Ce problème préoccupe l'Organisation mondiale de la santé (OMS) depuis plus de quatre décennies. En 1974, elle a adopté la résolution WHA27.59 déclarant que les accidents de la route constituent un problème de santé publique et appelait les Etats membres à réagir. Elle a créé, en mars 2000, le Département de la prévention et des traumatismes et a élaboré une stratégie quinquennale pour la prévention des accidents de la circulation dans le monde. Au sein de la Banque mondiale, un groupe de travail interdisciplinaire a été constitué afin de s'assurer que ce dossier important soit considéré comme un problème de santé publique majeur, traité conjointement par des spécialistes des transports et de la santé publique. Ses emprunteurs sont encouragés à inclure des éléments relatifs à la sécurité routière dans la plupart de leurs projets de route et de transports urbains. En avril 2004, l'OMS et la Banque mondiale organisent la première Journée mondiale de la santé sous le slogan : «L'accident de la route n'est pas une fatalité» et le 14 avril 2004, l'Assemblée générale des Nations unies se réunira afin de traiter pour la première fois de la sécurité routière. Pourquoi ai-je choisi ce sujet ? Les accidents de la route tiennent une place importante dans la médecine légale moderne, du fait de tous les aspects liés à la prise en charge médico-légale des victimes, notamment la description, l'évaluation des blessures et du handicap, sans compter tous les problèmes juridiques qu'ils soulèvent et qui exigent une intervention médicale pour être résolus. En relation avec les personnes blessées, elle analyse le type des lésions, les circonstances de survenue de l'accident et tire des conclusions médico-légales. Pour ce qui concerne les personnes tuées, la médecine légale devrait permettre d'analyser les causes et les circonstances du décès, alors que j'ai constaté malheureusement la quasi absence d'autopsie médico-judiciaire dans ce domaine durant toute la période de mes recherches (2006, 2007, 2008). Le médecin légiste est dépendant des différents intervenants en amont. La prise de conscience des failles de la chaîne des intervenants, la perception des conséquences néfastes de ces insuffisances et du préjudice sur les victimes ont été au centre de mes préoccupations, avec le souhait d'aller jusqu'à émettre des recommandations. Il faut souligner que pour exposer les aspects médico-légaux des victimes des accidents de la route, j'ai dû me baser uniquement sur les résultats de mon expérience au jour le jour et ce, depuis le début de mon activité à l'hôpital de Zéralda, en 2004. L'absence — à ma connaissance du moins — de support théorique et de références bibliographiques dans le domaine précis de l'approche médico-légale proprement dite, a rendu difficile l'exposé de ce chapitre. C'est cette difficulté même qui, très tôt dans ma pratique, a suscité l'intérêt pour ce sujet, décidé de ce choix et conduit à un recensement systématique, au cas par cas, des écueils et des manques. La décision d'entreprendre une étude prospective sur les aspects médico-légaux des victimes des accidents de la route a été prise en 2005, ce qui fait une expérience de cinq ans. Elle s'est faite sur la base d'annotations personnelles consignées des années durant sur chaque difficulté rencontrée, pour répondre, dans un premier temps, à l'attente des victimes d'accident, et par la suite, elle s'est étendue à celle du corps médical et des magistrats. Cette vision des aspects médico-légaux découle d'une analyse personnelle, sa présentation est forcément subjective, quelque peu arbitraire, et mérite sûrement d'être complétée à l'avenir. C'est dire l'intérêt de ce travail qui est l'un sinon le premier en Algérie qui s'intéresse à ce problème médico-légal, mais également touche d'autres disciplines médicales et d'autres aspects de la société, notamment le juridique. Il s'inscrit dans cette logique et se veut une contribution modeste dans l'analyse de ce fléau. Mon ambition est d'ouvrir le sujet en attendant que d'autres travaux de recherche le complètent. Quelle a été la problématique ? Puisque l'insécurité routière est actuellement reconnue comme un problème majeur de santé publique dans le monde en général et notre pays en particulier, lui appliquer les outils de la recherche en santé clinique et épidémiologique apparaît comme une source prometteuse de progrès, tant au plan de la connaissance et de la