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Des zaouïas en Algérie et au Maroc Abdellah Cherif Ouazzani. Président de la fondation Moulay Abdellah Cherif pour les études et la recherche scientifique
Confréries musulmanes ou zaouïa, tout le monde en parle, particulièrement ces derniers temps. Aujourd'hui, ces confréries occupent une place sans précédent dans le débat socio-politique. Abdellah Chérif Ouazzani, docteur en études islamiques et arrière-petit -fils de Moulay Abdellah Chérif, fondateur de la zaouïa ouazzania au Maroc, revient, entre autres, sur le rôle des zaouïas dans les sociétés maghrébines. En Algérie, les confréries musulmanes sont moins « traditionalistes » qu'au Maroc de par leur urbanisation. Les zaouïas ont-elles la même présence, la même influence dans ces deux pays ? Entre l'Algérie et le Maroc, il y a tellement de ressemblances que l'on pourrait les confondre. Ils ont les mêmes origines ethniques (amazighe et arabe), la même langue, la même religion, les mêmes traditions, et pendant des siècles, ils représentaient la même entité géographique (le Maghreb). Sur le plan de la pratique religieuse, au niveau de la croyance, c'est la doctrine achaârite qui règne. Au niveau du fikh, c'est le rite malékite, et au niveau du comportement, c'est la pensée soufi. Dans son livre L'essentiel de la religion musulmane (al mourchid al mouiine), un grand savant marocain, Ibn Achir, résume les spécificités de l'Islam au Maghreb en ce qui concerne les trois fondements : tawhîd, fiqh et spiritualité, et il dit : « Dans la croyance d'ibn achire et le fikh de malek, et dans la voie d'Al Jounaid Assalik. » Ce qui compte dans les zaouïas, c'est le contenu et la méthodologie de travail, et non la forme. Les mêmes zaouïas se retrouvent en Algérie et au Maroc. Par exemple, la zaouïa alaouia, dont le siège est à Mostaganem, a des ramifications au Maroc. La zaouïa derkaouia belkaidia à Tlemcen trouve son origine au Maroc. La zaouïa tijania se trouve au Maroc et en Algérie. La zaouïa ouazzania, au Maroc, mais a des ramifications en Algérie sous le nom de taibia. Aujourd'hui plus qu'avant, nous avons besoin du soufisme en tant que pensée, éducation et pratique comportementale pour rétablir les équilibres et créer un climat serein nous permettant de vivre pleinement notre religion, et aussi de composer avec notre environnement, afin de laisser un monde à nos enfants où règnent la paix, la sécurité et la prospérité. En Algérie, la plupart des zaouïas ont soutenu le président Abdelaziz Bouteflika lors de la dernière campagne électorale. Au Maroc, les confréries musulmanes sont-elles au service de la monarchie ? Au Maroc, les confréries sont au service de la justice, de la parole de Dieu et de celui qui est capable d'assurer un développement social, économique et culturel à la nation. Aujourd'hui au Maroc, la monarchie sous le règne de sa majesté le roi Mohammed VI, que Dieu le préserve, remplit pleinement ces conditions. La participation des zaouïas à la politique ne porte-t-elle pas préjudice à leur image, à leur légitimité ? Les zaouïas sont une composante essentielle de la société civile, qui agit dans le domaine de l'éducation religieuse, mais de par leurs disciples qui sont des citoyens du pays dans lequel ils vivent, se soucient de leur présent et de leur avenir. Les zaouïas ont toujours été garantes de la stabilité du pays, agissant en pleine complémentarité avec le pouvoir en place, dans la perspective de garantir la stabilité politique, économique et surtout religieuse, et ainsi lutter contre les dérives. Vous avez participé au centenaire de la tariqa el alaouia au mois de juillet, à Mostaganem. Que pensez-vous de la polémique suscitée par le livre de cheikh Khaled Bentounès ? Je n'ai pas lu le livre du cheikh Khaled Bentounès sur le soufisme, et donc je ne peux pas me prononcer sur le contenu. Mais sur la manière dont la polémique a été déclenchée, il y a beaucoup à dire. D'abord, le comportement des hommes de religion doit être imprégné de compassion et de miséricorde surtout au début, quand ils n'ont pas encore rencontré l'intéressé et discuté avec lui le contenu, les intentions et le conseiller en cas d'erreur pour qu'il revienne à la raison. Ce que je n'ai pas apprécié, c'est le lynchage médiatique qui influence les masses, et je pense que si c'était arrivé dans les années 1990, il aurait été abattu. Le prophète Sidna Mohamed nous a montré la voie à suivre, et les exemples sont nombreux dans la conduite prophétique. Dans des cas similaires, il appelait les personnes qui se comportaient différemment ou disaient des choses opposées aux principes fondamentaux de l'Islam, et approfondissait la connaissance du problème, corrigeait ou rectifiait, et les situations se terminaient toujours positivement. Pensez-vous qu'au Maghreb en général et en Algérie en particulier, les zaouïas sont politisées ? Dans le passé, les fonctions et les rôles des zaouïas se caractérisaient par la richesse et la diversité, d'abord sur le plan religieux, ensuite sur le plan social. Elles jouaient le rôle d'institutions de bienfaisance qui hébergent et nourrissent les nécessiteux et les voyageurs, aident les pauvres et distribuent les habits et la nourriture en cas de catastrophe naturelle. Sur le plan de la défense du pays, les zaouïas ont joué un rôle important, particulièrement contre l'occupant français et espagnol. Le meilleur exemple ? L'émir Abdelkader en Algérie et ses frères au Maroc, que ce soit au Nord face aux Espagnols et au Centre et au Sud face aux Français. Et je citerai l'exemple de mon arrière-grand-père, le fondateur de la zaouïa ouazzania, Moulay Abdellah Chérif, qui combattit lui-même à Brija, Azzemour, Mehdia, Larache et Tanger. Son fils Sidi Mohamed a aussi combattu à Sebta ! Les zaouïas ont toujours été partie prenante dans la politique du pays, et à quelques exceptions, les zaouïas entretenaient avec les sultans et les gouvernants des relations d'entente, de respect et d'aide, particulièrement dans la réconciliation des tribus avec le pouvoir et la participation dans les expéditions des sultans. Aujourd'hui, les choses ont changé, et les zaouïas ont un rôle essentiel à jouer en parfaite synergie avec le pouvoir en place, dans l'encadrement et l'éducation des gens selon la tradition prophétique, inspiré des valeurs de miséricorde, d'amour, de respect, d'abnégation et surtout de coexistence avec les autres nations, les autres civilisations et les autres religions. Qu'on le veuille ou non, on est condamnés à cohabiter sur cette terre avec toutes les autres composantes de l'humanité, faisons-le pacifiquement, dans la compréhension et le respect mutuel.