Après avoir agité, au lendemain de la bourrasque révolutionnaire qui a balayé les pays de la région, l'épouvantail islamiste pour faire peur aux Algériens de revendiquer le changement, les dirigeants du pays semblent avoir entrepris un virage à 180 degrés en se préparant à livrer la prochaine Assemblée nationale aux islamistes. L'alerte est en tout cas donnée par Saïd Sadi qui, dans son intervention lors du conseil national extraordinaire de son parti tenu hier au cercle d'El Moudjahid à Alger, a ouvertement accusé les deux centres névralgiques du pouvoir, la Présidence et le DRS, de se livrer à une compétition pour s'approprier le management d'une alternative islamiste. “La Présidence et le DRS sont dans une compétition pour s'assurer le management de l'islamisme. Ils veulent amener une majorité islamiste lors des prochaines élections législatives. Pour sauver le système et garder son contrôle, le DRS songe à doper un responsable politique qui a pris engagement d'éliminer tous les responsables de l'ex-Fis de son parti. La Présidence, elle, mise sur les anciens du FIS, en contrepartie d'une protection de la famille et du clan du Président, mais aussi d'une certaine reconnaissance internationale”, a-t-il soutenu. Le verbe incisif, Sadi refuse de donner prise à ce “chantage à l'islamisme” qu'il trouve “indigne, indécent et dangereux”. “Ce n'est pas à nous qu'il faut servir ce discours”, peste-t-il. Et à Sadi d'enfoncer le clou : “Le DRS, qui a régulièrement donné les quotas, n'est pas gêné par l'islamisme mais par la possibilité d'émergence d'une alternative qu'il ne contrôle pas.” Au RCD, “on n'est pas client”, martèle-t-il. Pour lui, l'islamisation de la société qualifiée de “dérive tectonique” est engagée depuis très longtemps. Le code de la famille — le plus archaïque de toute la région après celui de l'Arabie Saoudite —, les programmes scolaires — une pollution morale et mentale —, l'annulation du week-end universel, la fermeture, la réinstauration d'el-adhan à l'ENTV, la construction d'une mosquée d'une capacité d'accueil de 120 000 fidèles… ce ne sont pas des décisions du FIS mais des gens du système, rappelle-t-il. “En fait, l'islamisme est déjà au pouvoir. Si les islamistes arrivent au pouvoir, ce ne sera qu'une officialisation d'une situation de fait”, explique-t-il. Aux yeux de Saïd Sadi, on vit aujourd'hui “la pire des situations”. “Vaut mieux un parti islamiste qui s'assume qu'un FLN qui nous consume”, estime-t-il. Mais Saïd Sadi ne pose pas moins ses conditions : la signature d'un cahier des charges par tous les compétiteurs. “Chacun doit savoir que la démocratie a des règles qui font que même quand on a gagné une élection, on est tenu de respecter certaines valeurs inaltérables et inaliénables”, assure-t-il. Il faut dire que contrairement aux années 1990, les islamistes, tirant enseignement de leurs errements passés, ont recadré leur discours en l'adaptant à la nouvelle conjoncture née du tsunami qui a frappé la région. Si les oppositions entre le DRS et la Présidence sont réelles, Sadi estime qu'“il ne faut pas donner plus d'importance à ces frictions” car “ce n'est pas de cette compétition que va venir la perspective démocratique qu'attendent les Algériens”. Aussi, il invite ses militants à s'investir davantage pour contrecarrer les plans échaudés en haut lieu. “Si on laisse les choses en l'état, la politique des quotas est déjà décidée”, avertit-il avant d'asséner : “Ils ont les moyens, nous avons les convictions.” Pour aider les membres du conseil national à prendre les meilleures décisions dans cette “situation exceptionnelle”, pas moins de six allocutions ont été prononcées par les responsables du parti (communication, éducation, droits de l'Homme, jeunesse, grands dossiers et organique). A. C.