Un long canyon creusé à même la roche par Ighzer Amellal, des tapis de palmiers qui courent le long de l'oued, des villages traditionnels berbères construits sous forme d'escaliers accrochés aux falaises et des habitations troglodytes nichées dans ces falaises dont la profondeur peut aisément atteindre le kilomètre en certains endroits. Dépaysement garanti. La légende raconte qu'un certain Slimane Oumansour, ancêtre des habitants de Ghoufi, habitait la montagne de l'Azeggagh Umag (Ahmer kheddou), voilà de cela plusieurs siècles. Un jour, il a eu l'idée de s'installer dans le canyon de Ghoufi avec ses trois frères pour passer l'hiver. C'est ainsi qu'il aurait donné naissance à tous les villages que l'on voit encore aujourd'hui accrochés aux parois des falaises de l'un des plus beaux défilés du monde. Les biens les plus précieux des habitants étaient cachés dans des greniers ou des forts. Ainsi, «Slah azizaw», les «armes vertes», constituées par les stocks de céréales, étaient cachés dans des greniers collectifs érigés en forteresses que l'on peut encore admirer en beaucoup d'endroits. «Slah Oucartouche», «les armes à feu», étaient dissimulées dans la montagne, dans des caches secrètes connues des seuls «iwqaffen», les sages des villages. Ghoufi a été classé site naturel en 1929, de l'entrée des Gorges de Tighanimine jusqu'à Ahechane. Son classement aujourd'hui en tant que site historique ne lui vaut aucune prise en charge, même la plus élémentaire qui consiste à mettre quelques gardiens sur le site. Pourtant, un décret présidentiel d'avril 2010 pour la restauration des balcons de Ghoufi a bien été promulgué. Il est resté jusqu'à présent sans suite, mais, selon le directeur de la maison des jeunes de Ghoufi, la direction de la culture de Batna va affecter dix gardiens à la surveillance du site à partir de ce mois d'avril. En attendant, c'est la porte ouverte à tous les actes de vandalisme. Chaque week-end, des dizaines de bus déversent des flots de touristes, des étudiants, notamment, qui ne se gênent nullement à laisser des tas de détritus dans la nature. Ghaffour Lounis et Salim Yezza, deux habitants de Tkout, qui nous servent de guides, nous montrent les nombreuses conséquences de ce tourisme débridé : graffitis sur les parois des falaises ou les murs des maisons, des tas d'immondices et destructions volontaires des murs. Pis encore, beaucoup de propriétaires terriens, ayant eu la désagréable surprise de surprendre des couples en pleins ébats dans leurs vergers, n'osent plus s'y aventurer. Aujourd'hui que la plupart des habitants de Ghoufi se sont installés en ville, la restauration des maisons pose un véritable problème. «Toutes ces maisons sont dans l'indivision et sont donc l'héritage de plusieurs personnes à la fois. Personne ne peut restaurer sans le consentement des autres parties», dit Salim. Faute d'une prise en charge par l'Etat, les jeunes de Tkout et de la région ont bien essayé de sauver encore ce qui peut l'être, mais ils doivent se contenter de sensibiliser les touristes sans rien entreprendre de concret. Soupçonné par les autorités d'être un bastion du berbérisme, aucune association n'a été agréée depuis des années. «La structure sociale des villages berbères des Aurès a disparu et le mouvement associatif est cadenassé», dit encore Salim pour expliquer cette impuissance à endiguer la déperdition d'un patrimoine séculaire. Pourtant, s'il venait à être restauré et mis en valeur, le site pourrait devenir un moteur idéal pour le développement durable de toute la région. Il suffit de se dire que les Français ont construit ici même un hôtel troglodyte dont on voit encore les ruines. C'était en… 1904.