En effet, cette université est devenue tellement grande que sa gestion est devenue inextricable à cause de la pléthore de ses effectifs, d'une part, et à cause de la dispersion des campus qui la composent, d'autre part. Tous ces facteurs ont fini par convaincre que, pour une bonne gestion de tous ces campus et de tous ces effectifs, il est devenu opportun de scinder cette grande université en trois pôles avec trois rectorats indépendants. Quoi de plus normal. Dans toutes les grandes villes du monde, on peut compter l'existence de plusieurs universités. Cependant, ce qui serait anormal, c'est qu'à la veille des grands changements, vers lesquels le pays tout entier s'achemine, changements qui augurent, je l'espère, l'avènement d'une gestion moins impénétrable et plus conforme aux aspirations d'une majorité d'Algériens à une gouvernance plus démocratique, sera une gouvernance plus soucieuse des intérêts supérieurs de la nation qu'aux intérêts de clans et de chapelles. Ce qui serai anormal, en revanche, c'est que devant cette immense attente de changement, l'on continue à fonctionner avec les mêmes réflexes qui ont prévalu jusque-là et qui consistent, en fait, à coopter, dans l'opacité la plus totale, sans que l'on connaisse avec exactitude les critères qui ont prévalu tel ou tel recteur, tel ou tel doyen et qui ont toujours fait, qu'au bout du compte, on ne fait que reprendre les mêmes et recommencer en faisant fi des attentes, des espoirs de changement et de renouveau que toute la communauté universitaire constantinoise espère. Renouveau qu'elle à tellement attendu et auquel, même si elle aspire profondément, elle n'y croit pratiquement plus. Pourquoi cette désillusion ? Pourquoi plus personne ne croit au changement ? La réponse est en fait toute simple : c'est juste parce que, au jour d'aujourd'hui, personne n'a jamais demandé l'avis des universitaires sur le choix des dirigeants qui doivent gérer leurs affaires. Pour des raisons politiques, d'obscures politiques même, parce qu'on n'a jamais compris les choix qui font qu'untel est coopté et pas un autre, ces pratiques absconses ont fait en sorte que plus personne ne se fait d'illusion et ont conduit à cette réalité amère : l'université de Constantine a le même recteur qui officie depuis maintenant près de quinze ans. Idem pour les doyens en charge de la gestion des facultés et qui ne sont démis que pour faute grave, mais alors vraiment grave, c'est-à-dire des fautes qu'on ne peut cacher ni taire parce qu'elles sont sur la place publique. Autrement, tout ce beau monde, quelles que soient ses limites ou son incompétence reste en poste tant qu'il joue le jeu du système en place, tant qu'il ne dérange pas l'ordre établi. Ce mode de gestion de l'université Mentouri de Constantine et de toutes les universités algériennes par ailleurs n'est en définitive que la reproduction, à échelle réduite, du mode de gouvernance qui a toujours prévalu, mode de gouvernance qui a toujours privilégié l'obéissance aveugle, la soumission à la compétence, si bien que dans tous les secteurs, on choisit les gestionnaires non pas pour leurs compétences mais bien pour leur entrain à être des serviteurs zélés qui veillent à la perpétuation du système. Cette politique cependant a un coût : c'est le divorce définitivement consommé entre cette oligarchie dirigeante, cette oligarchie régnante et l'ensemble des citoyens. C'est à croire qu'en cette Algérie du troisième millénaire, il n'y a que deux catégories d'Algériens : les Algériens tout court, et les autres, ceux qui sont nés pour régner, dont le seul souci est de se maintenir le plus longtemps possible au pouvoir et qui sont arrivés à instaurer un véritable apartheid entre eux et cette plèbe taillable et corvéable à merci. Cette politique d'apartheid a un autre coût, autrement plus préjudiciable, qui est qu'au bout d'un certain temps, le seuil de Peter est vite atteint parce qu'en effet, et selon le principe énoncé par Peter : «Tout employé tend à s'élever à son niveau d'incompétence» et «avec le temps, tout poste sera occupé par un incompétent incapable d'en assumer la responsabilité.» Ainsi, à force de toujours reprendre les mêmes et recommencer, on finit inéluctablement par atteindre le seuil de Peter, parce que tôt ou tard, par suite des promotions en vase clos, l'employé finira (peut-être) par atteindre un poste auquel il sera incompétent et par son incompétence à ce poste, l'employé ne recevra plus de promotion, il restera donc indéfiniment à un poste pour lequel il est incompétent. Le corollaire de ce principe est le suivant : à long terme, tous les postes finissent par être occupés par des employés incompétents pour leur fonction ; de plus, si nous partons des principes que plus un poste est élevé dans la hiérarchie, plus il demande des compétences ; plus son impact est grand sur le fonctionnement de l'organisation, il en découle alors que l'impact de l'incompétence de l'employé aura été maximisé par le niveau hiérarchique du poste auquel il aura été promu. C'est ainsi qu'on en arrive à la stagnation de Peter qui se traduira par le manque de clairvoyance, le manque d'esprit d'initiative et d'innovation, si bien que le système va finir par tourner autour de lui-même comme le chien qui court derrière sa