Promues, médiatiquement, comme les élections du changement et de l'émancipation de l'exercice démocratique en Algérie, le rendez-vous du 10 mai aura vite fini par devenir un gigantesque simulacre électoral autour duquel se sont attisés les opportunismes et les convoitises. Les élections législatives, censées doter l'Algérie d'une instance délibérante à caractère représentatif et structurant, sont devenues une sorte de «cour du Roi Pétaud», où l'incompétence se frotte avec indécence à l'argent sale, le copinage, la vanité et la prévarication. Les promoteurs de la Chkara sont de retour et polluent la pré-campagne par des actes qui attentent à l'honneur d'un pays : on achète et on vend des candidatures, on «proxénétise» la participation féminine et on caricature le rôle des jeunes comme pour anéantir tous les espoirs du changement promis même par les centres décisionnels et par Bouteflika lui-même. Trois éléments attirent l'attention autour des élections législatives : en premier lieu, la multitude des partis, surtout nouveaux – évidemment sans programmes politiques, sans assise populaire et surtout sans projet de société – débarquent sur la scène et partent à la chasse du quota promis. Toute honte bue, des chefs de parti évoquent des promesses, données «en haut lieu», d'obtenir un certain nombre de strapontins, censés entretenir une clientèle partisane avide d'argent et d'affaires. En second lieu, la pré-campagne augure d'une campagne électorale fade, sans éclats et surtout éloignée de l'acteur principal qu'est le citoyen : les postulants discutent de tout sauf des préoccupations citoyennes et pour preuve : au moment où la pomme de terre a atteint des records de prix jusqu'à dépasser ceux des fruits exotiques qui nous proviennent des pays équatoriaux éloignés, et la sardine atteignant les 500 DA le kilo, d'heureux candidats trouvent de quoi évoquer la question de leurs indemnités si, heureusement, ils sont élus. Oubliés donc les problèmes de chômage, de logement, de pouvoir d'achat et d'identité et place aux avantages, aux faveurs et aux passe-droits. Enfin, la course à la législature parlementaire, telle qu'elle est entamée, n'a rien de changé par rapport aux élections de 1997 où la défection citoyenne peine à trouver de similarité dans les annales électorales. Continuant à considérer le citoyen comme un sujet électoral, administration et partis, dans une symphonie d'une rare harmonie, manipulent, mentent et menacent. En présentant l'échéance électorale du 10 mai comme un horizon apocalyptique en cas de défection, ils en rajoutent de la peur, de la méfiance et du rejet. Le citoyen d'aujourd'hui est éveillé, informé et conscient et le chantage à l'islamisme ne sert à rien. La perspective islamo-salafiste, étant franchement disqualifiée socialement, ne peut trouver refuge que dans les atermoiements du régime et ses incessantes concessions à la déferlante intégriste. L'Algérie démocratique est comme cet enfant abandonné et laissé à son sort. Ce n'est pas tant le froid glacial ou le regard ahuri des passants qui le blesse, mais la lâcheté de ses parents qui l'ont indignement abandonné. Les discours creux et les propos velléitaires sans fins ont fini par lasser l'Algérien et le conduire à draper son comportement électoral d'une «présomption de culpabilité» de tous les acteurs. Ainsi, l'Etat devient, à ses yeux, un fraudeur, les partis des voleurs et les candidats des opportunistes. Tout ceci est étayé par des preuves souvent frappantes de ce qui n'était que présomptions. Il y a comme un vent de non-dits et d'intrigues qui se trament autour de cette élection. On se fond dans des manipulations qui condamnent cette échéance à être la prisonnière des visions surannées et à la faire otage d'intérêts bassement pécuniaires d'une clientèle prête à sacrifier l'image de l'Algérie vis-à-vis de l'opinion publique, nationale et internationale, qui se désolent du caractère bananier de nos pratiques électorales. En même temps que cette élection devrait être perçue comme un point de départ d'un changement vers la plénitude républicaine, des forces malheureuses – et elles sont puissantes – les régentent pour les dresser comme le temple du statu quo et de l'inertie. L'acte de voter est perverti par une fraude annoncée. Ce qui est dénoncé comme une atteinte à l'intégrité des institutions est érigé en pratique de modulation des rapports de force et de chantage contre l'Algérien démocrate. Il est certain que le civisme est contenu dans un acte de vote, mais pas quand celui-ci est sali par la manipulation et la fraude. Autant de raisons qui feront pâtir la confiance de l'Algérien et l'éloigneront des cieux incléments d'un régime «insoluble» dans la démocratie dont il rêve.