Chrétiens et musulmans : ensemble pour vaincre la pauvreté, message pour la fin du Ramadhan Chers amis musulmans, A l'occasion de la conclusion du mois du Ramadhan, je désire adresser à vous tous mes vœux de paix et de joie et, par ce message, vous proposer une réflexion commune sur le thème « chrétiens et musulmans : ensemble pour vaincre la pauvreté ». Il faut sans doute nous réjouir de constater que ce message du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux est devenu non seulement un usage, mais un rendez-vous attendu. Dans plusieurs pays, il est l'occasion de rencontres amicales entre de nombreux chrétiens et musulmans. Il n'est pas rare non plus qu'il corresponde à un souci partagé, propice à des échanges confiants et ouverts. Tous ces éléments ne constituent-ils pas d'emblée des signes d'amitié entre nous pour lesquels il y a lieu de rendre grâce à Dieu ? Pour en venir au thème de cette année, la personne humaine en situation d'indigence est incontestablement au cœur de préceptes qu'à divers titres nous chérissons. L'attention, la compassion et l'aide que tous, frères et sœurs en humanité, nous pouvons offrir à celui qui est pauvre, pour lui redonner sa place dans la société des hommes, est une preuve vivante de l'amour du Très-Haut, puisque c'est l'homme comme tel qu'Il nous appelle à aimer et à aider, sans distinction d'appartenance. Nous savons tous que la pauvreté humilie et qu'elle engendre des souffrances intolérables, qu'elle est souvent source d'isolement, de colère, voire de haine et de désir de vengeance. Cela pourrait pousser à des actions d'hostilité par tous les moyens disponibles, cherchant à les justifier même par des considérations d'ordre religieux : s'emparer, au nom d'une prétendue « justice divine », de la richesse de l'autre, y compris de sa paix et de sa sécurité. C'est pour cela que repousser le phénomène d'extrêmisme et de violence implique nécessairement la lutte contre la pauvreté par la promotion d'un développement humain intégral que le pape Paul VI définissait comme « le nouveau nom de la paix » (Lettre encyclique Populorum Progressio, 1975, n°76). Dans sa récente Lettre encyclique, Caritas in Veritate, sur le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité, le pape Benoît XVI, prenant en compte le contexte actuel de l'engagement en faveur du développement, met en lumière, entre autres, la nécessité d'une « nouvelle synthèse humaniste » (n°21) qui, sauvegardant l'ouverture de l'homme à Dieu, lui redonne sa place « au centre et au sommet » de la Terre (n°57). Un véritable développement, alors, ne pourra qu'être ordonné à « tout homme et à tous les hommes » (Populorum Progressio, n°42). Dans son homélie du 1er janvier dernier, lors de la Journée mondiale de la paix 2009, Sa Sainteté le pape Benoît XVI distinguait deux types de pauvreté : une pauvreté à combattre et une pauvreté à embrasser. La pauvreté à combattre est sous les yeux de tous : la faim, le manque d'eau potable, la pénurie de soins médicaux et de logements adéquats, la carence de systèmes éducatifs et culturels, l'analphabétisme, sans toutefois passer sous silence aussi l'existence de nouvelles formes de pauvreté « par exemple dans les sociétés riches et avancées, ... des phénomènes de marginalisation, de pauvreté relationnelle, morale et spirituelle » (Message pour la Journée mondiale de la paix, 2009, n°2). La pauvreté à choisir est celle d'un style de vie simple et essentiel qui évite le gaspillage et respecte l'environnement et tous les biens de la Création. Cette pauvreté est aussi, au moins pendant certaines périodes de l'année, celle de la frugalité et du jeûne. La pauvreté choisie prédispose à sortir de nous-mêmes et dilate le cœur. Comme croyants, désirer la concertation pour chercher ensemble des solutions justes et durables au fléau de la pauvreté, signifie aussi réfléchir sur les graves problèmes de notre temps et, quand cela est possible, vivre un engagement commun pour en venir à bout. En cela, il incombe que la référence aux aspects de la pauvreté liés à la mondialisation de nos sociétés revête un sens spirituel et moral, car nous partageons la vocation à construire une seule famille humaine dans laquelle tous — individus, peuples et nations — règlent leurs comportements sur les principes de fraternité et de responsabilité. Un regard attentif sur le phénomène complexe de la pauvreté nous conduit à en voir fondamentalement l'origine dans le manque de respect de la dignité innée de la personne humaine et nous appelle à une solidarité globale, par exemple à travers l'adoption d'un « code éthique, commun » (Jean Paul II, Adresse à l'Académie pontificale des Sciences sociales, 27 avril 2001, n°4) — dont les normes n'auraient pas seulement un caractère conventionnel, mais seraient enracinées dans la loi naturelle inscrite par le Créateur dans la conscience de tout être humain (cf. Rm 2, 14-15). Il semble que, dans divers endroits du monde, nous soyons passés de la tolérance à la rencontre, à partir d'un vécu commun et de soucis partagés. C'est là un cap important qui a été franchi. En mettant à la disposition de tous la richesse de la prière, du jeûne et de la charité des uns et des autres, n'est-il pas possible que le dialogue mobilise les forces vives de ceux qui sont en marche vers Dieu ? Le pauvre nous interpelle, nous défie, mais surtout il nous invite à collaborer pour une noble cause : celle de vaincre sa pauvreté ! Bon et heureux Aïd el Fitr ! Jean-Louis Cardinal Tauran Président Archevêque Pier Luigi Celata, Secrétaire