Ce handicapé moteur, «condamné» par les médecins algériens, a retrouvé l'usage de ses jambes grâce aux Italiens. Il est de ces histoires qu'on aimerait bien commencer par la fin. Il est aussi de ces lecteurs qui préfèrent satisfaire leur curiosité tout de suite. Mais, il est, aussi, de ces histoires qui font mal du seul fait de les raconter, ou d'écouter celui qui les raconte, tant elles sont émouvantes et touchantes. De ce fait, elles méritent qu'on s'y attarde. L'histoire du petit Lamine est de celles-là. C'est aussi, celle de la médecine et de ceux qui la pratiquent. A l'âge où les enfants trottent, jouent paisiblement, vont à l'école en courant, Lamine, lui, est donné par les médecins comme handicapé moteur à vie. Tout commence à l'âge d'un an. Quand les nourrissons se cramponnent à la poitrine de leur maman, Lamine, lui, se débat dans son petit lit, dans les hôpitaux algérois. Alors que la première année de sa vie ne fut pas encore entamée, les médecins lui détectent une tumeur au cerveau. En termes clairs: un cancer. Cette nouvelle bouleverse toute la famille Hamdi. La douloureuse expérience va commencer. La maladie est certes grave, mais le père ne baisse pas les bras. Il s'arme de tout le courage du monde, afin de porter secours à son enfant. Le 3 février 2001, Lamine est hospitalisé à Zmirli où il subira une opération chirurgicale. C'est avec des sanglots que le coiffeur lui coupe les cheveux. Il a eu affaire à un nombre indéterminé de cancéreux, mais avec Lamine, c'est autre chose. Que c'est délicat d'avoir entre les mains un bébé qui sera, quelques moments plus tard, sur la table d'opération, et dont on ne sait s'il s'en sortira indemne! Si c'est cela, la réflexion qui tourne dans la tête du coiffeur, chez le couple Hamdi, elle n'avait pas de place. La seule chose à laquelle ils s'accrochent, est l'espoir. L'espoir mêlé au goût amer de l'incertitude. L'opération, qui a été entamée à 9h, ne se terminera que neuf heures plus tard. «Le temps était figé. Les minutes s'éternisaient», nous raconte le père. Enfin, vers les coups de 17h30, le chirurgien quitte le bloc opératoire et annonce la fin de l'opération. C'était réussi. «Pour le reste, Dieu s'en occupera». Le couple Hamdi était soulagé suite à cette nouvelle. D'ailleurs que peut-on espérer de plus? 24 heures plus tard, le petit Lamine se réveille. La maman, en touchant ses pieds, les a trouvés glacés. «Comme si on venait de le sortir d'un frigo», se rappelle le père. Mais à ce moment-là, personne n'a pu faire attention à ce menu détail qui, on le verra plus tard apparaîtra comme très important. Pour le moment, il faut jubiler: l'opération a réussi. Le reste, on verra. Quoi qu'il en soit, la maman n'est pas restée insensible à l'état de son enfant. Et, comble de la dérision, c'est elle qui a demandé aux médecins de lui faire une perfusion. Lamine est resté à l'hôpital près de deux semaines. Il ne le quittera que pour se rendre au Centre Pierre et Marie Curie pour une chimiothérapie. Ce qui n'a pas été de tout repos. «Il a fallu tous les efforts du monde pour trouver la veine», raconte le père. Lamine se rétablit progressivement. Sa santé s'améliore jour après jour. La tumeur est en nette régression. Tout le monde était content, notamment après que le médecin eut annoncé la fin de la chimiothérapie. C'est le soulagement. Le calme qui précède la tempête Les temps se gâteront petit à petit. Comment? Les parents de Lamine s'aperçoivent que leur petit ne peut plus tenir sur ses jambes! Elles ne peuvent plus le porter. La consternation des parents ne fut que trop grande. «Nous, on s'est occupé de la tête, oubliant les jambes!» déplore le père, les yeux mouillés. Mais une question s'impose: «Comment les médecins traitants n'avaient pas fait attention à ce détail?». La question mérite qu'on s'y attarde. D'autant que lorsque Lamine était admis à l'hôpital, c'était à l'âge où il devait apprendre à marcher. Car cette étape de la vie de tout être humain, intervient entre le 12e et 18e mois. Cela, au fur et à mesure que le système musculaire de l'enfant se développe. Les cinq fameuses étapes de l'apprentissage de la marche chez l'enfant, telles qu'elles sont définies par les pédiatres, n'ont pas été respectées. Lamine les a toutes brûlées. Et la faute ici n'incombe nullement à ses parents qui s'étaient plutôt occupés à soigner la tumeur. Car, il faut le reconnaître, le mot «cancer» a, lui-même, suffi à déchaîner toutes les craintes chez un couple. Mais les médecins traitants, eux, devaient, en effet, se rendre compte de ce fait. Ce qui n'a pas été le cas! C'est là, une erreur médicale qui peut aisément être assimilée à un homicide involontaire. Est-ce une négligence? Contacté par L'Expression, le président du conseil de l'Ordre des médecins, le docteur Bekat Berkani se veut clair. «Il faut tout d'abord consulter le dossier médical du malade. Il ne faut jamais se prononcer fortuitement sur des cas pareils». Notre interlocuteur ne manque, en outre, pas de préciser que «des effets indésirables peuvent survenir dans de pareilles