Rue El Hadi Derf (ex-boulevard de France), au centre-ville de Larbaâ, à une trentaine de kilomètres d'Alger. Salle Tafourah. Habituellement, cette salle, dirigée par le dynamique Mohamed Seghir, est consacrée aux fêtes de mariages. Depuis le début du Ramadhan, elle sert de restaurant de la Rahma pour les personnes qui n'ont pas où aller pour rompre le jeûne. «Il s'agit surtout d'ouvriers de chantier ou de passagers. Dès le premier jour, on les a informés pour qu'ils viennent manger chez nous», explique Chafik. Chafik est épaulé par des jeunes guidés par un merveilleux esprit de solidarité. «Nous sommes là pour faire du bien», dit avec simplicité celui que ses copains surnomment Spinpou. Spinpou est étudiant en génie civil à l'université Houari Boumediène de Bab Ezzouar (USTHB). Il se déplace chaque soir, avec ses amis Fazil et Farid, de Aïn Taya jusqu'à Larbaâ pour participer au mouvement de solidarité. Dans le groupe, il y a aussi Abdelmalek qui s'occupe de la préparation des salades, Smaïl et Farouk chargés du service et de la vaisselle, Anis, Hamza, «El Wali», Malik, Hocine et Rahim, chargés du service et de l'installation des tables. Krimou vient chaque soir avec sa fillette d'un an contribuer aux préparatifs du f'tour. Ghanou et Salim sont chargés des courses et du programme de circoncision des enfants. Moh Cousina est affecté, comme son sobriquet l'indique, à la cuisine. Là où El Hadja, une mère de cinq enfants, prépare chaque soir des plats. Ce soir, au menu : chorba frik, bourek, poulet en sauce rouge, salade verte et tomate, l'ham lahlou (viande aux pruneaux). Les boureks sont préparés dans la journée par des jeunes filles du quartier. L'une d'elles prépare la farce à base de viande hachée ; les autres les roulent avant qu'une dame les mette au four. «Nous veillons à ce que les boureks soient servis chauds et croustillants», explique Chafik. Les jeûneurs ont droit aussi à des fruits et à du kalbelouz. «Il est évident que pour nous, le repas doit être complet. Les personnes qui viennent ici doivent manger comme si elles étaient chez elles», nous explique-t-on. Ce soir, Chafik est inquiet de la quantité de pain ramenée de la boulangerie : «J'ai peur que cela ne suffise pas. Le nombre de personnes augmente chaque jour.» De quarante jeûneurs le premier jour, la salle Tafourah accueille désormais 150 à 160 personnes. Cela semble faire beaucoup de plaisir aux jeunes volontaires qui, à l'approche de l'adhan du maghreb, multiplient les va-et-vient pour remplir les tables : les uns servent la chorba chaude dans les bols, les autres le plat de résistance ; d'autres encore ajoutent des tables en cas de nouvelles arrivées. Ils sont prêts à s'adapter à tout dans la bonne humeur. La plupart des personnes qui prennent part à ce mouvement formidable d'aide ont souhaité ne pas être citées. Comme ces généreux donateurs qui ont fait confiance aux jeunes volontaires dès le premier jour. «Chacun participe à sa manière. Les uns nous donne de l'argent, d'autres des produits alimentaires, d'autres encore de l'eau et des boissons. Même des citoyens aux faibles revenus ont pris part à l'action. Comme les gens le font de bon cœur, on ne peut pas le leur refuser. Nous avons souhaité la participation de tout le monde, chacun avec ses possibilités», souligne Chafik. Le groupe organise actuellement la circoncision des enfants, en coordination avec le personnel médical du dispensaire de Larbaâ. «On le fait dans l'anonymat. On donne une somme d'argent aux parents pour leur permettre de célébrer la fête dans l'intimité familiale», indique Chafik. Après le f'tour, une autre ambiance règne dans la salle. C'est le moment de passer au nettoyage et au lavage de la vaisselle. Efficaces et organisés, les volontaires exécutent les tâches tout en échangeant des blagues et des petits potins. Pour la petite histoire, les initiateurs du restaurant de la Rahma ont demandé à l'APC de Larbaâ de leur prêter la salle des fêtes. Refus. Le motif ? La salle est destinée aux festivités du Ramadhan. Qui a dit que les communes étaient au service des citoyens ? Les jeunes de Larbaâ se souviendront. A la salle Tafourah, certains sont venus d'eux-mêmes, spontanément, avec une forte volonté de vouloir apporter une aide aux autres. Dans la simplicité. La solidarité réelle n'a besoin ni de grands discours ni de fausses promesses. La société algérienne l'a bien compris.