Paris De notre correspondante Bien que l'antisarkozysme et le désir d'alternance semblent ancrés dans l'opinion, il ne fait pas de doute que dimanche soir, au terme du 1er tour de l'élection présidentielle française, Nicolas Sarkozy et son adversaire socialiste, François Hollande, se qualifieront pour le second tour du 6 mai prochain. Mais dans quelles proportions ? Quel sera le taux d'abstention qui donne des sueurs froides aux états-majors des candidats et que les spécialistes des sondages estiment à plus de 20% ? Qui sera le troisième gagnant du 1er tour, Jean-Luc Melenchon, candidat du Front de gauche, ou Marine Le Pen, candidate du Front national ? Autant d'inconnues attendues avec acuité. Le total de la gauche au premier tour, que les sondages évaluaient jeudi à 45-46%, est une des clés du scrutin. La droite continue à croire et à faire croire à un revirement entre les deux tours. Alain Juppé a, devant la presse étrangère, jeudi, accusé les médias d'avoir fait l'élection, «c'est aux électeurs qu'il appartient de se prononcer et ils le feront dimanche», a-t-il dit. Pour sa part, le candidat socialiste veut éviter un score de premier tour plus faible que celui annoncé par les sondages. Instruit par le précédent du 21 avril 2002, qui vit le candidat socialiste Lionel Jospin s'effacer face à Jean-Marie Le Pen, président du Front national, François Hollande reste prudent et mesuré. Il a mis en garde contre toute attitude pouvant «donner l'impression que tout serait joué» dans cette présidentielle, estimant qu'«à force d'annoncer un résultat, on finit par ne pas le créer» (interview à Libération vendredi 13 avril). «Je ne dis pas que nous avons gagné, c'est bientôt que nous le saurons. Méfions-nous des annonces prématurées», a dit le candidat socialiste. «Nous n'avons rien gagné tant que les électeurs n'ont pas voté.» Par ailleurs, associations laïques et responsables religieux appellent les Français de confession musulmane, habituellement abstentionnistes, à voter massivement dimanche. Une campagne bougez-votez.fr a lancé à la mi-mars un «appel pour une initiative citoyenne», signé par 4700 personnes. Tout en soulignant que les musulmans, comme «leurs concitoyens» «aspirent à contribuer à une société plus juste, plus égalitaire et plus respectueuse des différences de chacun», le texte espère que le candidat élu «aura à cœur de lutter sans équivoque contre l'islamophobie, les discriminations et les crimes de haine perpétrés à l'encontre des musulmans de France». L'Union des familles musulmanes des Bouches-du-Rhône invite aussi les musulmans à s'exprimer massivement pour «sanctionner les pyromanes qui ont désigné à la vindicte populaire les musulmans, les jeunes des quartiers défavorisés, les chômeurs ou encore les étrangers» à coups de «débats nauséeux et de polémiques grotesques», mettant à mal la «cohésion nationale». Une trentaine d'imams et de responsables associatifs de la région lyonnaise appellent à «une participation massive aux élections». «Voter, c'est exister», indiquent-ils. Ils soulignent «l'obligation morale pour un musulman d'exercer son droit de vote», alors que certains croyants se demandent régulièrement s'il est «licite» de voter dans un pays non musulman. Les responsables lyonnais les invitent à «exercer leur citoyenneté, faire entendre leur voix et devenir acteurs de leur propre changement». «Ne laissez pas les autres choisir à votre place», insiste leur communiqué. «Le changement c'est maintenant» L'enjeu du 22 avril, «ce n'est pas simplement changer de Président. Ce n'est pas seulement choisir la gauche plutôt que la droite, mais c'est savoir ce que va être la France, ce que va devenir la République. Ce ne sont pas uniquement deux projets qui se font face, cette élection va bien au-delà : c'est de savoir si la France a encore un destin, une place, une responsabilité. Et ce n'est pas qu'une élection française, c'est une élection européenne, car la France doit pouvoir changer non seulement son orientation mais aussi celle de la politique européenne», affirme le candidat socialiste. (interview à Libération du 13 avril 2012). «Comme en 1981, nous sommes face au choix historique du vrai changement. C'est un défi qui nous est lancé»… «En jouant sur les peurs, celle de l'immigration par exemple, et maintenant celles des marchés, ce candidat (le président sortant Nicolas Sarkozy) ne peut pas être celui de l'espérance. Je veux chercher ce qu'il y a de meilleur en chacun de nous et ce que nous pourrons faire de mieux ensemble. C'est la grande différence». François Hollande a tenu à se présenter dans son message aux Français (100 jours avant le 1er tour du 22 avril) comme le candidat de la volonté, de la justice