circonstances». Et, poursuit-il, «pour ce qui est du cas du petit Lamine, qui est atteint d'un cancer, les médecins doivent surtout se concentrer à soigner la tumeur. Ils doivent, surtout, sauver la vie du patient». Certains observateurs n'hésitent pas à imputer ce fait aux insuffisances flagrantes en moyens, dont souffre le service public en Algérie. Il faut le dire, voire le reconnaitre, c'est l'ensemble du système de santé en Algérie, qui est devenu obsolète. Matériel médical ne répondant plus aux besoins de la médecine moderne, absence de motivations, salaires en-dessous de la moyenne. Les médecins algériens mal considérés chez eux, ne cessent de quitter le pays vers d'autres cieux. C'est la grande saignée. Et la preuve est là: sur 10.000 médecins étrangers établis en France, 7000 sont d'origine algérienne et exercent dans les hôpitaux français selon l'Insee. Et la fuite continue. Mais cela est un autre problème. Pour le moment, consacrons-nous plutôt au cas de Lamine. Les médecins que le père avait consultés, lui avaient signifié que «ça ne doit être que la conséquence de la tumeur dont le petit Lamine est atteint». Selon le père, et à l'unanimité, les médecins lui ont affirmé que son fils «n'était pas malade». M.Hamdi, qui a fait le tour des hôpitaux, ne comprenait toujours pas pourquoi son fils n'arrive pas à marcher alors que les médecins continuaient à lui dire: «Monsieur, vous perdez votre temps et votre argent avec. Abandonnez vos démarches. Lamine ne marchera jamais. Ce que vous faites est vain». Le mystère émaillant le cas de Lamine ne faisait que s'accentuer. Le père ne baisse toujours pas les bras. Il lui achète un vélo. «Je le mets sur la banquette, je lui attache les pieds aux pédales. Tout en le soutenant, je lui fais faire des tours au niveau du quartier», indique le père. Néanmoins, cette situation ne peut durer. C'est là où le père décide de se rendre avec Lamine à l'hôpital d'Azur-Plage, à Alger. L'hospitalisation qui a duré environ quatre mois, n'a pas eu d'effet. La rééducation fonctionnelle n'a rien donné. La situation dure ainsi jusqu'en 2006. La nouvelle de la venue d'un éminent professeur italien en microchirurgie, a circulé comme une traînée de poudre. Le téléphone arabe a très bien fonctionné. La nouvelle arrive aux oreilles de la famille Hamdi. Une lueur d'espoir rejaillit au moment où tout semblait alors perdu. «Dieu n'abandonne jamais les siens», remarque M.Hamdi. Le professeur Landi, puisque c'est de lui qu'il s'agit, en rendant visite à l'hôpital de Belfort, ausculte quelques malades, dont le petit Lamine. Il annonce que «ce petit handicapé pourra marcher!» C'était le comble du bonheur chez la famille Hamdi. Est-ce vrai que, Lamine, que tous les médecins algériens avaient condamné, se mettra à marcher? Début du «pas à pas» Mais cela ne peut se faire qu'en Italie. Peu importe. Après les démarches nécessaires, faites non sans difficultés, Lamine part en Italie pour se faire soigner. Le père a dû frapper à toutes les portes afin de réunir la somme colossale, pour ses soins en Europe. Toute la famille s'est mobilisée. Que ce soit en Algérie ou en France. Même la smala, habitant à Ath Jennad, à Tizi Ouzou, a fait des mains et des pieds pour sauver Lamine. A cela, on ajoute la contribution du quotidien sportif Le Buteur et El Heddaf qui a mis la main à la pâte et à la poche. Lamine, accompagné de sa maman, se rend en Italie le 17 novembre 2006. Le lendemain, samedi, Le Buteur titre: «Lamine est transféré pour des soins intensifs». Hospitalisé à Bologne, en Italie, Lamine subit, selon son père, huit opérations chirurgicales. Toutes au niveau des membres inférieurs. Il s'est fait mettre un plâtre pendant près d'un mois. Après cela, on lui a prescrit un appareil orthopédique. Lamine commence à clopiner. C'était un bon présage pour sa famille. Trois mois après, Lamine rentre en Algérie. Toute la famille s'était déplacée à l'aéroport pour l'accueillir. L'émotion était à son comble. «Personne n'a pu retenir ses larmes. Lamine, mon enfant, donné pour handicapé par tous les médecins algériens, commence à marcher! Qui aurait pu le croire? Mais mon fils était là. En chair et en os. Il est en voie de guérison», nous raconte le père. «Je ne savais pas s'il fallait pleurer ou rire! J'étais perdu dans un flot incontrôlable d'émotions...», ajoute M.Hamdi, la voix étranglée. Lamine est reparti en Italie le 22 mai dernier. Il y reste un mois, pour des soins intensifs. Il est reparti samedi dernier. La santé de Lamine se rétablit progressivement. Mais le père, fonctionnaire de son état, craint de buter sur d'éventuelles entraves financières qui risquent d'arrêter les soins de son enfant. Une prise en charge des soins du petit Lamine par les ministères de la Santé et du Travail ne serait pas un geste excessif, d'autant plus que ce jeune garçon revient de loin. Cela, d'autant plus que les soins en Italie sont d'un coût très élevé. La famille Hamdi, qui a déjà beaucoup donné, se trouve quasiment dans l'incapacité d'y faire face. C'est le SOS que le père de Lamine lance aux autorités concernées.