«L'abbé Berenguer a toujours considéré que l'Algérie était son seul pays. Il disait toujours que la France n'était pas l'Algérie et qu'elle ne pouvait jamais l'être ni sur le plan de la géographie, ni de l'histoire, ni de la langue, ni de la religion.» Amara KHODJA Je ne pouvais pas terminer ce mois béni de novembre sans nous inviter à avoir une pieuse pensée pour l'abbé Alfred Berenguer, à l'occasion de la commémoration du 19ème anniversaire de sa mort. J'ai attendu ce jour pour voir jusqu'où pouvait aller l'indifférence et la bêtise des clercs dont la mémoire ankylosée est en complète rupture avec le serment de Novembre. Pourtant, l'itinéraire de cet homme de foi et de conviction était jalonné de certitudes et d'engagement qui l'avaient conduit, à l'époque, à dénoncer la caste coloniale par la parole, dans ses prêches, et par écrit dans la revue Simoun. C'est l'assassinat, en 1955, du docteur Benaouda Benzerdjeb et la grande révolte qui s'ensuivit à Tlemcen qui radicaliseront sa position et le pousseront à devenir plus incisif et à commettre pour le compte de Simoun, une revue paraissant à Oran, un article intitulé Regards chrétiens sur l'Algérie, lourd de sens. Que dire alors du rôle déterminant et décisif qu'il joua dans l'inscription de la question algérienne à l'Assemblée générale des Nations unies? N'est-ce pas là le destin commun à tous les authentiques révolutionnaires qui préférèrent s'éloigner de l'exercice du pouvoir pour redevenir de simples citoyens, sitôt le devoir national accompli? Selon Monseigneur Henri Tessier, ancien archevêque d'Alger, l'ancien curé de Remchi avait toujours refusé toute compensation ou indemnités ou salaire: «Ainsi il refusa le traitement qu'allouait le ministère des Affaires religieuses aux hommes de l'Eglise, l'attestation communale et la pension d'ancien moudjahid.» Membre de la première Assemblée nationale constituante dès les lendemains de l'indépendance, il en démissionnera pour des raisons avérées. Avant de se lancer dans la collecte des chaussures pour les maquis, témoignera à son propos son ami Sid Ahmed Benchouk, l'abbé Alfred Berenguer se chargera des enfants dont les parents ont rejoint les rangs de l'ALN. Son entreprise de récolter les médicaments pour les faire parvenir au maquis attirera les soupçons et finira par lui coûter un premier arrêté d'expulsion, qui sera annulé par Guy Mollet en personne. Suscitant l'ire de l'administration coloniale, l'abbé Alfred Berenguer sera expulsé de son pays, l'Algérie, pour connaître le chemin de l'exil et la France où il connaîtra l'archevêque du Chili qui lui proposera un poste à Santiago. Une aubaine pour la Révolution algérienne que cette installation en Amérique latine surtout après que le Croissant-Rouge algérien lui eut permis de le représenter pour servir au mieux la cause nationale et recueillir des fonds de soutien pour les réfugiés algériens se trouvant au Maroc et en Tunisie après avoir fui les exactions de l'armée française. Sa mission connut du reste un succès foudroyant puisque les pays de la région auront toute la latitude de découvrir ou de redécouvrir, c'est selon, le bien-fondé de la Révolution algérienne. Il deviendra très vite l'un des très proches de Che Guevara et un ami et conseiller attitré de Fidel Castro. Le GPRA en fera très vite son ambassadeur itinérant dont le mérite singulier aura été de parvenir à brûler toutes les cartes de la puissance française et celles d'André Malraux, en particulier. C'est à Alfred Berenguer que l'on doit le soutien des pays de l'Amérique latine à cette époque, souligne Monseigneur Tessier: «André Malraux, émissaire français en Amérique latine ne connaissait pas l'Algérie et ne parlait pas espagnol. Aussi, il était très aisé à l'abbé Berenguer de déconstruire les arguments de Malraux. Il passait après lui dans chaque pays et expliquait en espagnol ce qu'était le fond du problème algérien et le pourquoi de la guerre.» C'était lui qui avait préparé, aux côtés de Abdelkader Chanderli, représentant du FLN à l'ONU, le terrain à la délégation du GPRA, conduite par Benyoucef Benkhedda. Et c'était lui-aussi qui fut l'un des heureux artisans du vote de l'écrasante majorité des pays latino-américains (17/20) en faveur du droit à l'autodétermination du peuple algérien. A un moment où un chant à l'unisson des voix, porté par des milliers de manifestants le 11 décembre 1960, finissait par ébranler la caste coloniale. La revendication de l'Indépendance nationale par tout un peuple, au moment où la question algérienne était en débat à l'Assemblée générale des Nations unies en présence d'une délégation du FLN, ne laissait subsister aucun doute quant à l'issue finale. Pour Amara Khodja, «l'abbé Berenguer a toujours considéré que l'Algérie était son seul pays. Il disait toujours que la France n'était pas l'Algérie et qu'elle ne pouvait jamais l'être ni sur le plan de la géographie, ni de l'histoire, ni de la langue, ni de la religion». Ce n'est pas sans raison s'il repose en paix, et à sa demande, au cimetière chrétien de Tlemcen malgré le fait qu'il décéda en France, dans un asile de vieillards...C'est une honte... pour «la famille révolutionnaire...». [email protected]