Cinéma, télévision, vidéo, DVD, portables multimédias, etc. L'image animée s'est tellement développée avec les nouvelles technologies que les jeunes générations ignorent souvent toute la puissance, l'originalité et la beauté de la photographie. Dans la formidable course aux innovations techniques, personne ne se soucie vraiment de leur apprendre ce qu'une image fixe peut paradoxalement receler d'animation. Le grand photographe Henri Cartier-Bresson (1908-2004) avait défendu et illustré au cours de sa carrière le concept «d'instant décisif». Il mettait en valeur le fait que la photo est la représentation d'un moment rapide et unique de la vie qui se trouve figé sur un support. Et, en étant figé justement, la photo donne à voir ce que l'œil, ne peut percevoir. Tout le talent du photographe est alors de percevoir la possibilité de cet instant et de le réaliser selon un cadrage qui mettre en valeur les significations qu'il veut lui donner. Yves Jeanmougin s'inscrit pour beaucoup dans cette école qui continue à donner de magnifiques œuvres où se mêlent l'art et le reportage. Né en 1944, il a longtemps travaillé dans l'agence Viva dont les fondateurs se réclamaient de cette école, dont d'ailleurs Martine Frank, la compagne de Cartier-Bresson. Comme celui-ci, Yves Jeanmougin ne recadre jamais ses photos au tirage et, de plus, c'est lui-même qui les tire, assurant ainsi, depuis la prise de vue jusqu'à leur diffusion une maîtrise technique et artistique de très haute facture. Dans l'exposition qu'il présente actuellement à l'Institut français d'Alger (ex-CCF, du 2 au 29 février), il donne à voir 43 œuvres où l'on ressent toute la richesse d'une expérience de près de quarante ans qui l'a mené dans divers lieux du globe, toujours attaché à montrer l'humanité en exil ou en souffrance, en question ou en mouvement. Des Indiens Montagnais au Canada aux ouvriers de chantiers navals abandonnés, des familles du quart-monde aux Chinois de Belleville, des handicapés aux enfants travailleurs, il a aussi célébré les fêtes populaires et les lieux de mémoire. Né à Casablanca, il a consacré un travail admirable à cette ville et, chemin faisant, il s'est attaché à Alger, parce que sa mère y est née et y a grandi, près de l'hôpital Mustapha Bacha, mais aussi parce que tout l'y fascine. Parmi ses ouvrages, publiés aux éditions Métamorphoses, on compte déjà Parlez-moi d'Alger (2003) où il croisait la capitale algérienne à Marseille «au miroir des mémoires». Dans cette exposition, il offre au public algérien une vision particulière de Marseille à travers la présence des «Suds» dans la capitale de la Provence. Maghrébins, Africains du Sahel, Comoriens, Gitans, etc. Ils sont là depuis longtemps, participant d'une manière ou d'une autre à l'effervescence du premier port de la Méditerranée, se réclamant de Marseille mais attachés à leurs origines, croyances et traditions. Des photos où l'émotion met en scène des lieux, mais surtout des personnages attachants et, justement, des instants de vie qui nous interpellent par leur vérité et leur beauté.