Le roi du Maroc, Mohammed VI, s'est payé, mine de rien, une crise politique aux relents pour le moins sulfureux. Pour avoir libéré, à l'occasion de la fête du Trône, un pédophile espagnol multirécidiviste qui avait à son tableau de chasse 11 enfants, le monarque aura commis un péché royal. Un flagrant délit de passivité face à un violeur en série devenu une éminence «noire» à la prison de Kenitra. Le décret royal en vertu duquel Daniel Galvan, 63 ans, a été relâché dans la nature, a terriblement choqué au Maroc. Si bien que des milliers de manifestants ont spontanément essaimé devant le siège du Parlement à Rabat, à Tanger, à Tétouan et dans d'autres villes du Maroc. Des jeunes et des vieux, des hommes politiques, des défenseurs des droits de l'homme et des membres de la société civile ont crié à gorge déployée contre cette mesure «inique» et unique aussi. Le bras armé du makhzen, qui pensait étouffer le scandale en brandissant la matraque, a fini par être mis hors jeu. Le bilan – une dizaine de manifestants blessés dans la nuit du dimanche à lundi à Rabat – a choqué davantage les Marocains qui découvrent un régime incroyablement généreux vis-à-vis d'un violeur pendant qu'il réprime ses compatriotes de sujets… Voyant que l'affaire prend l'allure d'un scandale, le palais royal a pondu un communiqué dans lequel il promet une enquête sur une «regrettable libération». Mardi, pratique inédite dans les annales de cette monarchie : le roi annule la grâce accordée à Daniel Galvan. Une décision destinée à absorber la colère populaire. Politiquement, c'est un terrible aveu, un péché royal. Mais le «commandeur des croyants» n'entendait pas assumer cette déculottée et ce déshonneur du haut de sa majesté. Il fait virer, hier, le directeur de l'administration pénitentiaire. Péché royal Son péché ? Avoir, prétend le palais royal, transmis des informations erronées sur cet horrible mais précieux prisonnier espagnol. «L'enquête a conclu que ladite administration, lorsqu'elle a été sollicitée par le cabinet royal, a transmis par inadvertance des informations erronées de la situation pénale de l'intéressé.» Dixit le communiqué du palais royal. C'est la parade trouvée par la cour d'un roi dans le désarroi de devoir justifier la libération d'un insupportable pédophile, lui le gardien de la morale islamique… Pour Mohammed VI, le directeur l'administration pénitentiaire est le parfait fusible pour éteindre la lumière sur un scandale dont il se serait passé volontiers. Pas sûr que la tension puisse baisser puisque Daniel Galvan a déjà pris ses distances avec le royaume de «sidna» et gagné celui de Juan Carlos. C'est précisément ce dernier qui avait demandé à Mohammed VI la libération de quelques prisonniers espagnols «au nom de l'excellence des relations entre l'Espagne et le Maroc». Le roi du Maroc a exaucé le vœu de son homologue de faire libérer 48 prisonniers espagnols, dont 18 ont été graciés et 30 autres transférés en Espagne afin d'y purger leur peine. Daniel Galvan, le pédophile de service ? Selon une source proche du dossier à Madrid, Galvan figurait précisément dans cette «seconde liste» ; c'est-à-dire ceux qui devaient être transférés en Espagne. Pourquoi alors a-t-il été gracié par sa majesté et donc libéré ? Mystère. Comment a-t-il pu quitter le territoire marocain alors même que sa libération a provoqué des manifestations ? Difficile de croire à la bonne foi du makhzen. Le pédophile a été arrêté hier à Murcie et doit être mis à la disposition du tribunal madrilène de l'Audience nationale, a indiqué un porte-parole du ministère. Les autorités espagnoles n'évoquent pas une éventuelle extradition vers le Maroc. Encore faut-il que Rabat en fasse la demande. Le roi s'est peut-être sorti d'affaire en essuyant le couteau dans le dos du directeur de la prison, mais cette affaire n'a sans doute pas livré tous ses secrets. Faut-il rappeler que le palais royal avait évoqué dans un premier temps «des considérations d'intérêt national» pour justifier la libération de Daniel Galvan. Ce pédophile serait-il alors un agent ou un agent double au service de royaume ? Ou a-t-il été offert par le roi en «cadeau» à l'allié espagnol pour services rendus au «plan d'autonomie» du Sahara occidental ? Intrigue de palais.