Donner une signification figée dans le temps à une description du monde à la portée de l'entendement humain à un moment donné de l'histoire n'est pas sérieux. Les écrits coraniques – pour la tradition islamique – doivent être lus avec les lunettes de nos jours et interprétés avec la compréhension enrichie par les données scientifiques rendues possibles par la longue marche du progrès. Nous consacrerons toute une partie de nos réflexions à ces questions de rapport entre la science et la foi dans les chroniques à venir. Pour l'instant, rappelons qu'il faut avoir une lecture vectrice, évolutive des textes sacrés. Aussi bien les textes relatifs aux représentations de la nature que ceux d'ordre prescriptif ne doivent pas être calcifiés dans un commentaire atemporel et anhistorique, fixé une bonne fois pour toutes. Au mieux, on assiste parfois qu'à quelques tentatives de ravaudage et de rafistolage, au lieu de refonder toute la pensée théologique avec l'audace et le génie caractéristiques des premiers penseurs et savants musulmans. C'est tout le débat propre à ce qu'on appelle la relativisation du texte à son contexte afin de ne pas l'utiliser comme un prétexte pour un nouveau contexte. Tout cela ne va pas à l'encontre du progrès, et l'enseignement prophétique se voulait et se veut toujours un enseignement de progrès de l'humanité afin qu'elle puisse goûter au bonheur dès ici-bas, en attendant son salut dans l'au-delà annoncé comme meilleur et durable. Appliqué dans son esprit, cet enseignement fonde un humanisme d'essence spirituelle et transcendante. Certes, la religion et la notion de progrès n'apparaissent nullement contradictoires pour peu que la place faite à l'intelligence soit réservée. Pour peu que tout un effort de discernement soit consenti et déployé tous azimuts. Même s'il y a des domaines où la religion et le progrès poursuivent des desseins différents comme celui de la mort et des fins dernières, par exemple. Puisque « le soleil ni la mort ne peuvent se regarder fixement », selon la formule de La Rochefoucauld, alors la religion se doit d'y préparer les croyants avec sérénité et quiétude. Elle donne du sens à ce qui s'apparente dans la vie au dérisoire et à l'absurde. Tandis que le progrès tente de reculer, entre autres objectifs, l'échéance de la mort le plus tard possible ne « croyant » plus au paradis post mortem, dès lors qu'il peut être disposé dans ce monde-ci et pouvoir y jouir des délices capouanes dès à présent. En réalité la religion a un rôle d'accompagnement mais aussi de vigilance quant au comportement des croyants, pour que l'homme ne soit pas livré à l'anarchie des marchés et à la jungle du consumérisme. L'homme aspire aussi à plus de grâce et de communion. De nos jours, une pensée théologique bien construite doit se livrer, à juste raison, à la critique de la raison économique. Enfin, face à l'ordre social marchand triomphant, les religions « saines » ont surtout des prétentions à répondre, lorsque les biens matériels sont assurés, aux sempiternelles questions auxquelles les hommes sont confrontés. Elles tentent d'apaiser les inquiétudes existentielles et les angoisses métaphysiques. Devant les vanités du siècle et les promesses du monde, elles répondent aussi aux invariants besoins de transcendance et à la soif inextinguible de spiritualité.