Depuis son introduction à l'école, le tamazight perd du «terrain», un peu plus chaque année. Le «territoire» de son enseignement se rétrécit comme peau de chagrin. Les statistiques fournies par le Haut-Commissariat à l'Amazighité (HCA) indiquent un net recul du nombre d'élèves recevant des cours de tamazight. Ils sont 225 210 apprenants enregistrés cette année scolaire, alors qu'au lancement de la première promotion, durant l'année scolaire 1995/1996, ils étaient presque le double, 352 256, exactement. Dans plusieurs wilayas, l'enseignement du tamazight a carrément cessé, s'inquiète Mme Cherifa Bilek, directrice chargée de l'enseignement et de la formation au HCA. C'est le cas à Tipasa, où le tamazight a disparu du programme en 1999, Illizi, en 2000, Oran en 2002. A Ghardaïa, une timide relance des cours a été enregistrée en 2003, après une rupture de l'enseignement en 2000, mais cette reprise s'est éteinte en 2009. A Biskra, plus aucune trace du tamazight depuis 2010. L'enseignement de cette matière est en voie de disparition à Alger et à Bordj Bou Arréridj. Au niveau de la capitale, 349 élèves suivaient des cours de tamazight en 1995, ils ne sont plus que 40 aujourd'hui. Sur les 16 wilayas ayant connu le lancement de la première promotion d'apprenants de cette langue, elles ne sont plus que 11 à poursuivre la formation aujourd'hui. Le chiffre est appelé à la baisse, vu les indicateurs au rouge dans certaines wilayas, même s'il y a lieu de noter que la wilaya de Bordj Bou Arréridj a vu le lancement de l'enseignement de cette matière en 2010, avec 9 classes. Le caractère facultatif de cette matière pèse lourdement quant à ce résultat. Le maintien de cette spécificité est en train d'affaiblir les résultats positifs qu'enregistre l'enseignement de cette langue. «Rien de concret n'a été fait sur le terrain pour promouvoir cette langue et son enseignement. Facultative et au bas de l'échelle Le caractère facultatif place le tamazight au bas de l'échelle des matières enseignées à l'école algérienne et met les enseignants dans une mauvaise posture», constate Hamid Deradj, représentant du collectif des enseignants de tamazight. «Un prof de tamazight ne peut rien faire devant un élève qui n'est pas intéressé et dont les parents sont soucieux des notes obtenues par leurs enfants à la fin de l'année. Des parents n'hésitent pas à sacrifier le tamazight, qui n'est pas obligatoire. Il arrive souvent que ces derniers décident de dispenser leur enfant de cette matière, juste par peur que sa moyenne générale ne soit altérée, le coefficient de tamazight pouvant influencer…», explique le professeur. La résistance des enseignants de tamazight est freinée aussi par l'absence de volonté des pouvoirs publics à répondre aux besoins en matière de moyens. «Les cours sont tributaires de la bonne volonté des enseignants. Dans certains cas, on trouve plusieurs établissements à ‘'se partager‘' un seul professeur qui effectue les déplacements au quotidien. Cette situation n'a aucun risque d'arriver par exemple à un professeur d'histoire- géographie, ou de maths… Les enseignants acceptent, puisqu'ils sont motivés, mais des efforts doivent être faits dans ce sens pour pallier à la situation d'insuffisance des effectifs», indique une enseignante de cette matière. «Il suffit de traiter cette matière comme n'importe quelle autre au niveau des établissements où elle est dispensée pour lever une partie des obstacles entravant le bon déroulement de son enseignement», estime M. Deradj. L'Association de l'enseignement de tamazight, dissoute, qui renaît à travers cet effectif est en train de mener un mouvement pour «l'amélioration» des conditions d'enseignement. Il faut savoir que pour absence d'enseignants, l'enseignement de tamazight a été interrompu pour une durée de 4 ans, (de 2001/2002 à 2004/2005) à Batna , contraignant les élèves à abandonner cette matière. Cette absence s'explique par le départ des enseignants contractuels après le refus de la tutelle de leur intégration. Les apprenants sont également confrontés à la rupture du cursus d'apprentissage de cette langue, se traduisant par une disponibilité partielle des cours pour un seul palier. «Ce n'est qu'en Kabylie que l'enseignement se fait dans tous les paliers», explique Mme Bilek du HCA, dans les autres wilayas, il n'y a pas de pérennité. Les cours dispensés au CEM ne sont pas suivis au lycée et ne commencent pas forcément au primaire, ce qui créé une sorte de «coupure». Ainsi, ce n'est que dans les wilayas de la Kabylie (Tizi Ouzou, Béjaïa, Bouira et quelques établissements de Boumerdès) que le tamazight est enseigné dans les trois paliers. Le problème de l'absence de l'accompagnement des enseignants à travers les formations et les inspections se pose avec acuité. Les aménagements faits par le HCA, les efforts des linguistes et les modules enseignés par l'institut de langue