Le commentaire d'El Watan intitulé « Grave ingérence wahhabite », paru dans la livraison du 14 août passé, n'a pas été du goût de la représentation diplomatique du royaume wahhabite à Alger. L'ambassade du royaume d'Arabie Saoudite à Alger a tenu à apporter des précisions en se défendant de toute « ingérence dans les affaires internes des pays ». Dans un droit de réponse adressé au journal El Watan avant-hier, l'ambassadeur d'Arabie Saoudite à Alger, Son Excellence Samy Ben Abdellah Salah, a tenu à faire part de son étonnement des propos contenus dans le commentaire en question et précise que « le royaume d'Arabie Saoudite, depuis sa constitution, est fondé sur le principe de non-ingérence dans les affaires internes des pays et voue un respect total à l'Algérie, gouvernement et peuple ». Mais sans pour autant nier le fait que son ambassade a remis directement des milliers d'exemplaires aux directions des affaires religieuses relevant des wilaya de Tizi Ouzou et de Béjaïa. Bien au contraire, l'ambassadeur le confirme. Il l'a bel et bien écrit dans sa lettre : « S'agissant des exemplaires du Coran offert au peuple algérien ami, ils ont été remis directement aux directions des affaires religieuses des wilayas de Tizi Ouzou et de Béjaïa. » C'est cela justement qui a été relevé dans le commentaire d'El Watan, qui rappelle à juste titre ce que dit la loi algérienne à ce sujet, en écrivant « la distribution du Coran relève uniquement des autorités algériennes (...) la réglementation exige que le pays donateur remette trois exemplaires du livre au ministre des Affaires étrangères, lequel les transmet au département de M. Ghlamallah ». Pour savoir si l'ambassade du royaume d'Arabie Saoudite en Algérie a respecté la réglementation en vigueur en Algérie avant de procéder à la distribution des exemplaires du Coran, le ministère des Affaires religieuses, par le biais de son porte-parole, Adda Fellahi, a indiqué que « le ministre a été mis au courant de l'opération et l'ambassade a traité directement avec les directions des affaires religieuses de Tizi Ouzou et de Béjaïa, sauf que la distribution a été faite par les Saoudiens eux-mêmes », contrairement a ce que prévoit la réglementation régissant ce genre d'activités. Le chargé de communication du ministère est clair là-dessus : « La distribution doit se faire normalement en présence d'un responsable du ministère. » Ce qui n'a pas été respecté ni par l'ambassade saoudienne ni par le département de Ghlamallah. Le chargé de communication du ministère des Affaires religieuses, qui s'est dit personnellement surpris d'apprendre que le Coran accompagné des tafsir a été diffusé, n'a pas indiqué si le contenu des exemplaires distribués a été soumis à vérification. Selon lui, la traduction du Saint Coran n'a pas été faite par le ministère des Affaires religieuses mais par un certain Mohand El Hadj, qui n'a aucun lien avec le département de Ghlamallah, alors que les services de la représentation diplomatique saoudienne affirmaient dans la précision adressée au journal que c'est bel et bien le ministère qui en a été à l'origine. Peu importe. Mais ce qui est aussi scandaleux dans cette affaire est le fait de désigner une région d'Algérie comme impie et qu'il faut donc l'islamiser à tout prix. Autre question que soulève cette opération menée par l'ambassade du royaume wahhabite : le choix de la région – la Kabylie – à laquelle a été destinée le don. Un autre responsable du département de Ghlamallah, s'exprimant sous couvert de l'anonymat, n'a pas caché son étonnement de voir des exemplaires du Coran circulant en dehors des autorités religieuses habilitées. Il a indiqué que « les tenants de l'idéologie wahhabite et salafiste se croient en terrain conquis et agissent comme si l'Algérie est leur territoire. Je dois dire à ceux qui pensent qu'en Kabylie on est moins musulmans, ils se trompent lourdement, les symboles de l'islam en Algérie, sont, pour la plupart d'entre eux, issus de cette région très attachée à l'Islam ». Notre interlocuteur n'a pas manqué de relever que « l'idéologie salafiste et wahhabite nuit sérieusement au rite malékite ». Et de dire que la collusion entre le salafisme et une partie des Algériens « nous a été fatale ». Le responsable n'a pas caché son inquiétude de voir « les salafistes explorer nos failles pour s'incruster et diffuser leur idéologie ». Une idéologie qui risque de « semer la confusion chez les fidèles et créer ainsi des conflits au sein d'une même mosquée si on prend pas garde », a-t-il conclu. D'autant plus que le « don » saoudien a été accompagné des explications (tafsir), ce qui est sujet à controverse. Ce propos vient justement conforter le contenu du commentaire d'El Watan où il est dit : « Le wahhabisme a financé le FIS et ses bras armés, l'AIS et le GIA, et, de ce fait, il a une lourde responsabilité dans les massacres de dizaines de milliers d'Algériens par le terrorisme islamiste. » C'est sans doute ce rappel historique et cette mise en garde qui ont mis mal à l'aise les Saoudiens. Au ministère des Affaires étrangères, on prend très au sérieux la question. Le responsable de la communication du département des Affaires étrangères, M. Mehdi, trouve naturel, du point de vue du principe, qu'une ambassade d'un pays diffuse des brochures informatives à l'occasion de sa fête nationale ou autre, cependant, il met en garde lorsqu'il s'agit du Coran. Il a déclaré que « s'agissant du Coran, un cas très particulier, il faut faire attention au contenu et à l'authenticité et il faut soumettre les exemplaires du Livre Saint à une stricte vérification avant d'avaliser une quelconque diffusion. Il est impératif de savoir si les exemplaires distribués ne sont pas porteurs de dérives ».