Du 20/06/2009 au 21/08/2009 : l'Algérie a enregistré 33 cas de grippe A « N 1 H 1 »(1) et pour gérer l'éventuelle pandémie, le ministère de la santé a instauré un plan de bataille digne d'être salué. • Communication à outrance : numéro vert, site Web, communiqués de presse ... • Caméras thermiques dans les ports et aéroports, Commande de 65 millions de doses de vaccin, • Achat de 35 millions de masques ... Du 20/06/2009 au 12/08/2009 l'Algérie a enregistré sur ses routes environ 630 morts dont des familles entières décimées — et 6300 blessés(2). Et à part un texte par-ci (encore un, alors que le précédent n'a jamais été mis en application), une déclaration de circonstance par-là et une gestion au jour le jour, rien de nouveau pour contrer SERIEUSEMENT ce problème de santé publique.(3) Pour une pandémie à « N » variables et loin de faire l'unanimité entre les scientifiques sur sa dangerosité, l'Etat a pris ses responsabilités selon le principe de précaution, tandis que pour une « pandémie » bien réelle, à la comptabilité macabre, aux conséquences effarantes tant sur le plan humain que matériel, aucune lisibilité n'apparaît dans la gestion du phénomène à part l'approche répressive qui frappe les esprits mais ne résoud rien, même si elle s'avère nécessaire parfois. Notre conviction est que le volontarisme, l'amateurisme, les effets d'annonce et l'émotionnel ne peuvent constituer une politique intelligente à même de juguler cette hécatombe. 1 - L'ampleur de la tragédie « Un total de 127 049 personnes ont été tuées et 1 430 503 blessées dans 1 190 831 accidents de la route survenus en Algérie entre 1970 et 2007. On dénombre également 130 000 handicapés. »(4) Ces chiffres font froid dans le dos et sont encore loin de la réalité, puisqu'en Algérie on comptabilise uniquement les morts sur le lieu de l'accident alors que selon la législation européenne, on prend en compte tous les décès jusqu'à trente jours après un accident. On pourrait imaginer que le nombre de blessés qui décèdent est fort important et que les bilans annuels présentés ne reflètent pas la réalité. « Le coût annuel des accidents de la circulation a été estimé par le ministère des transports à plus de 75 milliards de dinars. »(5) Mais surtout, chaque mort est un drame humain, chaque handicapé est un chamboulement dans la vie des familles. Et ces tragédies perdureront loin des feux de la rampe, vécues au quotidien sans « cellule de soutien », sans prise en charge médicale conséquente, sans soutien social avéré. Les familles touchées dans leur chair auront à faire face seules à ces imprévus de la vie. L'ampleur est donc d'abord humaine. II - À facteur humain, humain,approche psychologique « Le facteur humain est à l'origine de plus de 90,15% des accidents de la route en Algérie contre 3,65% pour les défaillances des véhicules et 4,23% pour l'environnement. » (6) Ces données sous-tendent que si on veut prendre en charge les accidents de la circulation en Algérie, c'est à ce facteur humain qu'on devrait s'intéresser prioritairement. Ce qui fait qu'on est un bon artisan c'est la connaissance approfondie de la matière d'œuvre sur laquelle on travaille. Ce qui permet à un bon éducateur d'éviter les maladresses éducatives (plus graves que les malfaçons matérielles) c'est sa connaissance parfaite de ses élèves, et son adaptation stricte à leurs besoins. Un acte éducatif qui n'est pas efficace est un acte gratuit qui n'a pas de sens ; et ainsi, un minimum de bon sens veut que, pour fonder le choix des mesures appropriées pour gérer habilement la violence routière, rien ne peut remplacer une bonne connaissance des pratiques et de la psychologie des usagers de la route : conducteur, cycliste / motocycliste et piéton. Conduire un véhicule, une moto, un vélo ou circuler en tant que piéton (surtout en milieu urbain) sont des activités complexes. Cela nécessite de la part du conducteur ou du piéton un traitement permanent de l'information pour permettre une adaptation aux conditions de circulation motorisée ou piétonne. L'usager de la route se trouve dans un espace partagé (et malheureusement, chez nous, cette notion est loin de faire l'unanimité puisque chacun se donne le droit « d'adapter » la règle selon ses convenances), et comprendre son comportement nécessite des études pour relever comment il ressent, prévoit et comprend la route. L'approche psychologique, préconisée présentement, permettra de : Comprendre le comportement agressif, la prise de risques, la transgression des règles de l'usager de la route ... qui sont autant de causes des accidents. Cette compréhension permettra de tracer les différents profils des usagers. Prédire les réactions de cet usager et sa conduite