prévention que de l'évaluation et la prise en charge médicale et médico-légale des victimes. Ce problème, qui a pris les dimensions d'un véritable fléau, interpelle donc la communauté médicale à plusieurs titres. Pendant l'accident : la plus ou moins grande fragilité des victimes, la violence de l'accident, la présence de facteurs aggravants, la qualité et la rapidité de la prise en charge feront que ceux-ci en sortiront indemnes, seront plus ou moins grièvement blessés ou décéderont. Après l'accident : le devenir du blessé, ses séquelles et les conséquences de celles-ci au plan physique et fonctionnel, mais aussi familial, socioculturel ou professionnel restent les grandes inconnues de l'insécurité routière. Et c'est à ces différents stades qu'intervient le médecin. Dans la pratique médico-légale, les accidents de la route tiennent une place importante, car le médecin légiste constate et évalue les blessures en fixant l'incapacité temporaire totale (ITT) ; il intervient dans la réparation du dommage, il a aussi un rôle à jouer dans la prévention. Il est interpellé pour des expertises au civil et au pénal par les autorités judiciaires (magistrats, police et gendarmerie), pour des missions bien définies en rapport avec les accidents de la route, par les compagnies d'assurances et par les ayants droit. Dans le but d'accomplir sa mission, il a besoin de documents médico-légaux probants, notamment le certificat médical initial (descriptif) qui doit être complet et précis, car il permettra à la victime de prouver l'existence de son dommage afin d'obtenir réparation. L'appréciation médico-légale des différents préjudices se heurte à beaucoup de difficultés : d'abord l'absence de barème d'évaluation du dommage corporel en matière d'accident de la route, qui gêne la fixation du taux d'IPP. A nos jours, en Algérie, pour évaluer le dommage occasionné par un accident de la route, on se réfère au barème des accidents de travail. De plus, l'évaluation de l'ITT est assez souvent mal comprise et assimilée à un arrêt de travail. Par ailleurs, dans la pratique médicale aux urgences, nous avons constaté qu'il n'existe pas de «compte-rendu médical d'accident de la circulation» standard qui doit être correctement rempli par le médecin, au même titre que la «fiche navette» accompagnant le malade à chaque fois qu'un avis spécialisé est demandé et qui servira de document médico-légal probant, que ce soit en consultation de médecine légale ou d'expertise dans le cadre du dommage corporel ou en autopsie diligentée par la justice. Il n'existe aucune étude épidémiologique descriptive récente des lésions obéissant aux règles de recherches épidémiologiques à côté des études statistiques sur les accidents de la route au niveau national et ce, malgré l'importance du fléau. Il n'existe aucune étude nationale traitant les aspects médico-légaux posés par les accidents de la route comme, par exemple, la recherche d'alcool, de plantes et de substances classées comme stupéfiants ; cette recherche n'est pas bien cadrée par la législation en vigueur et présente beaucoup de défaillances sur le plan pratique. Enfin, il y a méconnaissance des causes de la mort et des tableaux lésionnels des victimes. Les autopsies ne sont pas toujours demandées. L'attention est essentiellement focalisée sur la quantification des blessés ou des décès, sans que la gravité des conséquences sanitaires fasse l'objet d'études spécifiques. Le Centre national de prévention et de sécurité routière, CNPSR, n'utilise pas de données médicales dans l'élaboration de ses statistiques nationales, alors que les décisions stratégiques de sécurité routière doivent être basées sur des données scientifiques (donc objectives). En matière de sécurité routière, pour cibler les interventions, pour contrôler et évaluer l'efficacité des mesures prises, on doit avoir des données fiables et harmoniser notre terminologie. Le médecin légiste, souvent assimilé au médecin de la violence, est confronté à beaucoup de problèmes médico-légaux en matière d'accidents de la route. Il doit impérativement avoir un rôle actif, car il a aussi un rôle dans la prévention à tous les niveaux, même dans la proposition de l'élaboration des textes de loi, du moins eu égard à ses multiples constatations dans sa pratique courante. Néanmoins, malgré l'engagement politique sanitaire en matière de «tout faire» pour la sécurité routière, il existe encore des insuffisances