Par son combat pour la liberté et l'indépendance de l'Algérie, il a donné à l'Eglise une image autre que celle que les Algériens ont connue au XIXe siècle, celle de la colonisation, et cela à travers les exemples fournis par ces hussards religieux animés d'un zèle apostolique, érigés au nom de la foi chrétienne, en porte-voix d'une domination outrancière en Algérie et en Afrique avec le cardinal Lavigerie, de Foulcaud… Homme de liberté, Alfred Bérenguer, né à Lourmel, fils d'immigrants espagnols originaires de Grenade, n'avait rien de cela, ni lui ni sa famille. Son père, mécanicien, venu vers la fin du XIXe siècle s'installer en Algérie à la recherche de meilleures conditions de vie. Sa famille, très conservatrice, n'avait en effet rien à voir avec les colons, avec leur arrogance et leur mépris face aux Algériens mis au bord de la route durant toute la longue nuit coloniale. Son père, ouvrier-mécanicien, installé un moment à Frenda, ville natale de Jacques Berque vivait à la limite de la survie, avec sa famille qui comptait plusieurs enfants. «Sa condition, me disait-il, avec son ton amical légendaire, était celle, à peu près égale, sinon un peu mieux, d'une famille rurale algérienne.» C'est son père qui choisit pour lui la carrière de religieux, prêtre ou vicaire, le poussant à y faire des études. L'abbé Alfred Bérenguer, ce curé réfractaire et objecteur de conscience, cet enfant terrible de l'Eglise, ainsi souvent caricaturé, ne pouvait, outre mesure, cacher son engagement en faveur du peuple algérien dont il vantait les qualités humaines ancestrales, connaissant profondément l'œuvre des grands hommes de ce pays : Apulée, Saint Augustin, Saint Cyprien, Ibn Khaldoun, l'Emir Abdelkader. Frappé du coin de l'exclusion par la colonisation, ce peuple souffrait certes intérieurement de frustrations dans une société inégalitaire. En 1955, l'assassinat du docteur Bénaouda Benzerdjeb donna lieu à une grande révolte qui secoua la ville pendant plusieurs jours. Craignant son impact à travers le pays, elle plongea dans le désarroi les autorités coloniales. Face à cette situation d'insurrection, appel était fait aux bons offices du curé et d'autres personnalités du courant civil pour tenter de mettre fin aux émeutes. Son premier cri en faveur des Algériens fut l'article intitulé «Regards chrétiens sur l'Algérie» qu'il publia en 1956, dans la revue Simoun paraissant à Oran dans lequel il laissa s'exprimer son cœur et sa raison : «J'appréhendais longtemps cette guerre et tout juste après la fin de la Seconde Guerre mondiale, avec les événements meurtriers de Sétif», me disait-il. Trop tard, la révolution était déjà dans la rue. Dans cet article, il accusait le pouvoir politique français de n'avoir pas pris parti du règlement du problème algérien, dès 1945, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, tout juste après que les Algériens eurent combattu aux côtés des Français sur différents fronts. «C'est un problème politique. Il fallait s'y attaquer dès 1945 et hardiment. Nous ne l'avons pas fait… On peut le regretter», écrivait-il, dans cet article paru dans la revue Simoun connue et où l'écrivain, Mohamed Dib, avait auparavant publié plusieurs de ses contributions littéraires. Rédigé dans la forme d'un pamphlet, il tente dans cet article en tant qu'homme d'église de s'engager dans le débat public français concernant l'Algérie, de voir son avenir politique, et cela avec grand courage, mettant à nu l'ordre colonial. Sa fuite, après condamnation par contumace à dix années de réclusion et la déchéance de ses droits civiques, renforça davantage sa conviction à porter la voix de l'Algérie en lutte pour son indépendance. Sous le couvert du Croissant-Rouge algérien, partout à travers le monde, dans les arènes politiques et les forums, il est convaincant pour expliquer la cause algérienne avec le sens aigu qu'il avait des mots et de la parole. En Amérique latine, il fit entendre la voix de l'Algérie en lutte dans