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L'Algérie trahie par les siens

Il rappelle Novembre 1954, la guerre fratricide FLN-MNA et celle de la décennie noire engendrée par l'arrêt du processus électoral de 1992, mais il n'est pas indifférent aux soubresauts du monde, surtout lorsque la guerre est à ses portes.
Le peuple algérien sait compatir, et derrière son caractère souvent ombrageux, se cache un humanisme sans pareil. Et justement, au sujet de cette guerre de Libération nationale, combien de pays amis lui ont tendu la main. Le peuple algérien n'est pas ingrat.
Comment pourrait-il rester indifférent devant ces images insupportables de corps qui jonchent les rues de Damas et de Tripoli. Il a même crié victoire à la chute des tyrans d'Egypte et de Tunisie. J'ai vu des Algériens danser aux Invalides, à Paris, où festoyaient les Egyptiens au son du tambourin. J'ai même vu un Algérien pleurer. Elle était loin la Coupe d'Afrique avec les visages ensanglantés de Lemouchia et Belhadj.
Vaquant à ses occupations quotidiennes, mais l'oreille tendue vers ce qui se passe aux frontières, le peuple algérien oublie de regarder ce qui se passe à sa barbe et sous son nez, une conférence internationale glorifiant Messali et le MNA, qui s'est déroulée à Tlemcen, la ville des deux célèbres martyrs, le docteur Benzerdjeb et le colonel Lotfi. Pourtant, les historiens affirment dans leurs ouvrages que Messali n'a pas participé à la Révolution du 1er Novembre 1954 ; elle s'est déroulée en dehors de lui, précisent-ils. Ces historiens ne font rien d'autre que confirmer ce que nos anciens moudjahidine encore vivants savent mieux que personne, et qui vivent aujourd'hui la honte.
Depuis quelques années, et avec plus d'acuité ces derniers mois, des personnalités algériennes, sur le sol national même, ne se gênent plus pour parler du MNA, déclarant qu'il a combattu pour l'indépendance du pays, au même titre que le FLN, et réclament ouvertement dans la presse, et directement du président de la République, que les morts du MNA soient considérés comme des martyrs, alors même qu'ils avaient combattu le FLN. Tout Algérien sait, et c'est bien la seule chose qu'on n'ait pas besoin de lui enseigner, que Messali a refusé de soutenir la Révolution algérienne et l'a au contraire combattue avec son armée du MNA.
Au total, selon certaines sources, 10 000 moudjahidine sont morts des mains du MNA. Des universitaires d'origine algérienne, professant à l'étranger, se sont investis depuis de nombreuses années pour arriver à ce jour de «gloire», non seulement la réhabilitation de Messali, mais faire des combattants du MNA des martyrs. S'ils sont arrivés jusqu'à organiser une telle conférence, c'est qu'ils ont déjà gagné. Ils pavoisent, et pourquoi se gêneraient-ils, puisque sur le sol national des voix s'élèvent pour relayer le message. Cette réhabilitation de Messali s'organise à visage découvert, et les Algériens n'ont pas l'air de considérer que c'est grave, ou bien, ils s'en soucient bien peu, ou bien, ils ne le savent même pas, ou bien, ils ne veulent plus se mêler, car, depuis 1962, ils ont été laissés sur le palier, «l'indépendance confisquée».
Et préoccupés qu'ils sont par la rentrée scolaire et universitaire, fatigués par un Ramadhan caniculaire, ils vaquent à leurs occupations peut-être le cœur amer. Lorsqu'ils prendront conscience, l'affaire sera réglée. Les photos de Messali ne pavoiseraient plus seulement Tlemcen, mais l'Algérie entière, et il sera trop tard pour y remédier. Le peuple algérien aura été floué, il sera entré dans le règne de la deuxième confiscation de l'indépendance.
