Depuis l'Antiquité, l'Homme s'est toujours préoccupé de la meilleure manière de construire son gîte en matière de sécurité, de confort et de durabilité pour sa famille ; des châteaux pour son royaume et des temples pour ses morts. Cette propension quasiment innée relève du désir permanent de laisser des traces de son vécu, de son art et de son histoire aux générations futures. À propos de l'art de bâtir, l'égyptologue Christian Jack, dans sa collection sur l'histoire des pharaons, relatait que le pharaon Sethi disait en conseillant à son fils Ramsès : « c'est au contact des hommes de métier que se forme le sens de gouvernement. La pierre et le bois ne mentent jamais. Pharaon est bâti par l'Egypte, Pharaon bâtit l'Egypte, il construit et construit encore, car bâtir le temple et le peuple est le grand acte d'amour ». Au cours des temps, l'art de bâtir est transmis de génération en génération, et, à chaque époque de l'humanité, des techniques nouvelles et des améliorations sont inventées et introduites dans la manière de construire en favorisant la sécurité maximale vis-à-vis des aléas de la nature, la quête permanente de plus de confort, l'isolation contre le chaud et le froid et tout ce qui peut altérer la quiétude des occupants. Ainsi donc, le souci de tout futur propriétaire est de réaliser son projet au moindre coût possible, dans les conditions de sécurité, d'esthétique et de confort qu'il aura fixées au préalable. L'art de bâtir est en effet un acte culturel qui est une résultante de l'éthique, de l'esthétique et de la technique. Parlant de culture, Malek Bennabi, dans son ouvrage Le problème de la Culture expliquait que : « Le problème de la culture ne se pose pas du tout pour nous dans l'abstrait, au théâtre, au cinéma, dans le cabinet de travail d'un romancier ou dans le style d'une danse folklorique mais dans le concret de notre travail quotidien, sur un chantier de construction, dans un champ que nous labourons, dans l'école où nous envoyons nos enfants, dans les rues où nous passons, dans les trains que nous prenons, enfin partout où se trouve une forme quelconque de notre vie et de nos activités manuelles et intellectuelles. En effet, l'art de bâtir doit donc s'exercer avec passion, attachement et persévérance. Plus on se détache de ces conditions, plus on s'éloigne des vrais repères liés à la culture de « bien bâtir ». Cependant, la production architecturale et urbanistique et tout produit dans le domaine de la construction dans notre pays restent en deçà des espérances en matière de qualité, de quantité et de durabilité, engendrant une situation inextricable dans le domaine de la construction et dépilant l'acte de bâtir de toutes ses qualités valorisantes. Ce qui suit se veut donc une réflexion sur l'art de bâtir et les sujétions qui entraînent sa perdition. Nous tenterons d'éclairer le lecteur de manière simple sur certains points préoccupants et facteurs influents dans la production de la qualité liés à l'acte de construire. L'acte de construire, entre hier et aujourdh'ui À l'indépendance, l'Algérie a hérité d'un parc immobilier relativement neuf et concentré dans les centres urbains. Au cours des années 70, la qualité de la construction a évolué positivement. À l'époque, le pays disposait encore de compétences et méthodes de gestion héritées de l'ère coloniale, les personnels d'encadrement et de maîtrise ont rondement mené leur mission dans la gestion des projets (maîtrise d'ouvrage, maîtrise d'œuvre, réalisation et contrôle d'exécution). Ainsi donc et jusqu'aux années 80, les règles régissant l'acte de bâtir ont été tout au moins respectées, les valeurs liées à l'art de construire protégées et le produit fini nettement appréciable. Cela se vérifie in situ par la qualité des ouvrages réalisés et leur maintien en bon état à ce jour, contrairement au bâti récent, réalisé dans la précipitation,sans respect des règles de l'art ni dans la conception, ni lors de la réalisation, ni même pendant l'exploitation. Cette décadence conceptuelle a généré l'actuel gâchis en matière de construction que les professionnels du secteur subissent amèrement. En effet, la qualité des ouvrages, les délais et le suivi de réalisation ne sont plus des vertus. La légèreté dans la prise en charge du secteur a fini par générer des gaspillages qui se transformeront un peu plus tard en véritables gouffres financiers. Ceci dit, la différence de qualité entre le tissu urbain ancien de nos villes et celui de la production architecturale plus récente n'échappe ni au connaisseur, ni même au citoyen ordinaire. Le délaissement du patrimoine ainsi que l'abandon des méthodes scientifiques de réalisation héritées de la période coloniale ont progressivement fait place à des tâtonnements dans la manière de construire, ce qui contribue à la complication des choses et masque des solutions évidentes de simplicité et d'efficacité. Le constat est flagrant : l'ancien bâti de l'ère coloniale reste toujours beau, nonobstant le peu et parfois l'inexistence complète d'entretien qui tend à le rendre « sénile », nécessitant rénovation et/ou réhabilitation dont on n'arrête pas de parler aujourd'hui. Le nouveau bâti a moins résisté aux effets naturels et présente des images paradoxales de vétusté sur le plan de l'urbanisme, de conception ainsi que par sa qualité exécrable de réalisation, en dépit de moyens, de technologie et de nouvelles méthodes de gestion dont on dispose actuellement. En guise de comparaison, l'exemple le plus frappant est l'édifice de La Grande Poste d'Alger, ce joyau de l'architecture néo-mauresque qui continue a impressionner de part sa conception, son intégration à l'environnement urbanistique ainsi que par son cachet singulier de construction moderne qui s'allie à une inspiration de l'histoire locale. La réalité amère est q'un siècle après son édification, nous nous trouvons dans l'incapacité intégrale à « reproduire » ce genre de projet avec une égale qualité dont,d'ailleurs, même le simple entretien présente un casse-tête pour la collectivité. (A suivre)