propre queue sans jamais l'attraper. Peter remarque enfin que «les hiérarques, quand ils sont devenus réellement incompétents, se complaisent à fréquenter des réunions, colloques, séminaires, symposiums, conférences…» Le corps des hiérarques peut alors entrer en «lévitation» sous le nom de «sommet volant» et devenir indéboulonnable à la tête d'une pyramide sans base puisque cette dernière n'est au mieux qu'une abstraction (http://fr.wikipedia.org/wiki/Principe de Peter). Cette dernière remarque de Peter se vérifie quotidiennement dans nos institutions avec leur lot de réunions et re-réunions, colloques et autres conférences qui ne servent la plupart du temps à rien du tout sauf peut-être à permettre à nos hiérarques de se regarder le nombril, expression qui signifie oublier, voire nier l'existence des autres, ne pas les considérer et c'est effectivement le sentiment qu'éprouve l'ensemble des citoyens algériens qui se sentent totalement déconsidérés, exclus et dont on ne se rappelle l'existence qu'à l'occasion des grands rendez-vous électoraux, comme ce qui vient de se passer récemment avec ces sms envoyés à tous ceux qui ont un mobile pour leur rappeler leur devoir de citoyen en les priant d'aller voter. Votez ? Mais voter pour qui et surtout pourquoi ? Pour remettre à nouveau en selle ceux qui sont à l'origine de ce divorce et de cet apartheid ? Voter ? Alors même que cet acte a totalement était vidé de son sens et que les mœurs politiques sont telles que «Le clientélisme est plus efficace que la loi et que le vote est devenu, par la force des choses, rien de plus qu'un rituel spectaculaire» (Baruch Spinoza). Bref, je ne vais pas en dire plus sur ce sujet, ce n'est pas là l'objet de cette contribution. Revenons à notre propos initial qui est les grands changements qui attendent l'université Mentouri de Constantine. Comme je l'ai mentionné précédemment, tous les responsables qui ont été en charge des affaires de cette université ont toujours été désignés. Cependant, il y a bien eu une époque pourtant où les chefs de département (seulement eux) étaient élus par leurs pairs, c'est-à-dire les enseignants (à cette époque, il n'y avait pas encore de facultés). Si ma mémoire ne me trahit pas, il n'y a jamais eu de problèmes avec ce mode d'accès à ce poste de gestion. Personne ne s'est jamais plaint et tout marchait sans anicroches. Aujourd'hui, même cette soupape qui pouvait laisser croire au corps enseignant universitaire qu'il avait son mot à dire dans la gestion de l'institution qui l'emploie, qu'il avait un poids et une valeur, cette soupape n'existe plus. Tous les responsables sont désignés dans l'opacité la plus totale sans que l'on sache le pourquoi du comment. Cela dit, précisons que le seul poste où les responsables ne tiennent pas longtemps, c'est bien le poste de chef de département. Peut-être parce que c'est un poste sans grand intérêt stratégique, je ne sais pas ? J'aimerais bien trouver une explication plus logique. Mais, à partir du poste de doyen, là c'est une autre affaire. A ce niveau, on commence déjà à jouer dans la cour des grands. Aussi, plus encore que pour le poste de chef de département, les désignations à ce poste relèvent du secret des Dieux. Qui va avoir le privilège d'accéder à cette fonction, à ce premier niveau de la hiérarchie qui permet d'accéder au statut d'hiérarque et sortir de la plèbe ? Pour la majorité d'entre nous, en fait, il est plus facile de gagner au loto que d'accéder à ces fonctions. Vous ne pouvez imaginer l'amertume engendrée par ce sentiment d'être exclu dans son propre pays. Aujourd'hui, l'université de Constantine va rentrer dans une nouvelle ère avec de nouveaux dirigeants. Espérons que les responsables qui vont occuper ces nouvelles fonctions seront vraiment «nouveaux» et qu'on ne va pas retomber une fois de plus dans ces errements qui consistent à reprendre les mêmes et recommencer. A faire du neuf avec du vieux. Malheureusement, j'ai bien peur que cela va être encore le cas. En effet, depuis l'annonce des changements que va vivre notre université, la rumeur va bon train alimentée comme il se doit par l'opacité qui a toujours caractérisé ce système. Et cette rumeur n'augure aucun changement dans les pratiques. Il s'agit toujours du même mode de désignation par cooptation. Des noms sont ainsi déjà avancés, distillés de manière savante comme pour tâter le pouls, pour voir la réaction des enseignants. Bien sûr et comme il se doit, les noms avancés sont ceux de responsables déjà en poste qui ne feront que permuter d'un poste à l'autre. Mais les universitaires s'en foutent en vérité. Ils savent, comme ils l'ont toujours su, qu'ils ne vont pas être consultés. Ils savent qu'aucun renouveau n'est possible et qu'ils continueront à être exclus. Cependant, à l'aube des grands changements qui attendent notre pays, ne serait-il pas plus judicieux de faire en sorte qu'il y ait un véritable renouveau qui redonnerait confiance aux Algériens dans leurs institutions ? Ne serait-il pas plus intelligent de laisser, pour une fois dans leur histoire, les universitaires choisir leurs dirigeants ? Ne serait-ce pas là une opportunité à saisir pour voir comment les Algériens vont se comporter quand ils sont face à des choix qui peuvent engager leur avenir ?