Poétesse d'expression bilingue (français et kabyle), Anissa Mohammedi revient dans cet entretien sur son dernier recueil De terre et de chair, publié aux Ecrits des Forges au Québec (Canada). Vous êtes de retour au pays avec votre nouveau recueil De terre et de chair publié aux Ecrits des Forges (Québec) en coédition avec Le Temps des Cerises à Paris. Quel est votre sentiment ? Il serait peut-être excessif de dire que j'accueille mon nouveau-né (que j'ai tout de même conçu toute seule et que j'ai porté plus de neuf mois) mais comme à chaque publication, c'est une œuvre qui sort de mes tripes et celle-ci particulièrement comme son nom l'indique, De terre et de chair est un va-et-vient entre les essences de la vie. Qu'évoque justement votre nouvelle œuvre ? Il est difficile de faire une lecture synthétique d'un recueil de poésie dans la mesure où il n'y a pas d'histoire mais des fragments de vie. L'œuvre poétique restera toujours inachevée. De terre et de chair est composée de quatre parties qui touchent à des questions existentielles, ce qui caractérise mon écriture. Dans Entre parenthèse, je retrace un cheminement de l'existence dont je fais partie avec un début et une fin comme une parenthèse qui s'ouvre et se ferme. Entre les deux bornes se confrontent les acquis, les doutes, la résilience, les chagrins et les espoirs. Fragments est mon regard sur l'arrière-plan de certains éléments du monde visible. Je me penche sur le détail qui m'interpelle et nourrit ma créativité. Je tente de décrypter les sens qu'accroche ma grande sensibilité du poète que je suis. Rien n'est uniforme, tout n'est finalement que fragments et entités dissimulés par un assortiment que le regard a souvent tendance à effleurer et peut-être inconsciemment évite de s'y exposer. Dans De terre et de chair, je palpe les différentes blessures de ma propre chair et de ma propre âme, celles des autres, celles de ma terre et ma terre d'accueil. De terre et de chair se veut aussi un début de réconciliation avec ma mère au sens propre et figuré. Dans la quatrième partie, A coup de cœur, je me livre dans ma joute poétique dans mon univers un peu plus intime de femme. Ces coups de cœur qui se succèdent et qui nous rangent discrètement à l'intérieur, prennent du temps à se cicatriser. Je voulais dépasser une certaine réserve voire pudeur pour laisser parler tout simplement mon cœur. Ecrire ces coups de cœur fait aussi partie de ma traversée. Votre écriture est empreinte de profondeur, de philosophie et de mélancolie, qu'est-ce qui vous inspire ? Effectivement, mais ce sont des notions qui vont de soi. En ce sens que la poésie demeure le contenant démesuré de toutes sortes de signes. C'est une traversée intérieure et infinie où convergent la conscience, l'engagement et les multiples configurations à la fois pertinentes et fulgurantes. La poésie est la beauté propre de la laideur. Je fais de mes propres « laideurs » de la subtilité langagière et émotive. Je tente de projeter par écrit un complexe émotionnel et imagé très encombrant. Les mots ne sont pas seulement un code du langage mais une sorte de copie intégrale de cette mixture et de ma vérité. La métaphore s'impose à moi dans cette projection.Quant à l'inspiration, ce n'est pas vraiment le mot qui me convient. Je parlerai de resurgissement dans un moment présent certes et qui échappe à mon contrôle mais qui fait suite à la fois aux convulsions antérieures mais aussi postérieures. J'écris souvent par bribes en répondant à ces pulsions. On dit que les poètes sont habités ! Je confirme. J'ai le sentiment d'habiter le monde et le monde cherche aussi refuge en moi. Je n'ai presque plus de place pour le contenir. J'ai besoin d'une certaine protection émotionnelle contre les violences intérieures et ambiantes.