et de l'espérance. «Je ne serai pas un président qui viendra devant vous six mois après son élection pour vous annoncer qu'il doit changer de cap», affirme-t-il. «Ces cinq années auront été la présidence de la parole et, lui, le président des privilégiés. Voilà la page que je veux tourner.» L'ancien premier secrétaire du PS note que «pour la première fois depuis longtemps dans notre histoire nationale, ce choix dépassera, et de loin, les seules questions politiques et partisanes». Nicolas Sarkozy veut réduire de moitié les flux migratoires Pour sa part, le président-candidat, Nicolas Sarkozy, explique dans une interview à 20 Minutes (jeudi 12 avril 2012) ses priorités s'il est réélu : «baisser le coût du travail pour stopper les délocalisations et la perte de notre tissu industriel. Ce sera appliqué à partir d'octobre. Sur le plan européen, ma priorité sera d'obtenir pour Schengen la certitude que les frontières de l'Europe sont défendues, et pour les négociations commerciales, la réciprocité. Sinon, au bout d'un an, on sortira de Schengen et on appliquera l'European Buy Act, la possibilité de réserver nos marchés publics aux entreprises qui produiront en Europe.» Et dans sa lettre aux Français, Nicolas Sarkozy réitère qu'«il faut réduire de moitié les flux actuels d'immigration dans notre pays. L'accès à notre territoire sera donné en priorité aux réfugiés politiques, à une immigration économique limitée aux compétences dont nous avons besoin, et à une immigration familiale dont le rythme doit être maîtrisé». Et «toute personne qui veut venir s'installer en France, qu'elle soit un homme ou une femme, doit savoir qu'il y a chez nous des règles qui s'imposent à tous : la laïcité, l'interdiction de la burqa dans l'espace public, du voile dans les services publics, l'école obligatoire, le caractère non négociable des programmes scolaires, l'égalité entre l'homme et la femme, le droit des femmes de travailler, l'interdiction absolue de la polygamie et de l'excision ; en France, les horaires dans les piscines sont les mêmes pour tous, les médecins sont les mêmes, les menus dans les cantines sont les mêmes. Personne n'est obligé de venir vivre en France. Ceux qui veulent venir doivent savoir quelles sont nos valeurs et être convaincus que nous les ferons respecter». Et concernant le droit de vote, celui-ci «ne peut être donné qu'aux citoyens français, parce qu'il y a un lien indéfectible et particulier entre pouvoir participer au destin de la nation au travers de ce droit essentiel qu'est le droit de vote, et adhérer du fond de son cœur à ce qu'est l'identité de la France. En France, voter est d'abord une appartenance, l'appartenance à une nation qui a une histoire, une certaine manière de concevoir la vie commune, une unité de points de vue sur certaines valeurs essentielles». François Hollande estime que l'objectif de Nicolas Sarkozy de diviser par deux l'immigration est un «faux objectif» et qu'il ne «serait jamais atteint» (sur le plateau de France 2). «Il ne sera pas possible de réduire (l'immigration) au chiffre qu'a donné Nicolas Sarkozy, ou bien il faut interdire aux Français de se marier avec des étrangers», a ajouté François Hollande. En outre, «il y a nécessité de dire que les étudiants étrangers doivent venir un an, deux ans, puis ensuite repartir dans leur propre pays. Donc, ce qui compte, c'est la mobilité, c'est que certains viennent et d'autres repartent, c'est ça une politique de l'immigration», a-t-il fait valoir. Selon François Hollande, pour être régularisé, tout étranger doit remplir trois conditions : justifier d'un emploi et d'un toit ; prouver qu'il possède des attaches familiales solides pour pouvoir rester en France, justifier de cinq ans de présence continue en France. «Il y a trois millions d'étrangers sur le sol français, mais aussi beaucoup d'enfants qui sont français et qui auront nécessité à être bien intégrés si nous voulons avoir un grand pays», a-t-il encore dit. Une politique étrangère «claire» et «équilibrée» En matière de politique étrangère, François Hollande, s'il est élu, mènera une politique extérieure «claire, fiable, constante, anti-bling bling», avait dit Jean-Louis Bianco à Reuters, il y a quelques semaines. Parmi les priorités qui attendent le futur président, Jean-Louis Bianco note l'importance de «rétablir des relations de confiance avec les pays arabo-musulmans», après les printemps arabes qui ont fait naître un mélange d'espoir et de doute quant à l'attitude des islamistes portés au pouvoir par la population. Jean-Louis Bianco plaide aussi pour une relation «plus équilibrée» avec Israéliens et Palestiniens après une période trop favorable à son goût aux thèses de l'Etat hébreu.