Lorsque j'avais écrit par inadvertance, dans mon livre La crise de l'été 1962 : «La confiscation de l'indépendance confisquée», j'avais pris pour erreur d'écriture une vérité à venir. Messali et le MNA en apothéose, et pourquoi les messalistes se gêneraient-ils, puisque l'aéroport de Tlemcen qui portait le nom du colonel Lotfi a été débaptisé au profit de Messali, et aucune voix ne s'est élevée pour dénoncer l'infamie. Heureusement que le chahid est parti avec l'odeur du musc du paradis.
Tout a été fait durant 50 ans pour que le sigle FLN soit vomi par des Algériens, confondant le glorieux Front de libération nationale qui a libéré la patrie, avec le FLN qui a surgi après 1962. Le second a profité de l'auréole de gloire du premier pour détourner le bien-fondé de cette révolution à son seul privilège.
Le livre FLN va bientôt être refermé, on a divisé les rangs du second (celui né après 1962) et tant mieux diraient beaucoup de gens. Et ils auraient presque raison si on ne savait pas qu'on a toujours divisé pour régner, et il s'agirait à présent juste de savoir laquelle des deux fractions antagonistes est la bonne. Lorsque jusque-là certains parlaient de l'histoire falsifiée, personne ne soupçonnait qu'il s'agissait d'attribuer le déclenchement de la Révolution algérienne à Messali. Si en 1957 Abane Ramdane a été assassiné, le 17-18 septembre 2011, d'une certaine manière, c'est sa tombe qui sera profanée, car il n'y a aucun doute que Abane Ramdane était la bête noire des messalistes, parce que d'une part, il avait combattu sans ménagement les troupes armées du MNA, et à ce niveau, une question se doit d'être posée : l'état major du MNA aurait-il ordonné l'assassinat de Abane Ramdane ?
Et d'autre part, certains messalistes, qui avaient infiltré le FLN pour le miner, reprochaient à Abane d'avoir fédéré, car ils ne voulaient pas des UDMA et des oulémas dans le rang de la guerre de Libération nationale. Ces UDMA qu'ils avaient en haine, du fait que leur leader, Ferhat Abbas, avec son aura nationale et internationale, faisait de l'ombre à leur «maître» avec lequel ils n'avaient jamais rompu et du fait que Ferhat Abbas était un homme de savoir, alors que Messali était analphabète.
En écrivant son livre Demain se lèvera le jour, Ferhat Abbas, le visionnaire, se serait-il pour une fois trompé ? Assurément non, puisqu'il avertit ses compatriotes que personne ne pourrait présager de ce que nous réservent les années 2000.
En effet, il y a eu l'incroyable, l'effroyable et l'inimaginable 11 septembre 2001, et le monde dans son ensemble a basculé. Mais les Algériens, qui eux seuls ont vécu les affres du terrorisme bien avant ce fameux 11 septembre, ont beaucoup souffert et perdu beaucoup de vies humaines innocentes.
Le printemps arabe aurait pu être aussi le leur, les jasmins auraient de nouveau embaumé Alger et l'élite qui s'est expatriée aurait retrouvé l'espoir de revenir au pays. Mais voilà qu'à la place du printemps, c'est la guerre d'Algérie qui refait surface. Le 1er Novembre 1954 est confisqué et attribué à Messali du seul fait que les membres du CRUA étaient des ex-MTLD. Oui, c'est vrai, mais la suite de la vérité c'est que Messali a refusé de suivre le mouvement libérateur et a créé le MNA pour combattre ses propres frères. Et il les a combattus.
Contrairement à Ferhat Abbas, qui, lui, a dissous son parti, l'UDMA, pourtant un parti à l'envergure nationale, et qui a abandonné famille et biens, et fermé définitivement les portes de son journal La République algérienne, pour rejoindre le Front de libération nationale, suivi par tous les UDMA qui ont suivi le mot d'ordre de leur leader, rejoindre le Front de libération national pour libérer le pays de l'oppression coloniale. Au lieu d'avancer et de connaître des lendemains qui chantent, voilà qu'on veut usurper le peuple algérien de cette révolution qui fut et qui demeure sa gloire, pour la remettre entre les mains du messalisme alors qu'il avait rompu avec lui en 1954.
