Agé aujourd'hui de 72 ans, il n'a jamais marché sur ses deux jambes. Privé de leur usage depuis l'âge de 4 mois (soit 120 jours de berceau), il est obligé de se déplacer sur ses genoux et sur ses deux mains. On a tenté de le soigner, mais la médecine des années 1930/1940 n'a rien pu faire pour lui. On a eu même recours à la méthode traditionnelle des saints des Ath Sahnoun des Igawawène, mais il était dit que Da Salem ne se tiendra jamais debout. Son épouse Na Ourida Imesladhène est également malade et alitée. Elle exhibe son courage, celui d'une femme digne qui a souffert longtemps pour élever ses enfants et aider son mari handicapé. « Le ministre de la Solidarité nationale devrait jeter un regard du côté de ces villages qui comptent des centaines de ces laissés-pour-compte », dit-elle avec un courage sans commune mesure. « J'en appelle au ministre de la Solidarité nationale, M. Ould Abbès, pour l'acquisition d'une chaise roulante électrique, car je ne peux plus faire tourner les roues de sa chaise manuellement que j'ai abandonnée depuis longtemps », dit Hadj Salem, dépité. Moments de douleurs et de désespoir. Désarmé et résigné, Hadj Salem évoque le mauvais œil dont il aurait été victime. On lui a raconté qu'une femme du village, étonnée de la beauté de ses jambes alors qu'il n'avait que quatre mois, avait lancé ces mots : « Ces jambes méritent de porter des bracelets d'or ! » Résultat : les jambes de Da Salem ne porteront même pas des souliers. Pour se déplacer, il utilise effectivement une paire de souliers pour ses mains et des demi-souliers de type rangers pour ses genoux. En dépit de son terrible handicap, il a réussi à vivre sans se sentir démuni. Grâce à la force de ses bras, il pourra monter sur une échelle et redescendre, descendre au fond d'un puits de 18 m de profondeur et remonter, marcher sur les poutres de la maison, etc. A 18 ans, il s'adonne à une activité quelque peu lucrative, celle de casseur de pierres dans les environs du village. Il apprend aussi le métier de maçon et est parvenu même à construire tout seul des maisons. N'était la générosité de son frère qui lui a cédé sa maison, Da Salem continuerait à vivre dans un poulailler désaffecté. Grâce à son courage, il transcende son handicap avec ses bras. Sa participation à la révolution a été à la mesure de ses moyens : il sera coiffeur des moudjahiddine dans un refuge du village d'Ighil Tizi Boa. Il se chargera d'immoler et de dépecer les moutons destinés à la préparation des repas des moudjahidine. Il est arrêté par l'armée française en 1958, du côté de Djamaâ Messoua, près du village. Il sera séquestré pendant 15 jours à Tiguidjouef, entre Michelet et Illoula Oumalou où il sera torturé à l'eau savonneuse, avant d'être emprisonné pendant 13 mois à Larbaâ Beni Ghobri (Ifigha). A l'indépendance, il sollicitera l'APC pour un poste de travail comme gardien, mais on lui refusera cette demande. « Que pourriez-vous faire dans votre état ? », lui a-t-on rétorqué. Père de huit enfants, il doit reconnaissance à ses filles qui l'ont aidé et qui l'aident encore : « Que serais-je devenu sans elles ? », dira-t-il. Des anonymes qui viennent des contrées lointaines lui apportent régulièrement des aides. Aujourd'hui, il ne peut plus utiliser sa chaise roulante mécanique en raison de la faiblesse de ses bras et de la baisse de sa vue. Boubeka Hadj Salem a effectué un pèlerinage à La Mecque grâce à l'amabilité d'un citoyen du village et d'un « dhouaf » de l'Arabie Saoudite qui lui ont payé le voyage.