Imaginez un canyon encaissé au fond duquel circule un oued formant ça et là des vasques et des piscines naturelles d'une beauté à vous couper le souffle. Levez à peine les yeux et vous verrez des villages bâtis en cascades. Leurs toits en terrasses et leurs murs de pierres se confondent parfaitement avec les falaises de grès auxquelles ils sont accrochés. En bas, l'étroite vallée, qui serpente tantôt à droite, tantôt à gauche du lit d'oued, est tapissée de palmiers, de jardins et de vergers souvent abandonnés. Pour le touriste hardi qui s'est aventuré jusqu'ici, c'est le dépaysement assuré. Vous vous pincez pour savoir si c'est une illusion qui vous fait croire que vous êtes dans le mythique ouest américain. Au Colorado. Puis, décidément non, vous êtes bel et bien à Baniane, daïra de Mchouneche, wilaya de Biskra. Plus précisément à Toukhribt i Baniane, dans le sud des Aurès. A Ighzer Amellal ou Oued Labiod. C'est un peu plus bas que l'on aperçoit les célèbres balcons de Ghoufi. Au cours des siècles passés, les Amazighs de la région se sont réfugiés dans ces dédales de canyons encaissés qui avaient l'avantage d'offrir des positions très faciles à défendre face aux envahisseurs. Selon l'architecte Bachir Agrabi que nous avons interrogé, ces habitations remontent aux débuts du XIIIe siècle. Certains villages donnent encore à voir des habitations troglodytes à peine aménagées. L'eau était abondante, la terre cultivable sur d'étroites terrasses et les pâturages disponibles en montagne pour leurs troupeaux. Ils pratiquaient la transhumance : l'été en montagne où ils avaient leurs estivages, l'hiver dans le désert tout proche. Ce mode de vie a duré jusqu'aux années qui ont suivi l'indépendance de l'Algérie. A suivre le cours de l'oued, on peut encore voir les restes de l'ingénieux système d'irrigation que les habitants de la région utilisaient pour irriguer leurs cultures. L'eau était captée en amont, puis acheminée par un canal suspendu dans les airs, creusé dans la roche à même la falaise. Une œuvre aussi géniale que colossale qui gagnerait à être restaurée, car c'est un patrimoine de l'humanité qui risque de disparaître un jour définitivement. L'endroit a eu ses heures de gloire de par le passé. Ce sont les fameux greniers fortifiés de Baniane. Des greniers communautaires de plusieurs étages dont l'architecture possède ce cachet typiquement berbère que l'on peut encore admirer dans certaines régions marocaines notamment. Toujours selon notre ami Bachir Agrabi, ce type de construction se retrouve dans des régions montagneuses amazighes du Maroc jusqu'à la Libye. Ils ont été construits à pic de falaise, à même la roche et servaient de réserves de vivres pour les habitants. C'est là qu'ils entreposaient céréales, fruits et légumes secs. En chaoui, on les appelle encore «haqliâth», la forteresse. Hélas, ces beaux immeubles médiévaux sont tombés en ruine les uns après les autres, mais ce site pittoresque a gardé une beauté sauvage et authentique qui ne demande qu'à être exploité dans un projet touristique alliant culture, économie, environnement et développement durable. Il suffirait juste de restaurer les villages ou l'ancien hôtel qui a été construit sur le site, de tracer quelques pistes pour les randonnées pédestres ou à dos de mulet pour faire revivre la culture et l'économie locales. A l'heure où le tourisme responsable ou écologique prend de plus en plus d'essor de par le monde, des perles telles que Baniane sont un atout non négligeable. En attendant ce jour, si vous passez dans la région faites y un tour. Cela vaut vraiment le détour.