La journée du Chahid a été commémorée d'une manière particulière à travers le pays. A Alger, les amis des martyrs Fernand Iveton et Henri Maillot ont tenu à rendre hommage à ces « oubliés » et à tant d'autres de la guerre de Libération nationale. Les cimetières chrétiens de Bologhine et d'El Madania ont été le cadre de cette commémoration jeudi et vendredi matin. Ils étaient tous là les compagnons des deux martyrs qui faisaient partie des « combattants de la libération » mis sur pied après la décision du Parti communiste algérien en 1956 et les moudjahidine et moudjahidat comme Z'hor Zerrari ou Louisette Ighil Ahriz et bien d'autres. Abdelkader Guerroudj a tenu à rendre hommage à ces Algériens d'origine européenne qui ont choisi de prendre les armes et de se battre pour l'indépendance de l'Algérie, certes pas nombreux, et dont certains ont sacrifié leur vie comme Maurice Laban, Raymonde Peschard, Raffini et tant d'autres, dira-t-il. Comment oublier le cri de « tahya El Djazaïr » (« vive l'Algérie », ndlr) dans un arabe avec un accent particulier lancé par Fernand dans les couloirs de la prison Serkadji au petit matin du 11 février 1957, alors que ces bourreaux le conduisaient en compagnie de deux autres chouhada Ounouri et Lakhnache à la guillotine ? s'interroge Abdelkader Guerroudj. Une moudjahida Annie Steiner rappela dans quelles circonstances le corps de Fernand fut enterré à la hâte par l'administration coloniale au cimetière El Alia et comment sa famille réinhuma le corps du martyr au cimetière du Clos Salembier, aujourd'hui El Madania. Une autre, Jacqueline Guerroudj, « la fameuse blonde » que la presse coloniale présentait comme étant celle qui avait remis les bombes réglées par Taleb Abderrahmane, tint à témoigner de l'humanisme d'Iveton qui insista pour que l'engin explosif soit réglé de telle manière qu'il ne puisse pas faire de victimes au niveau de la centrale électrique de l'ancien Ruisseau (Hamma actuellement) en dépit de toutes les difficultés que cela pouvait représenter à l'époque pour ne pas être repéré par les militaires et la police coloniale française. Quant à la seconde bombe, car il y en avait deux, la première n'ayant pas explosé parce qu'elle avait été découverte dans le placard de Fernand Iveton grâce au tic-tac de la minuterie, Guerroudj a rappelé à l'assistance comment les militants d'Alger s'en débarrassèrent grâce au courage de Jeannot Farruggia qui a eu l'audace de la déposer dans un car de CRS vide stationné pas loin de La Grande-Poste au moment où ses occupants faisaient le ratissage du secteur à la recherche de la fameuse blonde. Mais l'engin, sans doute mal réglé, n'explosa pas. Tous ces moudjahidine d'origine européenne se considéraient comme algériens avant tout, d'où le sens de leur engagement. Hier, la même assistance se retrouva au cimetière d'El Madania pour se recueillir sur la tombe de Henri Maillot, lui aussi « enfant du Clos Salembier » et rien, aujourd'hui dans l'Algérie indépendante, ne rappelle son sacrifice : pas une rue, pas une place publique n'ont été baptisées du nom de celui que la presse coloniale de l'époque a présenté comme « l'officier félon » auteur du détournement audacieux d'un chargement d'armes de l'armée française, dont une grande partie a été versée aux combattants du FLN. Henri est tombé au champ d'honneur au douar de Béni Boudouane en juin 1956, près de Lamartine, aujourd'hui El Kérimia, aux côtés de Maurice Laban et de quatre autres combattants à la suite d'un accrochage avec les militaires français et les supplétifs du bachagha Boualem. Trois survivants échappèrent au massacre mais, dira l'un des compagnons des deux chouhada, quatre autres sont enterrés de manière anonyme au carré des martyrs d'El Kérimia. Pas une une stèle ni la moindre plaque ne rappellent qu'ils ont été inhumés depuis une quarantaine d'années.