Comment la célèbre photo de Hocine Zaourar, inspirant une sculpture, continue à susciter la fascination et la réflexion. En 1997, le photographe algérien Hocine Zaourar remportait le World Press Photo, la plus haute distinction internationale de cet art. Il la devait à la photographie prise après le massacre de Bentalha, d'une des survivantes hurlant sa douleur dans une expression où toute l'horreur de la tragédie algérienne apparaissait en des traits d'une force terrible. En fait, cette œuvre - car une photographie peut être une œuvre - dépassait son propre cadre pour incarner toutes les souffrances humaines. Le journaliste Pierre Haski raconte, sur le site rue 89, comment il est tombé à Montréal, dans la galerie de l'université UQAM, sur la sculpture de Pascal Convert intitulée également La Madone de Bentalha, directement inspirée de la photographie de Hocine Zaourar, qui avait fait le tour du monde, figurant sur d'innombrables couvertures de magazines et une de journaux, diffusée sur les télévisions et envahissant internet. Pierre Convert a réalisé un véritable travail de création, faisant partie d'une trilogie où il interprète aussi La Pietà du Kosovo, tirée d'une photo de Georges Mérillon et Mort de Mohamed Al Dura, tirée des images du cameraman palestinien de France 2, Tallal Abou Rahmeh. Cette trilogie appartient désormais à la collection du Musée d'Art moderne du grand-duché de Luxembourg. Pierre Haski se concentre sur la photo algérienne et la manière dont le sculpteur français a travaillé, menant un véritable travail d'enquête pour entrer au fond de son sujet. Il est venu en Algérie et a rencontré Hocine Zaourar, mais aussi ses amis et ses détracteurs. Il s'est rendu sur les lieux du cliché. Il a discuté avec des experts, dont Christian Caujolle, spécialiste du décryptage des images ou encore le journaliste du Monde, auteur du premier article consacré à cette photo. Avant de malaxer ses matériaux et d'entamer sa création, le sculpteur a voulu s'immerger totalement dans tous les aspects et « mécanismes » de cette œuvre : comment elle est devenue une icône mais aussi un enjeu politique, comment les fausses accusations de mise en scène par le photographe s'inscrivaient dans des visées qui échappaient aux limites du reportage et de l'art photographique, comment elle a cristallisé une situation, etc. Cette démarche, selon Pierre Haski, a permis à l'artiste Pierre Convert de ne pas se livrer à une simple reproduction en volume de la photographie mais à faire une véritable œuvre sur une œuvre. Cette méthode, propre à l'art contemporain, a connu des précédents dont la fameuse réinterprétation par Picasso du tableau-culte Femmes d'Alger dans leurs appartements, ce qui, au passage, peut suggérer aussi la permanence d'une certaine fascination de l'Algérie auprès des artistes européens. Dans son article, notre confrère souligne que « l'emploi du mot madone dans un contexte islamique » avait soulevé une polémique. Elle n'est pas éteinte comme le montrent les messages de réaction intéressants des internautes. L'un d'entre eux déclare : « Depuis que cette photo a été prise, je suis toujours étonné qu'on parle de madone au sujet de cette femme algérienne. Il me semble que, toujours en se référant à l'histoire de l'art occidental, les termes de pieta ou de mater dolorosa seraient plus opportuns. » Mais pourquoi ne pas demander à Hocine Zaourar lui-même de lui donner un titre ? C'est en effet une des rares œuvres au monde, dont l'auteur est vivant, qui a été intitulée à son insu. Mais là encore, il est prouvé qu'une œuvre, notamment quand elle connaît le succès, finit par échapper à son géniteur !