Pourquoi ? Il vient d'abriter, encore une fois, du 4 au 8 décembre 2011, un événement majeur de réputation mondiale pour les industriels du pétrole et du gaz. C'est pour la première fois que le Congrès mondial du pétrole se tient au Moyen-Orient depuis sa création en 1933. Plus de 5000 délégués, représentant près de 60 pays, y ont participé. On aura remarqué, durant cette session, que le Qatar n'a pas raté l'occasion de jouer la carte du gaz, le présentant comme une offre pouvant contribuer à surmonter les difficultés liées à l'approvisionnement en pétrole. Ceci permettra, selon ses délégués venus en force, de résoudre les problèmes inhérents à la crise dans les pays arabes. Bien que ces assises aient soulevé la problématique des sources alternatives, comme les énergies renouvelables, le charbon, le gaz non conventionnel, la répercussion du printemps arabe sur la production et l'offre en général de l'énergie, le Qatar, en tant que pays organisateur, n'a pas raté l'occasion de faire un travail de coulisse pour la mise en œuvre de ses intentions de ratisser large sur le marché du gaz. En effet, les conclusions du 1er sommet du Forum des pays exportateurs de gaz (FPEG), qui s'est tenu à Doha les 15 et 16 novembre en présence de chefs d'Etat, ont été simplement des ronrons, eu égard à la problématique générale de la commercialisation du gaz naturel dans le monde. La poignée de main entre Bouteflika et Abdeljalil de Libye sous «les bons soins» du Cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani, a été plus médiatisée et semble plus importante que le contenu des points inscrits à l'ordre du jour. Certes, on ne peut pas parler d'échec, mais ce sommet n'était pas une réussite non plus, il peut être considéré comme un non-événement pour au moins trois raisons : 1- les douze membres permanents et les trois observateurs du forum ont tous privilégié leurs intérêts économiques et aucun compromis n'apparaît clairement, sinon les fondamentaux de la commercialisation du gaz, à savoir le contrat à long terme et l'indexation du prix du gaz sur celui des autres produits pétroliers concurrents. Or ces deux paramètres commerciaux sont plus en faveur des gros producteurs que du reste des membres. Le tableau ci-après donne les réserves/ production et la durée de vie (voir tableau). Nous constatons que le Qatar, la Russie et l'Iran représentent à eux seuls plus de 79,4% des réserves de l'ensemble des pays du forum, les 12 restants, y compris les observateurs, ne pèsent à peine qu'un peu plus de 20%. Ce chiffre peut être porté à 53,2% comparé aux réserves prouvées dans le monde. Les réserves de tous ces pays réunis pèsent plus de 70% des réserves mondiales, ils assurent 40% de la production et près de 60% des exportations. L'objectif donc de ces gros producteurs est la recherche de débouchés garantis pour placer leur gaz quitte à casser le prix comme l'a déjà fait la Russie ; 2- la question du contrat à long terme et celle de l'indexation du prix du gaz sont d'actualité depuis le milieu des années 1950, donc le forum ne ramène rien de nouveau au marché ; 3- le prix du gaz naturel, sous l'effet de la dérégulation aux Etats-Unis et au Royaume-Uni dans les années 1980 et depuis quelques années sur le continent américain, va certainement changer l'avenir et l'image de l'évolution passée du marché gazier. C'est de cette évolution que seront sans doute plus sensibles les transactions sur le marché que l'influence d'un cartel quelconque. Il faut souligner, par ailleurs, que l'OPEP le fait d'une manière indirecte au gaz. Le FPEG n'est en fait qu'un groupe de concertation, de collaboration d'échange de données et surtout d'expérience. Pour donner un ordre de grandeur, on peut retenir ce qui suit : pour un brut à 60$ le baril, le gaz se vendrait aux environs de 3$ MMbtu(1) ; pour un baril à 100$, le prix du gaz se situerait autour de 12$ MMbtu. Aujourd'hui, il est dans cette zone et montre