D'abord le regard : immobile, balayant le décor, l'air absent. Ensuite le look, ou plutôt l'accoutrement : saharienne kaki, uniforme militaire chamarré d'or ou gandoura. Enfin la parole : très rhétorique, émaillée d'invectives contre le capitalisme américain ou la poltronnerie arabe. A 67 ans, le guide de la révolution libyenne, Mouammar El Gueddafi, est un chef d'Etat atypique. Après quarante années à la tête de la Libye, le « chien enragé du Proche-Orient » comme l'appelait l'ancien président américain Ronald Reagan, s'est assagi. Du haut de son mètre quatre-vingt, El Gueddafi paraît aujourd'hui plus calme. Les vieilles passions de jeunesse se sont un peu dissipées. Il est loin le temps où l'on croyait encore aux idées de panarabisme, panafricanisme et à l'anti-impérialisme. Lorsque le colonel d'El Gueddafi renversa le roi Idriss en 1969, il avait pour héros Gamel Abdel Nasser. Quatre décennies plus tard, il honnit les Arabes et n'a d'yeux que pour l'Afrique. Le guide de la Jamahiriya s'est transmué en un sage africain, « roi des rois » du continent noir. D'après lui, l'Afrique est le « milieu naturel » de la Libye. En 1998, il crée la Communauté des Etats sahélo-sahariens, destinée, à ses yeux, à devenir l'embryon des Etats-Unis d'Afrique. Le colonel libyen ne se gêne pas pour s'ingérer dans les affaires qui ne le concernent pas. Pendant que les opposants libyens étaient bâillonnés, il intervenait dans plusieurs causes : Carlos, Abou Nidal, les aborigènes d'Australie, l'ANC sud-africaine, la SWAPO namibienne, l'Armée républicaine irlandaise (IRA) et nombre de milices africaines, qui ont tous bénéficié de ses largesses. C'est que le mode de gestion de El Gueddafi a toujours été truffé de contradictions. En peu de temps, il a transformé la Libye en un vaste champ de théories loufoques et de lubies révolutionnaires. Ses discours fleuves séduisent autant qu'ils agacent. On lui impute des propos selon lesquels « Shakespeare était un Arabe qui s'appelait en réalité Cheikh Spir ». Il est aussi l'auteur de l'idée de fusionner Israël et la Palestine pour en faire Isratine. « Je ne peux pas reconnaître l'Etat palestinien ni l'Etat israélien. Les Palestiniens et les Israéliens sont également idiots », a-t-il déclaré. Chaque réunion de la Ligue arabe devait se transformer en un théâtre burlesque. Lors d'un sommet arabe en 1988, il est venu la main droite gantée de blanc. Il expliquait qu'il voulait ainsi éviter de serrer la main à des gens ayant « les mains tachées de sang ». Une autre fois, il se trouvait à côté du roi Fahd d'Arabie Saoudite. Fumant un gros cigare, il se tournait ostensiblement vers son voisin chaque fois qu'il répandait la fumée. Né dans une famille pauvre et très croyante de la tribu des Kadhafa, sous une tente bédouine, dans le désert de Syrte, en 1942, diplômé de la faculté de droit et de l'académie militaire de Benghazi, El Gueddafi pratique la religion avec ferveur mais a horreur de la politisation de l'Islam. Après la mort de Omar Bongo, il est désormais le doyen des dictateurs au pouvoir en Afrique.