Le vent de la révolte n'a pas soufflé sur l'Algérie, il l'a épargnée. S'agit-il d'une avance ou d'un retard sur le monde arabe ? Un renoncement définitif à l'indignation ? Un silence qui précède la tempête ? Et bien d'autres questions rendues fortuites par le temps qui passe. Cependant, les décideurs se réjouissent de voir la situation se normaliser à la suite de la psychose causée par la chute des deux dictatures voisines. Le vaccin antirévolte administré aux Algériens a été d'une grande efficacité, sa principale substance est incontestablement le régionalisme et sa notice est révisée à chaque tentative de renversement du système politique qui dirige le pays depuis l'indépendance. Contrairement à ce que croit l'opposition — en Algérie, il est difficile de dire s'il y a bien une véritable opposition ou non —, le pouvoir se trouve maintenant dans une situation très confortable puisque le peuple ne demande pas son départ. Les Algériens n'ont pas répondu massivement aux appels de la CNCD, le vaccin en était principalement la cause. Il est des moments dans l'histoire des pays et des nations où les politiques sont interpellés par le devoir de vérité, c'est-à-dire, reconnaître et bien mesurer la force de ceux qui détiennent les jougs. Sans quoi, la lutte devient mirage et tromperie. Si le camp des indignés s'est presque vidé, ce n'est pas parce que tous les Algériens ont choisi la résignation, mais c'est à cause des agissements de ceux qui gèrent les mouvements et les partis politiques. Appartenir à une formation partisane est devenu synonyme de deux propriétés : l'opportunisme et la niaiserie. Le Front des forces socialistes a publié dans la presse nationale un appel à contribution en vue de dégager une position vis-à-vis des prochaines élections législatives. C'est une forme de consultation de la base militante et de la société civile, mais la question qui se pose d'elle-même est : existe-t-il une solution partielle à cette crise multidimensionnelle que vit le pays depuis des décennies ? En Algérie, les élections n'ont jamais été une solution, mais un problème ou un début de conflit. Le FFS pouvait bien être l'alternative démocratique s'il avait renoncé aux méthodes héritées du messalisme dont la règle est «vaincre à défaut de convaincre». Aujourd'hui, il est confronté à des choix des plus délicats : participer au scrutin serait une caution au régime et boycotter serait une fuite en avant. Voilà les conséquences de la mauvaise gestion du parti depuis 1995. On ne construit pas de grands partis politiques en excluant tous les cadres et militants dont le seul tort est d'avoir vu ce que le «zaïm» n'a pas voulu voir en matière de stratégie politique. Le FFS est le plus vieux parti d'opposition, il est l'espoir du courant démocratique. Quand il recule, c'est la démocratie qui recule. C'est pourquoi nous nous dressons contre toute réduction des partis de la mouvance démocratique au rôle de lièvres ou d'accessoires dans le nouvel ordre politique à essence islamo-conservateur. Et pour tenir devant l'ogre, il faut bien traiter son mal. Le mal de nos partis politiques est sans doute l'exclusion et le «zaïmisme», hérités du nationalisme arbitraire. Réduire la problématique politique à la seule question de la participation ou non aux élections, n'est pas forcément la bonne manière de percevoir la nouvelle donne, constituée selon les derniers changements enregistrés dans les pays du monde arabe ces derniers mois. Ce qui importe maintenant, c'est de savoir quel sort sera réservé à la démocratie sous le futur règne des islamistes. Certes, le pouvoir dispose encore d'une certaine marge de manœuvre pour éviter un raz-de- marée islamiste aux prochaines législatives, mais y a-t-il vraiment une volonté chez les «décideurs» d'œuvrer à une véritable démocratisation de la vie politique loin de l'agitation religieuse ? Aucun indice ne permet de le dire. Au contraire, c'est aux mosquées qu'on a dévolu la tâche de convaincre les citoyens de la nécessité d'accomplir «le devoir électoral». Ce jeu malsain ne profite qu'aux islamistes qui en tireront beaucoup de bénéfices au détriment de la démocratie. Pour résumer, il convient de dire que contrairement aux démocrates, les deux partis au pouvoir, le FLN et le RND, et les islamistes ont partagé d'avance les terrains de chasse et d'appui ; les premiers ont pris l'administration et les seconds les mosquées. Implicitement, toute chance d'une alternative démocratique est écartée puisqu'en dehors de l'administration et de la mosquée il n'existe aucune autre institution sociale capable de se constituer en contrepoids à cette association d'intérêts. Le printemps arabe a rendu possible cette déroute qui retardera la démocratisation de l'Algérie de quelques décennies, en posant l'islamisme comme l'incontournable chemin vers la liberté. Or, une victime du terrorisme islamiste dirait : «Si j'avais à choisir entre la dictature et l'islamisme, je choisirai sans doute la dictature.» Pour quel choix doivent opter les démocrates alors ? Telle est la problématique qu'évitent les dirigeants des partis politiques acquis à l'option du changement par l'urne. Ils veulent essayer encore une fois l'aventure avec un islamisme, dont la seule performance est dans le dopage religieux. Comment peut-on donc parler de compétition saine quand il s'agit bel et bien de dopage ? Malheureusement, les démocrates ne tirent aucun profit de la participation aux élections. Quelques opportunistes viennent occuper les têtes de listes là où les sièges sont garantis — le système de quotas —, ils deviennent députés ou sénateurs et passeront tout leur mandat à ramasser de l'argent, avant de disparaître complètement de la scène. Certains d'entre eux, les plus audacieux, osent même changer de veste en regagnant l'autre côté de la barrière, celle du pouvoir. Quant aux militants sincères, il ne leur est confié que le rôle de compléter les listes et d'afficher les posters ! Ce n'est pas le DRS qui en est responsable, mais les dirigeants qui se disent démocrates.