que l'évolution des prix du brut est intiment liée à celui du gaz dans le marché mondial. Pourtant, de ce statut du FPEG, les observateurs s'attendaient de ce premier sommet de Doha à des montages de partenariat, de création d'instruments de capitalisation, de consolidation d'expérience et de formation. Mais aucune de ces questions n'a été sérieusement examinée. Par contre, chacun surveille l'autre sans engagement et surtout en gardant jalousement sa part de marché. Les grands exportateurs comme l'Iran, la Russie et le Qatar tentent d'imposer leurs idées d'exporter au maximum et de garantir des débouchés sûrs et stables, donc d'orienter tous les membres vers des contrats à long terme qui, logiquement, les arrangent pour diversifier leur clientèle afin de rester puissants sur le marché gazier. En d'autres termes, une forme de leadership comme le fait l'Arabie Saoudite au sein de l'OPEP. Ils se doivent de rester compétitifs, non seulement par rapport aux autres sources d'énergie, mais aussi aux autres pays. Le Qatar spécialement vise l'Europe de l'Ouest pour chasser sur les terres de l'Algérie. A la limite, la Russie et l'Iran se contentent de leurs marchés traditionnels. Le premier, par exemple, s'est toujours intéressé à l'Europe de l'Est et celle du Nord. L'Algérie et les autres petits producteurs cherchent à défendre le prix de vente de leur gaz et les indexer aux produits concurrents et à en tirer le maximum possible pour le développement de leurs pays respectifs. Ils ne pourront pas le faire avec des contrats à long terme dans lesquels le prix et les formules de leur révision sont fixées à l'avance. Comment ? La genèse des contrats à long terme Au début des échanges gaziers sur de longues distances, en particulier aux Etats-Unis et en Europe, un réseau s'était développé pour permettre les importations en provenance de l'Algérie, la Russie, la Norvège et les Pays-Bas. Dans le même temps, des échanges par gaz naturel liquéfié (GNL) vont se mettre en place en Asie pour alimenter les anciennes centrales électriques au pétrole du Japon. Le Canada a alimenté les USA. La pérennité de ces échanges nécessitait de gros investissements de transport très lourd avec des unités de référence : le milliard de dollars de cette époque. Donc, il fallait trouver un cadre rassurant aussi bien pour l'acheteur que pour le vendeur. La solution est sans doute le contrat à long terme. Ses principales caractéristiques sont d'abord un engagement sur une durée allant de 20 à 25 ans, des obligations d'enlèvement minimal et de payement de la part de l'acheteur suivant une clause dite (take or pay), de fourniture de la part du vendeur et un prix indexé sur les énergies concurrentes. En Europe par exemple, cette indexation se faisait essentiellement sur les fuels lourds et domestiques dans la mesure où le gaz naturel est en concurrence principalement dans le secteur industriel et commercial. En Asie, par contre, le choix est porté sur le pétrole brut qui était l'énergie largement utilisée dans les centrales électriques dans les années 1970. La pratique actuelle La dérégulation du marché gazier, initiée aux Etats-Unis puis au Royaume-Uni et maintenant en Europe, a largement remis en cause ce système car elle vise deux objectifs : 1- maintenir un opérateur unique pour la gestion du transport et de la distribution de façon à ne pas dupliquer les réseaux ; 2- ouvrir l'achat et la vente du gaz à la concurrence. Il en résulte une moins bonne visibilité sur le long terme par rapport à l'existence d'un opérateur unique par région ou par pays. En effet, la concurrence ne permet plus de savoir avec précision ce que sera pour chacun des opérateurs la demande dans 5 ans et encore moins dans 10 ans. L'idée de s'engager dans les contrats à long terme devient ainsi plus risquée. Donc, la première conséquence de la dérégulation est la réduction des contrats de 10 et moins contre celui de 20 et plus qui