Les enseignants de l'Ecole nationale polytechnique, à l'écoute de la gronde qui s'enfle chaque jour en provenance de tous les horizons bouchés par les réformes chaotiques engagées par la tutelle, ne peuvent se résoudre à l'idée de voir leurs étudiants et futurs étudiants devenir les otages d'un entêtement qui leur confisque leur avenir. Messieurs les responsables du secteur de l'enseignement supérieur, les résultats des réformes que vous avez entreprises, au mépris de toutes les analyses et mises en garde des professionnels du domaine, ne souffrent plus d'ambiguïté. Tous les indicateurs sont au rouge et le moment est venu de faire un premier bilan et d'éviter une fuite en avant qui pourrait s'avérer irréparable. -1- Le système LMD, imposé dans la précipitation, est largement contesté par ceux-là même qui sont censés l'appliquer et par les étudiants qui l'ont subi. Ces derniers sont conscients qu'au-delà de la troncature, souvent incohérente, des contenus pédagogiques, aucun des objectifs assignés à ce système n'a été atteint (autonomie des étudiants, mobilité, visibilité, flexibilité des formations, possibilité de parcours personnalisés...) Les étudiants sortis avec un niveau L3 (licence académique) et frustrés de n'avoir pas pu poursuivre leurs études peinent à trouver un emploi, et ceux titulaires d'un M2 (master) se bousculent pour décrocher une hypothétique inscription en doctorat. Les titulaires d'un Master (bac+5) se voient classés à la catégorie 14 au même titre qu'un Magister (bac+7 au minimum), alors que les titulaires de diplômes délivrés par les établissements d'excellence sont relégués à la catégorie 13. Ceci ne peut être perçu que comme un subterfuge et une tromperie qui masque mal la volonté de leur décerner «un lot de consolation » pour formation tronquée et sans débouchés. -2- Nos meilleurs bacheliers (plus de 16 de moyenne au bac), en tout cas tous ceux qui rêvaient de devenir ingénieurs, ont été contraints à un passage forcé par des classes préparatoires expérimentales que vous avez prématurément, et avant même leur existence, labellisées «pôles d'excellence». En guise d'excellence, la «crème estudiantine» a eu droit, au mieux à un encadrement majoritairement composé de vacataires souvent inexpérimentés et au pire à une exhortation, par presse interposée, à aller convaincre des enseignants des écoles à les prendre en charge. L'«élite nationale» est ainsi sommée de «mendier» elle-même son encadrement et pourquoi pas de «quémander» dans les établissements nationaux les travaux pratiques que leur école «labellisée» par des mots, n'est pas en mesure de leur assurer. Et comme si toutes ces «maltraitances» ne suffisaient pas, cette élite gonflée des qualificatifs les plus pompeux et promise aux avenirs les plus radieux se voit , à l'issue de cinq années de formation d'excellence et après avoir passé avec succès l'écueil du concours d'accès aux grandes écoles (d'excellence elles aussi, bien entendu) déclassée à la catégorie 13, soit en dessous des titulaires d'un Master (bac+5 également) qui n'auront subi ni autant de «mots» ni autant de «maux». Les étudiants actuels des écoles hors université qui auront passé les sélections les plus sévères ne sont pas épargnés, non plus, par ce déclassement. Es-ce possible, par l'effet perfide d'une alchimie destructrice, que nous soyons contraints de voir nos meilleurs bacheliers emprunter, par la force, la voie d'une formation qui débouche sur la précarité ? Les heureux lauréats de l'excellence sacrifieront-ils leurs distinctions, en connaissance de cause ? Ou bien serons-nous, à terme, dans l'obligation de mettre la clé sous le paillasson, faute de candidats à l'«humiliation» ? -3- Nous notons, avec surprise, qu'aucun des textes et décrets relatifs aux réformes de l'enseignement supérieur et notamment aux écoles hors université, n'utilisent le mot «ingénieur». Cette formation est-elle évacuée du paysage algérien ? L'Algérie n'a-t-elle plus besoin d'ingénieurs ? Peut-on croire et doit-on accepter que l'on sacrifie la formation d'ingénieur, qui assure le fonctionnement de l'industrie nationale, pour sauver, de l'échec, le système LMD ? Quelle mission est encore dévolue à notre Ecole qui se voit, non seulement démantelée par la suppression récente de son socle (tronc commun), très affaiblie par le gel injustifié de son fer de lance, à savoir ses écoles doctorales et toutes ses post-graduations, et maintenant carrément menacée de disparition par la dévalorisation, par décret présidentiel, du diplôme qu'elle délivre ? Devant le danger imminent qui pèse sur notre école, sur la formation d'ingénieur en général et les conséquences dramatiques sur le développement technologique de la nation, nous, enseignants de l'Ecole nationale polytechnique, demandons : -1- Le retrait immédiat de tous les textes et décrets à l'origine de cette situation ; 2 - un décret spécifique aux écoles hors université; 3- des mesures urgentes pour préserver l'intégrité de notre école ; 4- la prise en charge sérieuse des élèves des classes préparatoires. Les enseignants de l'ENP sont prêts à se mobiliser pour accueillir les élèves des classes préparatoires dans les plus brefs délais avant que leur avenir ne soit définitivement compromis. L'heure n'étant pas à l'autosatisfaction, nous demandons qu'un débat impliquant tous les intervenants soit ouvert immédiatement pour permettre une prise en charge efficiente des problèmes auxquels fait face l'enseignement supérieur et définir un projet cohérent et en harmonie avec les réalités et les besoins du pays. Conseil national des enseignants de l'ENP