dans les différentes situations auxquelles il est confronté. Modifier les travers relevés. En un mot, faute de diagnostic, aucune thérapie ne peut être efficace. La réglementation destinée à une société précise avec ses spécificités, sa psychologie, son environnement ne saurait être efficace avec cet éternel jeu du « copier/coller » de nos différentes réformes : Actuellement (et en réalité, depuis toujours), la prise en charge du phénomène accidents de la route fait l'objet d'une gestion mécaniste (recours fréquent à des réglementations formelles, centralisation de la prise de décision, définition étroite des responsabilités attribuées à chaque fonction et rigidité de la voie hiérarchique) qui n'a produit aucune amélioration sur le terrain. Et au lieu de changer de stratégie, les pouvoirs publics continuent à promulguer des textes pensés et conçus dans des bureaux très loin de la réalité du terrain. Il ne suffit pas de durcir une réglementation pour la voir produire les effets escomptés. « Il faut compter avec ceux qui l'appliquent et ceux qui sont censés la respecter. Et ces deux catégories sont loin de jouer le jeu. Parce qu'ils ne veulent pas/parce qu'ils ne peuvent pas ? Cette rigidité dans la gestion du problème conduit tout droit à des situations kafkaiennes tel ce fameux permis à points qui en est l'exemple type (cela fait chic d'avoir un permis à points et l'effet d'annonce est assuré) : Pour initier toute réforme, nos décideurs ont le look de nous importer « clé en main » des pseudo réformes sans aucune étude de terrain : est-ce notre bureaucratie actuelle qui n'arrive même pas à se faire payer les P-V qui gérera les points ? (seules 22% des amendes rédigés en 2007 ont été payées par les contrevenants.)(7) qui comptabilisera les points enlevés, qui informera le contrevenant ... Même si c'est à juste titre qu'ils sont pénalisés, il serait fort intéressant de connaître la liste des gens concernées par les retraits de permis ou qui payent leurs P-V. On peut aisément imaginer à quelle classe sociale ils appartiennent et quel est leur statut social. En pédagogie, une notion basique souligne que la menace non suivie d'effet, provoque plutôt le ricanement et l'insolence ouverte. Très vite, celui qui l'emploie est le seul à faire semblant d'y croire et il sombre dans le ridicule. Il ne faut jamais brandir sans cesse les foudres de carton des sanctions dont l'usager verra bien qu'elles n'ont rien de redoutable. III - Pistes de réflexion Afin de contribuer au débat sur la transgression des règles de conduite, nous avançons quelques pistes de réflexion susceptibles d'expliquer, un tant soit peu, le comportement suicidaire de l'usager de la route algérien. Ces hypothèses demandent à être vérifiées sur le terrain.(8) 1 - L'anomie : La conduite dangereuse, la harga, le kamikaze, les violences dans les stades, les émeutes et le suicide relèvent à notre sens de la même problématique et ont pour facteur commun l'anomie. Du grec « a » : absence de, et « nomie » : nom, loi, ordre, structure, l'anomie désigne l'état d'une société caractérisée par une désintégration des normes qui règlent la conduite des hommes et assurent l'ordre social. Notion introduite par Emile Durkheim pour expliquer le suicide, elle est « assez courante quand la société environnante a subi des changements importants dans l'économie, que ce soit en mieux ou en pire.. et plus généralement quand il existe un écart important entre les théories idéologiques et les valeurs communément enseignées et la pratique dans la vie quotidienne »(9) Sans entrer dans les détails, il nous semble que cette définition sommaire de l'anomie cadre parfaitement avec les données locales. Les normes sociales qui devraient assurer la cohésion sociale ne sont plus qu'un lointain souvenir, et la politique du « faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais » correspond à l'écart incommensurable entre ce qui est prôné et la pratique au quotidien. Résultats des courses : « tag ala men tag » dira le commun des mortels, et comme chaque Algérien à en tête la formation type de l'équipe nationale susceptible de nous qualifier au Mondial 2010, chaque « citoyen » a ses propres règles ... son propre code de la route. 