se faisait auparavant. La deuxième conséquence de ce processus est l'émergence d'un marché «spot» du gaz naturel qui permet des échanges ponctuels au jour le jour dans les principaux nœuds, qu'on qualifie couramment de «hub». On peut citer le Henry Hub aux Etats-Unis, le National Balancing Point (NBP) en Angleterre, Zeebrugge en Belgique et le Title Transfert facility (TTF) aux Pays-Bas. La pratique en perspective Le marché européen, qui intéresse plus particulièrement l'Algérie, se trouve dans une situation duale. Avec, d'un côté, les prix spot sur le marché britannique, et de l'autre, les prix influencés par les produits pétroliers dans le continent. Le gazoduc reliant la Belgique à l'Angleterre joue désormais d'arbitre entre les deux prix. La tendance est donc vers des nouveaux délais contractuels sur le marché du gaz ne dépassant pas les dix ans et la clause «take or pay» laissera la place au «take or release» avec la possibilité justement de vendre les excédents sur le marché spot dont le prix de référence dépend de l'équilibre de l'offre et de la demande. La vraie question que le forum aurait pu examiner est : à quand un prix mondial du gaz naturel et sa transformation en prix directeur de l'énergie ? N'a-t-on pas reconnu que le gaz est l'énergie du troisième millénaire ? Il aurait pu aussi accentuer sur la problématique de la prééminence du gaz naturel sur le pétrole comme énergie directrice. Et l'Algérie dans tout cela ? L'Algérie investit depuis 1963 dans des infrastructures diverses : recherche, extraction, transport, liquéfaction et traitements divers. Son objectif est la valorisation de son gaz et ne trouve nullement son compte dans ces assises. Elle maîtrise les quatre procédés de liquéfaction et dispose des unités pour cela. Tout le pôle oranais est dédié à ce genre d'activité dont la première unité de liquéfaction (Camel) a été lancée en 1964. Elle s'est fortement expérimentée dans les différents modes de transport et dispose de filiales spécialisées pour cela. Des sommes considérables ont été investies dans les infrastructures portuaires. Ces efforts ont fait d'elle et à travers elle, sa société nationale Sonatrach, la première compagnie en Afrique, classée 12e dans le monde. Elle est le 4e exportateur mondial de GNL, 3e en GPL et 5e en gaz naturel. Ce palmarès devra l'encourager et l'inciter à fréquenter des forums à la recherche des voies et des moyens pour : 1- monter des partenariats pour vendre son savoir-faire et lancer les jalons de l'après-pétrole ; 2- transformer son gaz pour créer de la valeur ajoutée ; 3- tenter de s'intégrer dans la distribution du gaz en Europe ; 4- vendre là où le prix est le plus haut pour valoriser son gaz et non le brader quitte à le laisser dans le sous-sol. Il faut souligner, par ailleurs, que de nombreuses études ont annoncé le pic-oil dans les dix années à venir. Il pourrait avoir pour effet de favoriser une utilisation de plus en plus concentrée du pétrole brut dans son débouché naturel, c'est-à-dire le secteur du transport. Le gaz naturel au contraire «s'épanouit» dans l'ensemble des secteurs domestiques, industriels, production d'électricité et de façon certes plus modérée : le transport (gas-to- liquid par la filière Fischer Tropsch), et cela sans compter bien entendu sa rareté puisque les réserves vont en diminuant si l'on croit Hubbert.(2) Le gaz naturel aura ainsi une certaine légitimité pour devenir la référence du marché. L'Algérie devra donc éviter de perdre son temps dans des réunions de ce genre et tenir compte de ces nouvelles données pour asseoir une stratégie à même de lui permettre de garantir un avenir pour les générations futures et surtout de ne pas s'écarter de ses fondamentaux.
Notes : 1- MMBTU : 1 million de BTU = 1,054615 Giga joules et 1 G Joules = 26,8 m3 2- Marion King Hubbert : géophysicien qui a suggéré en 1940 que les réserves du pétrole arrivent à un pic puis commencent à diminuer.