Ahmed Rouadjia, docteur en histoire, est professeur à l'université de Biskra. Il est également directeur d'un projet algéro-français de coopération interuniversitaire portant sur l'immigration algérienne en France. Votre livre traite aussi bien de l'image du « beur » dans la société française que de la question du racisme et de l'antisémitisme. Quel est le lien entre ces différents thèmes ? Dès l'introduction, je dis que le lien n'est pas, de prime abord, évident. Mais d'un point de vue logique, il existe. Les socialistes avaient utilisé le mouvement beur pour le canaliser et le détourner de l'action politique proprement dite, pour lui enlever toute sorte d'autonomie. Quand on examine la composition de l'encadrement de SOS Racisme, on s'aperçoit que les trois quarts de ses promoteurs sont des intellectuels juifs français. Cette dernière précision est volontaire, on dit bien intellectuels musulmans. Sous prétexte de lutter contre le racisme dont sont victimes les beurs, on va essayer de les détourner du problème palestinien. Les juifs, en général, ont le droit de défendre Israël et de manifester une allégeance inconditionnelle, mais lorsque les beurs manifestent leur soutien aux Palestiniens, ils sont d'emblée accusés d'être antisémites. On voit qu'il y a un lien entre les beurs, en tant que personnes d'origine maghrébine, le conflit israélo-palestinien et les réseaux sionistes en France qui investissent aussi bien les médias que le champ politique. J'ai établi ce lien parce que d'un point de vue logique, il est établi par les médias et par les politiques. Mais à l'origine, le mouvement beur n'avait pas de lien direct avec la question palestinienne, il revendiquait l'égalité des droits... Effectivement, le mouvement beur réclamait la citoyenneté, l'égalité des droits. Son projet ne portait pas sur la lutte contre le racisme. C'était une façon pour les beurs de dire qu'ils étaient des Français, d'origine étrangère certes, mais des citoyens de ce pays. C'est vers les années 1983-1984 que des éléments à l'intérieur du mouvement beur ont pris parti pour la cause palestinienne. Or, ces jeunes ont été à maintes reprises rappelés à l'ordre pour qu'ils ne manifestent pas leur solidarité à l'égard des Palestiniens. Je le prouve, citations à l'appui tirées d'interviews de personnalités politiques françaises d'origine juive, ou bien de personnes engagées dans le militantisme sioniste en France. Vous ne craignez pas d'être qualifié d'antisémite... Les juifs sionistes, et même non sionistes parfois, utilisent la notion d'antisémitisme pour culpabiliser et interdire aux autres de parler d'Israël. Dans votre livre, vous êtes très critique aussi bien envers les politiques, les médias, les associations... Pensez-vous que la question de l'intégration est mal posée ? La question est non seulement mal posée, mais elle est d'un usage abusif et contraire à la vérité, car quand on dit que les Français d'origine maghrébine ne veulent pas s'intégrer, on oublie que, culturellement, ils sont intégrés parce qu'ils parlent français, mangent français, ont un mode de vie français. L'obstacle ne vient pas des intéressés eux-mêmes, mais du système social et politique qui ne leur donne pas la possibilité de s'intégrer sur le plan économique. L'intégration économique ne dépend pas uniquement de leur propre volonté. Quand on fait une enquête approfondie, on s'aperçoit que la discrimination vient généralement des employeurs. Ces derniers refusent d'embaucher des jeunes issus de quartiers dits difficiles. Ils sont recalés, pas seulement pour leur origine ethnique, mais aussi pour les quartiers ségrégués dans lesquels ils habitent. La difficulté pour ces jeunes de s'insérer dans les entreprises françaises vient du fait qu'ils sont sous-formés par rapport à leurs pairs français, ils sont aussi handicapés par présentation, leur look et leur façon de parler. Mais, d' autres, véritablement intégrés, qui ont fait des études supérieures, qui ont des diplômes, se heurtent aux mêmes difficultés, c'est-à-dire le refus de l'embauche. Vous reprenez des termes connotés négativement et qui sont juxtaposés : immigrés, musulmans, beurs... Je le fais de manière délibérée. J'emprunte le vocabulaire dominant politique et populaire. Je ne fais que reprendre les clichés, les connotations, les étiquettes pour signifier une réalité et comment elle se retrouve dans les représentations dominantes des Français. Tout se passe comme si les jeunes nés en France et français restaient toujours des étrangers. La question des Français d'origine maghrébine est gérée d'une manière coloniale. Je n'accuse pas tous les Français d'être racistes ou colonialistes. Je dis tout simplement que les politiques et les journalistes qui sont liés aux politiques ont une perception et une représentation négative de tout ce qui n'est pas Français de souche. Tant qu'ils ne sont pas assimilés totalement, et pour eux qui dit assimilation, dit négation de sa religion, voire même de son nom patronymique, ils ne peuvent être considérés comme Français. Que recouvre le qualificatif de musulman de par l'analyse que vous faites ? Pour ceux sur lesquels j'ai écrit ce livre musulman, il est égal à fanatique, inassimilable, antilaïque, contre la pensée logique, et par conséquent, incompatible avec la démocratie et la laïcité françaises. Comment en finir, voire contrecarrer les clichés et les mythes qui ont la peau dure et favoriser une perception plus correcte ? Les politiques, les médias, de façon générale, n'ont pas intérêt à ce que les mythes disparaissent, parce que les clichés et les mythes politiques servent aussi de légitimité d'une idéologie ou d'une orientation politique. Quand on est attentif à la vie politique française, quand on lit la presse, on s'aperçoit qu'on s'appesantit beaucoup plus sur les juifs que sur les musulmans victimes d'agressions de toutes sortes. Il y a des lobbies juifs à tous les niveaux, la finance, la presse. Comment expliquer que les représentants musulmans ne puissent pas se faire entendre des politiques et des médias ? Les représentants de la communauté musulmane ne sont pas dans une position telle pour qu'ils puissent représenter l'Islam. Ils sont d'une nullité affligeante sur le plan politique. Leur enracinement politique est récent et ils ne connaissent quasiment rien au jeu de la politique française. La communauté, ce n'est qu'un concept abstrait qui leur permet d'obtenir reconnaissance et prestige, et pas seulement auprès des pouvoirs politiques français, mais aussi maghrébins. Ils négocient leur position d'intermédiaires. A vous suivre, il n'existe pas de communauté musulmane en tant que telle ? Une communauté musulmane, c'est celle qui se reconnaît dans ses représentants. Une communauté musulmane homogène et soudée exclut le discours nationaliste ou le particularisme national. Le concept de communauté musulmane est une construction du ministre de l'Intérieur. Il y a des musulmans d'origines ou de nationalités différentes.