2 - Eros VS Thanatos L'émergence des pulsions de mort, représentées par Thanatos. Ces dernières, tournées d'abord vers l'intérieur et tendent à l'autodestruction, seront dirigées dans un deuxième temps vers l'extérieur et se manifestent alors sous la forme de la pulsion d'agression ou de destruction, 3 - Prises de risques(10) Jean-Pascal Assaill y pressent des facteurs familiaux et sociaux qui favoriseraient ou défavoriseraient l'expression de la prise de risques chez les jeunes. A travers cette approche, et en s'appuyant sur les théories du contrôle social et de la perte du lien social ainsi que sur celles de l'apprentissage social, il en arrive à énoncer que « le jeune s'engage dans le danger et la prise de risques ou dans la transgression de la loi parce que la prise de risques et la transgression lui semblent attractives, excitantes et que les bénéfices perçus l'emportent sur les coûts perçus. » De son côté, Delphine Lafollie, en faisant référence à la théorie de l'autorégulation de Carver, discrimine deux grands types de preneurs de risques : a- ceux pour lesquels la prise de risques est une aide à la construction identitaire (compensation) b- ceux pour lesquels le risque correspond à une fuite de soi-même et de ses problèmes (fuite). La mise en évidence de ces déterminants à la prise de risque ou des fonctions du risque semble un préalable indispensable à toute démarche de prévention. En guise de conclusion Le triptyque proposé pour une approche psychologique du phénomène accident de la route en Algérie : comprendre, prédire, modifier semble tout indiqué pour permettre la mise en évidence des facteurs et déterminants qui président aux comportements dangereux des usagers de la route et ceci d'autant plus que toute action préventive qui se veut efficace se doit de déchiffrer les comportements des usagers de la route, pour les prévoir afin de les transformer. La violence routière (ainsi que toutes les autres violences sociales) en ce qu'elle représente comme danger, prise de risques, transgression de la loi ne saurait se suffire d'une réponse basée uniquement sur la répression. Cette dernière ne fera que renforcer ces comportements suicidaires, car conçue loin d'une compréhension des motivations des transgresseurs. Deux mondes parallèles semblent se côtoyer en Algérie sans jamais se rencontrer : celui des gestionnaires cloîtrés dans leurs bureaux en train de produire une quantité de textes que personne n'appliquera et qui sont plus enclins à sévir qu'à comprendre et très loin d'anticiper ou de concevoir une politique proactive. Celui d'une foule, qu'on n'a pas su transformer en société, qui aimerait avoir de l'espoir et qui, faute d'être entendue, et comme le prévoit Alfred Adler « faute d'avoir des occasions de réussire se réfugie dans une sorte de fuite devant la vie qui se manifeste par la discussion de tout ce qui est estimé par les autres. » La valeur d'une éducation se mesure au degré de socialisation de l'individu : donner à la société autant qu'il en reçoit ; et chaque responsable, à son niveau de pouvoir devrait toujours avoir à l'esprit que : « [le] pacte social ... se réduit aux termes suivants : chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. »(11) Mais Rousseau rajoute que « l'autorité du législateur, pour être respectée, suppose déjà un certain esprit social. »(12), ce qui n'est pas forcément le cas chez nous. Notes de renvoi : 1) Déclaration du ministère de la Santé, presse nationale. 2) Avec une moyenne de 10 morts et 100 blessés/jour 3) Rapport de situation sur la sécurité routière dans le monde. Genève, Organisation mondiale de la Santé, 2009. www.who.int/fr. L'Algérie, malgré plusieurs sollicitations, n'a pas estimé nécessaire de collaborer avec l'agence onusienne - El Watan 18/06/2009. 4) journée d'étude portant sur les aspects juridiques des accidents de la route, organisée le 28/12/2008 à la maison de la culture Mouloud Mammeri par l'association de prévention routière « Les amis de la route » de la wilaya de Tizi Ouzou. » 5) Déclaration de la directrice de la valorisation, de l'innovation et du transfert technologique, ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique - APS 13/04/2009. 6) Centre national de prévention et de sécurité routière (CNPSR), cité par l'agence APS. 01/06/2009 7) Presse nationale. 8) Le laboratoire « Psychologie de l'usager de la route » vient d'être agréé très récemment par le M.E.S.R.S. et nous nous investissons dans cette optique de la recherche. 9) Source : Wikipedia 10) 10ème CONGRES ACAPS _ 30 octobre - université Paul Sabatier - Toulouse - Symposium 11 : « Déterminants psychosociologiques de la prise de risques. » 11) Jean-Jacques Rousseau (1762), « Du contrat social ou principes du droit politique », p12, version numérique par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie, Courriel : jmt [email protected], Site web : http://pages.infinit.net !sociojmt 12) Emile Durkheim « Le contrat social de Rousseau », p. 48, Version numérique par Jean-Marie Tremblay, Professeur de sociologie au Cégep de Chic ?utimi, Courriel : jmt [email protected], Site web : http://pages.infinit.net !sociojmt. Med El Hadi, Rahal Gharbi