et de culture amazighes de l'université Mouloud Mammeri ne sont pas accompagnés d'une formation pédagogique, permettant aux enseignants de cerner tous les enjeux pédagogiques pour mener à bien leur mission. «On se débrouille comme on peut» Le HCA rappelle d'ailleurs que les promesses faites par les pouvoirs publics d'inclure le tamazight comme matière d'enseignement au niveau de l'Ecole normale supérieure (ENS) et de l'Institut technique d'enseignement (ITE) ne sont pas concrétisées. L'Institut de la langue et la culture amazighes de Tizi Ouzou forme des licenciés, à recruter sur concours. Les enseignants du tamazight représentent 80% de ces diplômés, «mais ils nécessitent un suivi et des formations, notamment, en ce qui concernent des aspects liés aux rapports avec les élèves et aux méthodes didactiques», notent les représentants des enseignants. Selon le collectif des enseignants du tamazight, un grand nombre d'instructeurs issus d'autres formations «se débattent seuls aujourd'hui pour trouver une issue aux difficultés rencontrées. Une prise en charge a pourtant été prévue au lancement de l'enseignement de tamazight pour cerner ce genre de difficultés, mais force est de constater qu'ils n'y a aucune volonté politique pour régler le problème», insiste M. Deradj. Le collectif des enseignants pointe du doigt le ministère de l'Education nationale accusé de «ne pas faire d'effort en matière de promotion des enseignants de cette langue». Les enseignants dénoncent l'absence d'un inspecteur de tamazight. Seuls les chargés d'inspection assurent le suivi. «Les enseignants ne répondent pas actuellement aux critères pour postuler aux concours à l'ouverture des postes d'inspecteur», explique M. Deradj. Les enseignants sont contraints de se débrouiller concernant les difficultés techniques rencontrées. «On se débrouille comme on peut pour corriger les fautes ou pour illustrer des leçons, alors que pour les autres matières, il y a des corrections et des instructions nouvelles chaque année pour corriger des fautes dans les manuels ou, introduire de nouveaux moyens», explique le même enseignant. Un cri de détresse est lancé à l'adresse des pouvoirs publics pour palier des situations «humiliantes». Des professeurs de tamazight sont classés à la catégorie «OP» (ouvrier professionnel) avec un salaire inférieur au SNMG. Ces lacunes résultent des problèmes liés à l'intégration des professeurs ne répondant plus aux critères exigés pour leur classification au grade d'enseignant. «Cela concerne des enseignants d'autres matières également, mais, à un degré moindre. Puisque le nouveau statut prévoit des brèches pour intégrer les autres profs, mais pas pour ceux de tamazight», explique le représentant des enseignants. «Nous posons aussi le problème des enseignants issus de la conversion de poste. Il s'agit de professeurs d'autres matières qui ont choisi de se convertir, durant les premières années de l'enseignement de tamazight mais 15 ans après, ils sont toujours considérés dans leur ancienne spécialité», soutient M.Deradj. Alger, zone «interdite» Si le nombre des élèves suivant des cours de tamazight dans la wilaya d'Alger a démarré avec 349 élèves en 1995, et a pu atteindre 1643 apprenants durant l'année scolaire 2006/2007, ce nombre n'est aujourd'hui que de 40, «trois élèves de plus par rapport à l'an dernier, où l'on a eu que 37 élèves», indique-t-on au HCA. Deux établissements seulement disposent d'enseignants de tamazight, Ali Ammar dans la commune de Bab El Oued, et Frantz fanon à Alger-Centre. Selon le ministère de l'Education nationale, l'ouverture de classes pour dispenser des cours de tamazight se fait «selon la demande». «Il suffirait de trois demandes pour l'ouverture d'une classe», atteste, un responsables du département de Benbouzid. Les défenseurs de tamazight accusent la tutelle de ne pas avoir procédé au recrutement des enseignants qui ne sont que 4 à assurer ces cours dans la capitale, et avec leur départ, «ce sera le néant», s'alarment des parents d'élèves. «Il n y a eu aucune demande signée de la part des parents d'élèves», atteste une source du ministère, ayant requis l'anonymat. Le collectif des enseignants de tamazight dénonce «le pouvoir» de certaines associations de parents d'élèves ayant pu obtenir la cession des cours de tamazight au niveau de deux établissements. Dans un CEM, au chef-lieu de la wilaya de Bouira, ayant vu le démarrage des classes de tamazight en 2006, les cours ont cessé en 2009 après le forcing exercé par l'association des parents d'élèves. Un autre établissement, situé non loin de là, a eu le même sort. «Les parents acharnés justifient leur action par leur souci d'épargner à leurs enfants les efforts d'une matière facultative à coefficient 2. Dans leur action, ces parents ne voulaient pas prendre en considération l'avis de ceux favorables à l'enseignement de cette matière.»