Heureux de revenir en Algérie, qui a dans son histoire servi de modèle aux Palestiniens, Elias Sanbar était hier dans la capitale à l'occasion de l'hommage rendu à Mahmoud Darwich. Des espoirs nés du dernier congrès du Fatah aux enjeux de l'identité arabe, il s'est confié à El Watan Week-end. Vous revoilà à Alger, deux ans après l'invitation pour les débats d'El Watan, cette fois pour parler de Mahmoud Darwich. Dans un pays très solidaire de la cause palestinienne… Je suis venu plusieurs fois à Alger, à l'époque où les réunions de notre parlement en exil se tenaient ici, puis plus tard lors de congrès d'écrivains. Etrangement, je connais Alger mais pas l'Algérie. En tant que Palestinien, j'éprouve un sentiment particulier – celui d'être avec les Algériens, profondément Arabe – et au-delà, de partager une relation unique basée sur la reconnaissance. L'Algérie est le seul pays à avoir aidé notre mouvement de résistance et à l'avoir aidé sans conditions, sans chercher à nous mettre sous sa tutelle. Et puis, quelque chose que peu de gens savent, après 1948, quand est née l'idée qu'il était possible pour nous de nous libérer si nous prenions les choses en main, l'expérience du combat algérien nous a servi de modèle. Ce n'était pas une libération comme les autres, elle arrivait aux Arabes ! Enfin, au-delà de la solidarité entre les deux peuples, un concept qui a une connotation un peu politique, il faut reconnaître qu'ici les relations humaines sont très très fortes, on est accueilli avec une chaleur inouïe ! En tant qu'ambassadeur de la Palestine auprès de l'Unesco, que pensez-vous de la défaite de Farouk Hosni que certains qualifient d'occasion ratée pour le monde arabe ? Evidemment, c'est une déception. Tous les continents ont déjà été représentés au poste de secrétaire général, mais les Arabes n'ont jamais accédé à ce poste. Il faut comprendre que cette élection se joue au niveau des chefs d'Etat. Les pays ont reçu des instructions de vote et même si certains ont exprimé leur désaccord, cela n'a rien changé dans les votes. En même temps, je dois admettre que ce n'était pas une surprise. Les Etats-Unis avaient été très clairs dès le départ en annonçant qu'ils se battraient contre Farouk Hosni. Ceci dit, ce qui est important, c'est d'avoir de bonnes relations avec la nouvelle secrétaire générale et je pense, pour l'avoir connue en tant qu'ambassadrice, qu'elle est assez efficace et de faire en sorte que notre cause soit bien défendue. Vous avez participé à la commission politique du congrès du Fatah qui s'est tenu en août. Comment regardez-vous l'invitation à la réconciliation proposée par le Hamas ? Avant de parler du Hamas, je voudrais rappeler combien ce congrès a été étonnant. Nous étions près de 2800 délégués ! C'est énorme. Pourtant, au début, nous étions très inquiets car tout le monde avait quelque chose à dire, avait besoin de s'exprimer après ces longues années sans avoir l'occasion de le faire, et on craignait que cela ne devienne impossible à canaliser. Et puis, le travail a vraiment commencé de manière intensive, de commissions en séances plénières puis… les élections, et a abouti sur des textes que je trouve extrêmement bons. Parce qu'ils restent fidèles aux principes de combat, aux idéaux de la résistance, tout en faisant preuve d'aptitude politique à mesurer toutes les forces en jeu. Bref, ce sont des textes d'une très grande maturité politique. Notre mouvement, qui est un vieux mouvement, de plus de 60 ans, a su assumer sa profonde politisation sans renoncer à ses principes. Nous avons aussi renouvelé 76 des 80 membres de notre Conseil révolutionnaire et, encore plus beau, la personne qui a obtenu le plus de voix est une femme ! Tout cela donne de l'espoir. C'est un préalable nécessaire pour comprendre l'enjeu avec le Hamas. Et ce que je dis n'engage que moi. Je ne pense pas que la Palestine puisse rester ce qu'elle est si elle n'est pas plurielle. Si elle s'est trouvé au cœur de la lutte arabe, c'est bien parce qu'elle n'est pas monochrome. Maintenant, c'est une réalité, le Hamas est un mouvement qui a gagné des élections et qui a mené un coup d'Etat sanglant contre ses frères. Or, notre mouvement, qui a compté des dizaines de milliers d'hommes en armes, n'a jamais, au grand jamais, tranché ses contradictions par le sang. Et pour restituer la nécessaire unité nationale, nous avons deux problèmes à résoudre. Le premier est lié au contenu. Avec le Hamas, nous n'avons pas la même vision de la Palestine. Mais nous pouvons en débattre. Le second est lié aux acteurs externes, arabes ou pas, je pense à Téhéran, à l'origine de blocages. Certains ont envie que les choses avancent, d'autres pas. Comme l'a si dit si ironiquement Mahmoud Darwich après les élections du Hamas, « Nous sommes certainement un grand peuple, nous avons réussi à avoir deux pays avant d'avoir un Etat »… Croyez-vous que la société civile puisse réussir dans un projet de paix là où les chefs d'Etat ont échoué ? Mais quand on parle de société civile, qu'est-ce que cela signifie ? De quoi parle-t-on ? Selon les jours, on voit dans cette société civile une fois un parti, une autre fois une puissance, ou la diaspora ou je ne sais quoi d'autre. La Libération se construit, elle n'est pas un sauveur – société civile ou pas — sur son cheval blanc. Toute la société, avec ses contradictions, doit être impliquée dans un projet national. Mais il faudrait du répondant en face. Or, les pacifistes israéliens sont complètement marginalisés par leur propre société… Il faut comprendre qu'Israël fonctionne comme une société tribale. Les pacifistes sont considérés comme des traîtres qui mettent en danger l'unité de cette tribu. Ils sont marginalisés mais je dirais que c'est normal. L'opposition commence toujours minoritaire. A l'occasion de cet hommage à Mahmoud Darwich, Farouk Mardam-Bey est aussi présent. Vous avez collaboré avec lui en 2005 pour le livre Etre Arabe. Une problématique toujours d'actualité… Oui, ce qui a été dit dans ce livre, qui n'était en rien prophétique, est toujours valable. Je n'ai aucun message à délivrer, mais je crois que nous devons à tout prix construire une nouvelle arabité, qui prenne en compte nos forces et nos faiblesses. Nous ne devons pas avoir peur de donner une place entière au citoyen, avec des droits et des devoirs. Il faut arrêter d'oublier que nous sommes Arabes, revenir à cette vision d'ensemble. Nous sommes multiples et nous ne devons pas avoir peur de nos régionalismes, de nos langues locales, de toutes ces diversités intérieures. Cet héritage culturel fait notre force. Et les unités les plus fortes sont celles qui se font avec les différences… Bio express : Elias Sanbar est né en 1947 à Haïfa. Sa famille est forcée de quitter la Palestine dès 1948. En exil à Paris, Beyrouth ou Washington, il défend ardemment la cause palestinienne. Il fonde en 1981 la Revue d'Etudes Palestiniennes dont il fut longtemps rédacteur en chef. Membre du Conseil national de l'OLP, Elias Sanbar a dirigé de 1993 à 1996 à Washington, la délégation palestinienne aux négociations sur les réfugiés. L'écrivain, historien et traducteur, notamment des poèmes de Mahmoud Darwich, est actuellement ambassadeur de la Palestine auprès de l'Unesco.