tant sur le plan prise en charge médicale que judiciaire. En effet, la définition d'un «blessé grave», comme il peut être perçu au sein de notre société par ses répercussions individuelles, familiales, professionnelles, scolaires, etc., reste floue et inappropriée ; la définition de «tué par accident de la route» n'est pas uniformisée au niveau du territoire national, et n'est pas conforme à celle recommandée par l'OMS, «tué par accident, toute victime qui décède sur les lieux d'accident ou dans les trente jours qui suivent». Ce qui nous laisse penser que le chiffre réel des victimes décédées par accident de la circulation routière est plus élevé que celui avancé par la gendarmerie et par la police. Ce qui ne nous permet pas d'évaluer la gravité réelle des accidents ni de faire des études comparatives à l'échelle internationale.
Résumé de l'étude statistique D'après notre étude, les consultants pour accident de la route ont représenté un taux de 17% par rapport au nombre total des consultants, qui sont passés au niveau de notre service de médecine légale. La répartition des usagers de la route par tranche d'âge et par sexe est très significative puisque p=0,000001. Elle a démontré que la moitié des victimes étaient des passagers ; le tiers était des piétons ; le motocycliste a représenté le 1/10 des cas. Le piéton était soit producteur de sur-risques, soit comme victime ; ce qui justifie des mesures particulières. La traumatologie routière dans la circonscription de Zéralda a touché majoritairement les sujets jeunes quels que soient le sexe et la catégorie d'usager de la route, puisque la tranche d'âge des 1-44 ans s'est élevée à 75,4% (3/4 des cas) ; et 80% des victimes d'accident de la route décédées étaient des jeunes de sexe masculin âgés entre 15-29 ans. L'augmentation du nombre des jeunes usagers de la route impliqués dans les accidents a pour effet d'augmenter dans des proportions encore indéterminées, le nombre des invalides permanents et d'abaisser l'espérance de vie. Ce fléau est à l'origine de décès, mais aussi pourvoyeur de handicaps lourds portant atteinte à la réinsertion dans la vie professionnelle. Les conséquences de l'accident sur la qualité de vie des victimes et de leur famille, sur le cursus scolaire et le parcours professionnel, restent inconnues à nos jours. en conclusion Sachant que la mortalité est un indicateur de la gravité de tout problème de santé, l'absence de registre national des victimes de la route, la non-adoption, à ce jour, par notre pays de la définition de «mort par accident» recommandée par l'OMS, le CNPSR qui occulte les données médicales, implique automatiquement une sous- déclaration des décès, et par conséquent, une sous-estimation de la gravité des accidents. Il est donc indispensable et grand temps de normaliser les indicateurs de mortalité. Les défaillances relevées au cours de notre travail, particulièrement en matière de recherche d'alcool, de plantes et de substances classées comme stupéfiants ; le manque d'harmonisation et la pauvreté des procès-verbaux établis par la police ou par la gendarmerie lors du constat de l'accident impliquent nécessairement une réadaptation de la législation et des mesures réglementaires en matière de sécurité routière en général. Car la qualité de la recherche épidémiologique en la matière ainsi que l'efficacité de la lutte contre l'insécurité routière seraient accrues par une coordination renforcée entre chercheurs et acteurs de terrain. Le risque routier est un risque complexe qui nécessite une politique de prévention ambitieuse, qui ne peut se limiter au contrôle et à la sanction des infractions. Il concerne également l'ensemble de la population et pas seulement les automobilistes. Il faut un renforcement de l'interministérialité, qui permettrait notamment au ministère chargé de la Santé d'occuper sa place dans le dispositif de sécurité routière. Références bibliographiques : -OMS : Les statistiques relatives aux accidents de la route. Rapport sur la réunion d'un groupe technique de l'OMS, Prague 26-28 septembre 1978. Bureau régional de l'Europe, OMS. Copenhague 1981. -OMS : Rapport mondial sur la prévention des traumatismes dus aux accidents. DA. Costa. Sécurité routière et circulation : la responsabilité de différents acteurs 2007. Extrait du travail de recherche fait par Pr Benabid Miloudi Farida, intitulé «Aspects médico-légaux des victimes des accidents de la routes».