Les auditeurs se souviennent très certainement de l'émission radiophonique « Sans pitié », conçue et animée par un Algérois bon teint. Gouailleur à souhait, facétieux et audacieux. Il introduisit, dans le calme serein de la radio, un langage que l'on a toujours banni des ondes. Cru, frondeur, spontané, métissé, bariolé, coloré. Un langage assez singulier qui bouscule les tabous, les non-dits, les chapes de plomb. Les jeunes des quartiers populaires faisaient montre d'un état d'esprit, d'une mentalité, d'un comportement qui se situent aux antipodes des codes, des convenances d'un « politiquement correct » étouffant. L'émission traduisait l'air du temps, fait d'espoir, d'effervescence, de ferveur. Le petit monde des médias officiels fut décontenancé par ces jeunes volontiers provocateurs, imaginatifs, imbus parfois d'une sincère naïveté qui contraste manifestement avec les calculs des bien-pensants. C'était un grand moment de radio. A marquer d'une pierre blanche parce qu'il réhabilitait une jeunesse qui n'a rien à voir avec les clichés, les idées reçues, en particulier avec l'image officielle trop idéalisée pour être vraie. Le parler authentique laminait la langue de bois. Bien évidemment, ce coup de maître irritait les adeptes d'un conservatisme échevelé. On s'en accommoda, faute de mieux. On capitula momentanément avec la perspicacité qui sied à tout bon calculateur. Le profil bas donna raison aux partisans de l'attentisme, du « wait and see ». Aujourd'hui, dans le florilège des émissions destinées aux jeunes tout particulièrement, on ne retrouve plus cette gouaille naturelle, ce côté juvénile, hardi et insolent aux yeux des biens-pensants. Que des reflets ternes, une audace comptée à l'excès, un ersatz de spontanéité bridée. L'heure est au conformisme. Les vieux démons qui rongent les jeunes ne sont évoqués qu'avec parcimonie. Leurs espérances réduites à leur plus simple expression. Ce langage des bas-fonds est édulcoré, aseptisé. Il est saupoudré, cuisiné, pour en réduire sa portée. En bref, c'est le retour programmé vers la case départ. Finie la hardiesse, oubliée l'audace, enterré ce besoin furieux de casser les tabous. De cette intrusion fracassante dans le cercle étouffant du conformisme, on garde l'ineffable souvenir de ces pieds de nez, de cette dérision caustique, de ces éclats de rire, de cet humour qui ne se tarira jamais.