La réaction très musclée qu'ont opposée, dimanche, les forces de sécurité du makhzen aux milliers de jeunes manifestants à Rabat, Casablanca, Tanger (nord), et Agadir (sud), témoigne de la grosse panique qui s'est emparée du royaume. Et pour cause, le Mouvement du 20 février a appelé pour la 4e fois à des manifestations pacifiques dans plusieurs villes du Maroc, pour réclamer des réformes politiques, notamment une limitation des pouvoirs du roi Mohammed VI. Une revendication assimilée à un crime de lèse-majesté au Maroc en ce sens que les jeunes facebookistes sortis dans la rue ont touché là où il ne fallait pas. Et le makhzen ne s'est pas fait prier pour abattre sa main lourde contre ces jeunes intrépides qui ont osé désacraliser la personne du roi. Selon les comptes rendus des agences de presse et les journaux marocains, plusieurs blessés, plus au moins graves, ont été enregistrés dimanche dans ce corps à corps entre manifestants et policiers de sa majesté. A Tanger, où l'on déplore une dizaine de blessés graves parmi les jeunes du Mouvement, des affrontements «violents» se sont prolongés «tard dans la nuit», soulignent les mêmes sources. Preuve de cette répression féroce, ces vidéos terrifiantes postées sur Youtube, où l'on peut visualiser ces images horribles de têtes ensanglantées, de bras bandés, mais aussi des policiers fulminant de rage qui matraquent sans pitié des jeunes manifestants. Pour les observateurs marocains, ces scènes contrastent terriblement avec cette image très sympathique que les officiels et les médias occidentaux relayent : celle d'un royaume «moderniste et démocratique». Or, la réalité est largement moins glorieuse pour un roi riche et mondain, loin de son royaume de laissés-pour-compte. Et ces jeunes Marocains refusent désormais de pleurer sur leur sort. La main lourde du Makhzen Dans les forums des discussions sur le Net, les langues se délient et la dénonciation fuse de tous ceux qui refusent la fatalité de vivre sous la botte du roi et son écrasant makhzen. «Le makhzen a complètement vidé ses casernes aujourd'hui (dimanche) pour réprimer les manifs qui apparemment dérangent le despote et sa clique qui s'amusent follement avec leur festival makhazine (lire maouazine) !» fulmine un internaute. Un autre croit déceler les prémices d'une révolution façon égyptienne ou tunisienne. «Fini la retenue, maintenant les manifestants scandent clairement la chute du régime en pleine capitale du royaume enchanté de Sa Majesté chérifienne… Ce qui nous rappelle étrangement l'évolution des revendications des manifestants tunisiens et égyptiens !» Un autre animateur du forum du journal demainonline.com, de notre confrère Ali Lemrabet, ose cette conclusion : «Quelque chose d'étrange me dit qu'on se dirige droit au scénario à l'égyptienne.» C'est dire qu'au royaume de Mohammed VI, le palais a du mal à étouffer ces nombreuses voix qui réclament une autre voie pour leur Maroc que celle imposée par la peur et la matraque. Le mythe du roi sacré est tombé Suprême preuve de la révolution citoyenne en marche, cette interpellation symbolique du roi, vendredi dernier, par un groupe de diplômés chômeurs à la mosquée Sunna de Casablanca. A la sortie du souverain de la mosquée où il venait d'accomplir sa prière hebdomadaire, ces jeunes chômeurs se sont approchés de lui et ont lancé : «Pour tous les commentateurs marocains, ces jeunes ont osé franchir la ligne rouge.» «C'est une inhabituelle violation du protocole, dans un pays où le portrait du roi orne les murs des échoppes et des grandes places et où Mohammed VI est décrit comme le descendant du prophète Mahomet», commente l'agence Reuters. «Au lieu de crier ‘'Aâcha al malik'' («Vive le roi»), ces insolents lui ont jeté à la figure, on veut du travail», souligne de son côté le journal demainonline.com. Ce petit geste de jeunes chômeurs prend la mesure d'une petite révolution, tant le titre de «Commandeur des croyants» sert de carapace à la personne du roi faisant de lui un personnage «sacré». Et ces jeunes insolents ont peut-être brisé un tabou et fait tomber un mythe légendaire en ce vendredi tout aussi sacré. Mais en réalité, ils n'ont fait que transmettre directement au monarque les clameurs de la rue qui, depuis le 20 février dernier, réclament inlassablement une monarchie constitutionnelle. S'il est vrai que la personne du roi n'est pas forcément contestée au Maroc, son régime et sa façon de gouverner deviennent de plus en plus contestables.