des décideurs du boulevard des Martyrs. De deux choses l'une : ou ces recommandations pourtant très officielles sont purement virtuelles et donc prises juste pour la galerie, ou bien alors c'est cette tête pensante de l'Unique qui, en voulant être plus royaliste que le roi, s'avère plus que jamais atteinte d'une maladie incurable, un égocentrisme dangereux qui peut, face à la somme d'imprévus, lui coûter très cher. Au moment donc où les Algériens attendaient de voir les initiateurs de la dernière marche populaire organisée à Alger, pour exiger un changement du régime, marche violemment réprimée par un impressionnant service de sécurité, venir à l'écran exposer les arguments de leurs revendications et expliquer comment les choses se sont réellement déroulées à la place du 1er Mai, ils eurent droit aux discours récurrents des sempiternels lampistes du pouvoir qu'on sort à chaque occasion des pochettes surprises pour taper sur l'opposition et qui, à force de faire dans le mensonge et l'invective, finissent par devenir franchement ridicules aux yeux de l'opinion publique. C'est au demeurant à juste titre que Ali Yahia Abdennour, l'une des figures de proue de la contestation, dénonce avec la plus grande vigueur le parti pris flagrant de la Télévision algérienne «qui a tordu les faits et occulté la réalité». L'ancien président de la LADDH accuse l'Unique de pratiquer honteusement la politique de l'intoxication et de la manipulation. Pour lui, la Télévision nationale ne saurait être autre chose que la télé des Algériens et des Algériennes et non celle du pouvoir. Dans cette course frénétique dans laquelle se sont engagés les courtisans de tous bords pour prendre la défense systématique du régime en place, le rôle que s'est attribué Louisa Hanoune est certainement le plus insolent qui puisse être dans une conjoncture politique effervescente qui incite plutôt à de la modération, voire à plus de circonspection. Celle qu'on appelait il n'y a pas si longtemps la passionnaria semble avoir définitivement choisi son camp en se mettant carrément du côté des gouvernants. La télé lui accorde aisément de la place pour vilipender la contestation qui vient de la rue, et c'est fort pertinemment que l'ancien député FFS, Djamal Zenati, lui a répondu au détour d'une interview accordée à notre journal en des termes très pointus : «L'ancienne militante acharnée de la révolution internationaliste a apparemment revu très à la baisse ses ambitions pour se contenter du triste rôle de baromètre de la République», écrit-il. M. Zenati affirme encore «qu'en décrétant que la marche du 12 février est celle des archs et en accusant les organisateurs d'être à la solde de l'Union européenne, notre lambertiste use d'une technique idéologique de dissuasion chère aux dictatures des années 1970 et qui consiste à brandir le spectre de l'ennemi intérieur et extérieur». La patronne du PT en a pris pour son grade, mais va-t-elle pour autant se résoudre à changer d'attitude en fonction de l'évolution des événements, elle qui a demandé au président de la République de parler au peuple lorsque la rue grondait ? Rien n'est moins sûr, mais dans l'affaire, c'est l'Unique qui mérite tous les affronts pour la partialité tendancieuse de ses communications. Le jeu est d'autant plus dangereux aujourd'hui qu'il participe d'une action d'intox, d'avance vouée à l'échec. Les responsables de l'Unique qui ont une chance de réhabiliter la vocation première du petit écran ne pourront pas dire demain qu'ils ne savaient pas. Sur une chaîne d'info continue française, un journaliste de la télévision d'Etat tunisienne a demandé pardon au peuple pour avoir sous-estimé le cours de la révolution qui a emporté Ben Ali.