Le système LMD, tant décrié, est-il un échec ? L'application de cette «singularité algérienne», comme la décrit le professeur Nabil Mameri, est jalonnée «d'incohérences». Le professeur Mameri enseigne le génie de l'environnement à l'Ecole nationale polytechnique (ENP). Il est membre du CNES de cette même école. Il tente, dans un rapport intitulé «L'ingénieur et la réforme de l'enseignement supérieur», d'apporter un éclairage quant à la conception et la mise en œuvre de ce système en Algérie. Déroulant, dans ce document, les objectifs assignés sous d'autres cieux au LMD, le professeur les confronte à la «réalité algérienne». Ce système est ainsi bâti autour de quelques principes. Les maîtres mots en sont la mobilité, interne et externe, l'harmonisation des formations, la flexibilité, la liberté et l'autonomie de l'étudiant-apprenant dans le choix de son parcours de formation, la «multidimensionnalité» des savoirs prodigués, l'innovation pédagogique ou encore la possibilité d'un enseignement «présentiel» ou «distanciel». Pourtant, ces avantages, dont «la dynamique de globalisation, de mondialisation et de l'universel a séduit nos décideurs», se trouvent dynamités par la façon dont est appliqué ce système en Algérie. «Perturbations et vide juridique» Pour ce qui est, par exemple, de l'un des objectifs principaux du LMD, qui est de permettre la mobilité des étudiants, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique continue à gérer les flux et impose une orientation des nouveaux bacheliers. «Est-ce que la mobilité a un sens lorsque les flux d'étudiants sont gérés par le ministère ?» s'interroge le professeur Mameri. De même, le système LMD, qui est basé partiellement sur le travail personnel et non «présentiel» de l'étudiant, nécessite une large disponibilité des technologies de l'information. «Qu'en est-il de la large disponibilité de cet outil incontournable au sein de nos établissements ?» poursuit-il. Le but du LMD avec le système de crédits est de permettre une meilleure lisibilité des diplômes. En Algérie, ce système a conduit à diverses perturbations et à la confusion la plus totale, soldée par l'abrogation d'un décret présidentiel, quelques jours après sa publication. «Après l'abrogation de ce décret, le ministère a installé une commission d'experts afin de statuer sur le sort des ingénieurs des écoles hors université. Quel est le sens de cette singularité algérienne, lorsque l'on cherche à s'inscrire dans une démarche d'universalité par l'adoption du LMD ?» s'indigne le professeur. «En effet, le vide juridique conséquent à l'abrogation du décret a fait que les conférences régionales ont eu récemment à examiner une mosaïque d'offres de formation (magisters et doctorats LMD), ce qui implique le maintien de la post-graduation à deux paliers (magister, doctorat). Comment viser l'uniformisation de nos diplômes avec ce qui se fait de par le monde alors que nous n'arrivons pas à uniformiser les parcours et les diplômes à l'échelle nationale ?», ajoute-t-il. «Incohérences et illogismes» D'ailleurs, pour ce qui concerne les écoles doctorales et les écoles d'ingénieurs, la confusion est amplifiée. «Les écoles doctorales créées à partir de 2005, censées offrir des formations en doctorat, ce qui est logique, car de par son appellation, une école doctorale ne peut former que des docteurs, sont réduites à la proposition de magisters. N'y a-t-il pas une incohérence dans cette vision ?» relève M. Mameri. Le titulaire de diplôme bac+5, ce qui est le cas de l'ingénieur, aspirant à une formation doctorale ne peut obtenir ce grade que 11 ans, voire 12 ans après le bac. Alors que dans le LMD, le doctorat se fait en bac+8. S'agit-il de deux doctorats différents pour deux parcours différents ? «Chose qui ne s'inscrit dans aucune logique, pas même celle du LMD qui a pour objectif l'uniformisation, la lisibilité des diplômes en fonction du nombre d'années d'études et qui est basé sur la capitalisation des crédits acquis», est-il répondu dans le rapport. Quant aux écoles d'ingénieurs, l'Algérie en compte 16, dont l'ENP, elles sont très sélectives. «Cette sélectivité sera nécessairement très affectée, si le diplôme d'ingénieur venait à être dévalorisé par le fait que l'accès au doctorat pour les ingénieurs, en l'état actuel des choses, nécessite un parcours de 6 ou 7 ans, alors que l'université, moins sélective à la base, offre la possibilité d'un doctorat en 3 ans», est-il estimé dans le document. «Comment les écoles d'ingénieurs pourront-elles continuer à attirer les meilleurs bacheliers si aucune perspective de valorisation de leur formation ne leur est offerte ?» s'alarme le professeur à l'ENP. L'unique ressource à cultiver : la matière grise Il est toutefois évident que la réussite des réformes «doit reposer sur le respect des personnes et la reconnaissance de leur fonction», et ce, dans une démarche de responsabilisation, qui permet à son personnel d'offrir le meilleur de lui-même et de fournir un rendement de premier ordre. Cette vision d'excellence ne peut s'accomplir que par la mobilisation, où chacun de nous devra se surpasser, se distinguer et devra être un chef de file en formation des ingénieurs de sa spécialité. Le rédacteur de cette analyse la conclut en exhortant les autorités à une plus grande implication, en termes d'investissements financiers, humains et intellectuels. «N'est-ce pas le moment d'investir et d'encourager les élites de demain à devenir ingénieurs dans des écoles dotées des ressources humaines et matérielles. Ce qui nous permettrait la création de nouvelles richesses pour le pays et laisser aux futures générations une ressource inaltérable : la matière grise.»