Avec sa large moustache, Hamzeh Budairi ressemble plus à Freddy Mercury qu'à un révolutionnaire. Et pourtant. «Je m'identifie beaucoup à Che Guevara. Pour faire la révolution, il a utilisé des armes à feu. Mon arme à moi, c'est twitter», résume-t-il sous le portrait du Cubain dans les locaux du parti de gauche, à l'est de Amman, partie défavorisée de la ville. Il est membre du groupe Jayeen, qui signifie «Nous arrivons». Il a été constitué en février 2011 dans la fièvre du printemps arabe. Sur les réseaux sociaux, comme dans la rue, ils militent pour la fin de la corruption et l'instauration d'une monarchie constitutionnelle en Jordanie. Pas de renversement «Nous sommes très inquiets pour la manifestation de demain qui se tient après la prière de vendredi», explique l'ingénieur au chômage de 26 ans. Et pour cause : celle de la semaine dernière s'est soldée par des heurts avec les services de sécurité. Bilan : 60 blessés, dont une douzaine de manifestants. En février, un manifestant est mort. «J'espère que le régime ne sera pas aussi bête que celui en Syrie ou en Egypte pour nous réprimer violemment», ajoute Kamel Khouri, 25 ans, membre du parti de gauche. «Nous sommes tous pour les réformes, mais il n'est pas question de renverser le régime. Notre situation empirera.» Autre décor, autre ambiance, celle du bar lounge où aime se détendre Laith, de l'autre côté de Amman, réservé à la jeunesse dorée. Les filles sont court vêtues, l'alcool coule à flots. «La révolution a lieu à l'est. A l'ouest, le gazon est plus vert», rigole-t-il. Ingénieur en génie civil de formation, Laith a étudié en Angleterre. A 26 ans, il est cadre dans la multinationale familiale, spécialisée dans l'extraction de matières premières. Proche du roi, son père est parlementaire. «Les demandes des manifestants sont trop générales. En ces temps de crise économique, ils devraient plus prendre en considération ce qu'ils possèdent déjà. Nous sommes un petit pays avec des ressources limitées», résume-t-il, tout en défendant le droit de manifester, aujourd'hui autorisé par les autorités. Poursuivre les réformes Pourtant, devant la mosquée Al Husseini, les revendications des manifestants sont claires. Sur leurs pancartes, les noms des politiciens corrompus qu'ils souhaiteraient voir jugés. En février dernier, au plus fort de la contestation, le roi Abdullah II a répondu à la colère de la rue en limogeant son Premier ministre. «Par notre sang, par notre âme, on se sacrifiera pour toi, Jordanie», crient les manifestants. Personne ne demande la tête du roi qui contribue avec l'allégeance des tribus à la stabilité du régime (voir encadré). «Nous demandons simplement la poursuite des réformes démocratiques, notamment dans le secteur public et la fin des violences contre les manifestants», martèle Mohamed Al Dhaer, jeune responsable au sein du Parti d'union populaire qui marche en direction du ministère de l'Intérieur, pancarte à la main. Préserver l'économie Le lendemain, au volant de sa Mercedes, Sara Ycoob Nacer Eddine, n'en démord pas. «Protester donne une image négative à l'étranger. Or, nous devons maintenir les investissements en Jordanie». A 24 ans, elle est vice-rectrice dans l'université privée de son père. «Je ne pense pas que les manifestants soient victimes de quoi que ce soit. La vie est un peu chère en Jordanie, mais elle est correcte», argumente-t-elle, entrecoupée par la sonnerie de son smartphone. Elle rejoint des amis pour déjeuner. «Les manifestations bloquent les rues et nuisent à l'économie.» Vendredi, au centre de Amman, la manifestation n'aura attiré que mille personnes qui ont bloqué une rue, l'espace d'une heure.