En cette journée de dimanche, les enfants ont repris le chemin de l'école, alors que de nombreuses familles touarègues ont regagné leurs foyers, abandonnés lors des événements qui ont secoué la ville. Celle-ci reste néanmoins toujours assiégée par les unités spéciales d'intervention de la Gendarmerie nationale. Debdeb (Illizi) : De notre envoyée spéciale Mis en état d'alerte, les gardes-frontières maintiennent eux aussi la pression sur la ligne qui sépare Ghadamès de Debdeb, en multipliant les patrouilles de surveillance dépêchées des régions limitrophes. La crainte de voir les deux parties reprendre les hostilités est toujours de mise, même si un accord de paix a été adopté et concrétisé sur le terrain. Tout le monde ici regrette le recours à la violence qui a eu pour conséquence la mort de Ghdier Bachir, un étudiant de 24 ans, et qui a causé des blessures à sept autres jeunes. « Tous ces événements auraient pu être évités si les services de sécurité étaient intervenus, il y a plus de quatre mois pour faire respecter la loi. Chacune des deux parties accusait l'autre d'être à l'origine de la hausse des agressions, des vols et même de la violation de domicile », déclare Mhamed, un commerçant targui dont la maison a été saccagée par des jets de pierre. Il affirme que c'est sa « communauté qui a subi le plus de dommages sans avoir à réagir en comptant sur la sagesse des parents, mais ce sont ces derniers qui ont fini par ajouter de l'huile sur le feu en regardant leurs enfants commettre le pire ». Mais, dit-il, comme à toute chose malheur est bon, « maintenant il y a la loi et chacun doit la respecter. Les rixes entre jeunes doivent rester entre jeunes et ne pas se transformer en batailles rangées entre adultes. Les sages ont reconnu que la loi doit être respectée par tous, alors faisons en sorte qu'elle le sera ». Chez les Ghdier, la tension a fortement baissé depuis que l'auteur de l'agression qui a causé la mort à Bachir, un des leurs, s'est livré aux gendarmes samedi dernier. Il est revenu de Ghadamès, sur insistance de sa famille, pour se livrer aux autorités judiciaires. La nouvelle a rétabli la confiance. « Nous voulons que ceux qui ont recouru à la violence, tué notre fils et blessé les autres jeunes soient jugés pour leurs actes. Nous voulons que la loi soit au dessus de tout le monde », déclare Ghdier Brahim. Il reste convaincu que le différend « n'est pas avec les Touareg algériens mais avec les Maliens qui sont venus s'installer au quartier sans aucun papier. Nous avons demandé à ce qu'une enquête soit faite pour faire le tri et chasser tous les clandestins qui vivent parmi nous et bénéficient de tous les avantages. Les illégaux ne doivent pas avoir de place parmi nous. Nous avons également réclamé l'arrestation de l'agresseur de Bachir, mais rien n'a été fait. Nous étions en ébullition pendant les 17 jours qu'a duré le coma. Nous ne pouvions garantir la sérénité et le calme des familles lorsque la nouvelle de la mort s'est répandue. Leur colère était légitime. Elle a été exacerbée par le fait que l'auteur de cette tragédie a quitté Debdeb par le poste frontalier pour se réfugier à Ghadamès, sans être inquiété. Nous voulions juste que justice soit faite. Malheureusement, il a fallu utiliser la rue pour pouvoir l'arracher. Nous espérons qu'une victime, c'est largement suffisant pour ne plus vivre ces drames. L'Etat doit imposer le respect de la loi ». Les Ghdier font partie d'un immense arch (tribu) de Oued Souf, dont le nom est partout. Brahim, qui semble être le plus sage de tous et le plus respecté, parle également de fauteurs de troubles des deux côtés de la population de Debdeb. « Ils sont une vingtaine que nous avons recensés et qui font de la petite délinquance qui sévit dans la ville et qui a attisé la haine entre Arabes et Touareg, par leurs actes répréhensibles. » Du côté des Touareg, on réfute catégoriquement la présence parmi eux d'éléments étrangers à la communauté. « Ce n'est pas vrai. Celui qui a des preuves que nous hébergeons des étrangers n'a qu'à les montrer aux services de sécurité. L'émigration clandestine est interdite à ce que je sache. Bon nombre de Touareg n'enregistrent pas les nouveaux-nés et, de ce fait, ces derniers restent sans papiers pendant des années. Nous avons même des pères de famille qui n'ont pas de papiers, est-ce que cela veut dire qu'ils ne sont pas Algériens ? Nous sommes chez nous et nous refusons de subir cette intolérance à notre égard. Nous avons évité le pire en restant chez nous vendredi dernier, lors de l'enterrement du défunt parce que nous savions qu'il allait y avoir des dérapages. Nous avons fait le dos rond face à toutes les agressions subies, mais malgré cela, ils veulent nous enlever notre algérianité. Nous défions quiconque de prouver que nous sommes des Maliens ou que parmi nous il y a des Maliens », a souligné un Targui, père de famille, qui refuse de décliner son identité de peur de représailles. Néanmoins, il estime que le pacte de la « moussalaha » (réconciliation) et les retrouvailles entre les sages et les notables des deux communautés va permettre « un nouveau départ » pour toute la population qui, selon lui, n'a que trop souffert de la situation qui dure depuis plus de 4 mois. « Nous sommes très touchés par la mort de Bachir, mais peut-être que celle-ci va ramener de l'espoir à la ville », a conclu notre interlocuteur, dont les sœurs vivent chez lui, après avoir abandonné leur maison familiale, située à proximité de la demeure du défunt. Samedi soir, un dîner a regroupé les notables des deux communautés et scellé définitivement le pacte de paix entre elles, et ce en attendant une autre rencontre, cette fois-ci en présence des plus hautes autorités civiles et militaires de la wilaya. La vie reprend de plus belle à Debdeb, cette petite commune d'un peu plus de 4000 habitants, dépendant administrativement de la daïra de In Aménas (wilaya d'Illizi) dont le chef-lieu est situé à 240 km. Issue du découpage de 1985, elle est née autour d'un village agricole inauguré en 1976, à 35 km de Debdeb, la petite ville que la colonisation avait créée. La commune est l'une des plus riches d' Illizi avec un budget de 26 milliards de centimes du fait qu'elle bénéficie depuis quelques années des revenus du transport pétrolier (droit de passage) par sa circonscription, sans compter les nombreuses enveloppes dégagées dans le cadre du développement local, de l'agriculture, de l'habitat, etc. Hier, le quartier des 105 Logements, qui existe depuis 1988 (et dont le nombre de logements a été multiplié par quatre, voire par cinq ou six) semblait renaître, d'autant que les deux nuits qui ont suivi l'enterrement de Bachir Ghdier ont été très calmes. Les gendarmes armés de boucliers sont omniprésents, mais rien n'indique qu'après leur départ, la quiétude sera maîtresse des lieux.