Le messalisme en lui-même n'est pas la vraie question, car en tant qu'idéologie, il mérite l'attention des chercheurs de manière à comprendre pourquoi Messali n'a pas suivi le mouvement national libérateur, trompant ainsi ses militants en parlant d'indépendance, et le moment venu a fait marche arrière.
Messali a eu le privilège, et grâce à Ferhat Abbas, qui est intervenu en sa faveur d'obtenir sa carte d'identité nationale qui lui avait été refusée par les gouvernants de l'heure, et d'être enterré à Tlemcen, sa ville natale.
Par cet acte humanitaire, on lui pardonna d'avoir failli au moment de l'appel de la nation. Mais les messalistes, depuis le décès de Boumediène, tenaces, revinrent au-devant de la scène pour réhabiliter le «maître». Qu'à cela ne tienne, les décideurs algériens abdiquèrent au nom de la réconciliation nationale. L'aéroport de Tlemcen, qui portait jusque-là le nom du valeureux chahid, le colonel Lotfi, lui aussi natif de Tlemcen, a été débaptisé au profit de Messali.
Combien chaudes et amères furent les larmes de ceux et celles pour lesquels le colonel Lotfi venait une nouvelle fois d'être tué ! Comme si dans tout Tlemcen, il n'y avait aucun édifice à lui attribuer que de jeter à la voirie la pancarte «Aéroport El Akid Lotfi». L'on se demande, si l'on n'avait pas attribué le nom de Ferhat Abbas à l'aéroport de Jijel, que pour justifier d'attribuer celui de Tlemcen à Messali. C'est que l'on a confondu celui qui a suivi le mouvement libérateur (Ferhat Abbas) avec celui (Messali) qui lui tourna le dos. Mais débaptiser est devenu monnaie courante, puisque le nom du second président du GPRA, Benyoucef Benkhedda, a été ôté du fronton de l'université d'Alger.
Cela se comprend mieux aujourd'hui, Benkhedda ne fut-il pas à la tête des centralistes qui quittèrent Messali pour rejoindre le mouvement libérateur ? Le peuple algérien est loin d'être bête, mais on l'a occupé sciemment par des problèmes de survie cinquantenaires. On agit en son nom sans le consulter et donc contre lui, puisqu'il n'a jamais eu de mots à dire sur les décisions qui le concernent, comme s'il n'a jamais eu de patrie.
Mais les messalistes voulaient plus pour celui qu'ils appellent «le père de la nation» qui, pourtant, au moment de libérer cette même nation, lui a non seulement tourné le dos, mais lui a brandi une menace avec son armée du MNA. Mais les messalistes ne voulaient pas d'une simple réhabilitation déjà obtenue, mais d'une reconnaissance et pas n'importe laquelle, celle qui est d'admettre de manière définitive, que c'est Messali qui est à l'origine de la Révolution algérienne.
A partir de là, les choses se clarifient, les Algériens sont pris en otages de la désinformation, et personne n'ose élever la voix pour mettre fin au mensonge. C'est donc que l'affaire est entendue ; c'est donc que le piège s'est refermé ; c'est donc en 1962, les Algériens avaient pavoisé pour rien. Les messalistes attendaient leur heure. Nous pensions qu'avec le printemps arabe, le jour allait se lever sur une Algérie démocratique où tous les Algériens auraient les mêmes droits et les mêmes devoirs, fin aux privilèges.
Apparemment, nous revenons 50 ans en arrière pour vivre de nouveau le parti unique, pire, pire que ce que fut le boumediénisme. Les centralistes n'avaient-ils pas quitté Messali que parce qu'il voulait se faire élire président à vie ?
«Décidément, l'Algérie est un pays qui n'a pas de chance.» (Ferhat Abbas)

Auteur Ferhat Abbas. L'injustice Alger-Livres éditions. Alger 2010
La crise de l'été 1962 Alger-Livres éditions. Alger 2011.


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