les milieux des universités multipliant interviews et conférences. Son discours était très dur à l'égard des colonisations d'une manière générale. Devenu grand ami de Che Guévara et de Fidel Castro, dont il sera un moment le conseiller pour les questions concernant le Vatican, il sera poursuivi jusqu'aux pays lointains où sa parole est plus libre par la propagande coloniale orchestrée par André Malraux. Le père Bérenguer sera, par la presse coloniale, tantôt caricaturé de défroqué, tantôt culpabilisé de citoyen français rebelle et enfin, carrément anathématisé, avec l'étiquette excommunicatoire de curé communiste. Le père Bérenguer, dans la perspective catholique qui était la sienne et notamment à propos de l'Algérie, était un antiraciste et un anticolonialiste résolu. Ne cautionnant pas le coup d'Etat de 1965, il refusait aussi de percevoir son salaire de député, en tant que moudjahid et aussi en tant que curé algérien. Son attitude était sans doute par là de ne pas accepter le pensionnariat en contrepartie de son sacrifice pour la noble cause de la libération de la patrie. L'idéal d'entente et de dialogue A l'indépendance, il sera député de la première Constituante, puis conseiller à la Présidence sous Ahmed Ben Bella, avant de se démarquer définitivement du pouvoir après le coup d'Etat de 1965. Son engagement sera de dénoncer les dictatures qui se chassaient l'une l'autre dans les pays, notamment en Afrique. Dans ses derniers moments de repli au monastère des Copolaris, il aura tout le temps de méditer et de rédiger des articles à caractère biographique, traitant de la vie et de l'œuvre des grandes figures au panthéon de la mémoire de l'Algérie (Massinissa, Yaghmoracen, Al-Idrissi ou Léon l'Africain…), qu'il publia sur les pages d'El Moudjahid. L'association Dar Es Salam pour la paix, l'amitié et le dialogue, qu'il avait créée, était un lieu propice à des rencontres enrichissantes favorisant les amitiés et le dialogue interreligieux dont il était déjà un des précurseurs donnant l'exemple des idées et de l'action. Il était membre fondateur de l'association «Les Amis du patrimoine». Cette passion le fera aussi autrement réagir, un jour, et cela au-delà les liens de l'Eglise, contre le père Lethielleux, le curé de la paroisse de Béni Saf, déjà connu pour sa contribution à l'écriture de l'histoire de la ville de Laghouat (Paris, 1974, Guethner). Le père Bérenguer n'acceptait certes pas que des fouilles clandestines soient, en-dehors d'un cadre scientifique, engagées par son confrère et curé sur le site romain de Damous, fouilles dont les résultats firent d'ailleurs l'objet d'une communication du professeur Pierre Salama lors d'un colloque sur le limés romain, organisé en 1978 à Lausanne. Le père Bérenguer connaissait parfaitement ce site puisqu'il le fit découvrir pour la première fois à travers un article qu'il publia en 1952 dans la revue Les amis du vieux Tlemcen. L'abbé Bérenguer, cet homme fascinant qui a su s'imposer comme un chevalier de la vérité et de la justice défiant l'ordre colonial, laissa une riche bibliothèque ainsi que plusieurs manuscrits dont un sur l'histoire de la ville de Béjaïa, qu'il entendait publier avant sa mort. Il s'était rendu célèbre par ses prises de position politiques, mais également par son livre édité en 1964 et intitulé Un curé d'Algérie en Amérique latine dans lequel il retraça son parcours militant jusqu'à l'indépendance de l'Algérie, publié par la SNED. Un homme de liberté est le titre d'un autre livre publié sous la forme d'un entretien qu'il accorda en 1993 à l'historienne Geneviève Dermendjian et publié aux éditions Centurion (France). Ce dernier livre offre une autre lecture, celle-ci très intéressante sur les problèmes de l'Eglise et l'attitude du Vatican à l'égard des peuples opprimés et contre la politique à courte vue des pays colonisateurs qui n'avaient cessé d'approfondir le fossé entre les peuples.
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