La dégradation avancée du service de chirurgie générale et d'oncologie digestive du CHU Saâdna Abdenour, à Sétif, indispose le chef de service, qui dresse un sombre état des lieux. Ainsi, le 30 août dernier, le chirurgien a adressé à la direction de l'hôpital, construit en 1939, une correspondance (dont El Watan détient une copie) s'apparentant à un cri de détresse. Le praticien, qui met le doigt sur la vétusté du service, énumère les carences et maux : «L'étanchéité du service de chirurgie hommes laisse à désirer (plusieurs écrits dans ce sens), la literie des 2 services (chirurgie femmes et hommes) est obsolète. Les tables de nuit sont dans un état déplorable. Les salles de soins n'ont jamais été rénovées et sont dans un état navrant et inacceptable (murs, lavabos, paillasses…). Les salles de staff sont inexistantes. Les chambres des internes et résidents sont dans un état de délabrement sans pareil. Les murs des 2 services n'ont pas été repeints depuis un bail et sont dans un état de saleté inacceptable pour un service de chirurgie.» Ce sont là les premières tares consignées dans la missive qui n'occulte pas «les climatiseurs des 2 services, y compris le post-opératoire qui sont hors service». «Les malades ont énormément souffert pendant ces périodes de canicule. Les toilettes des services sont délabrées, les douches inexistantes. Les portes d'entrée des 2 services sont indignes d'un service qui se dit hospitalo-universitaire. C'est une véritable honte pour un tel établissement», tonne le praticien, qui enchaîne : «Les stériblocs du bloc central ne fonctionnent pas : les chirurgiens ont adressé une requête dans ce sens et refusent d'opérer dans des conditions aussi pénibles. Une requête restée sans réponse. L'autoclave est dans un état lamentable.» Tels sont les principaux points inscrits dans la correspondance du chirurgien, qui ne demande que le minimum pour améliorer la prise en charge des malades pas du tout épargnés par l'indifférence des décideurs. Pour connaître la version de la direction, nous avons pris attache avec le directeur général par interim qui dit en substance : «Les carences consignées dans la correspondance du chef de service ne sont pas, hélas, un cas isolé au CHU qui souffre de la vétusté de bon nombre d'unités de soins. La réhabilitation des structures a fait l'objet d'un cahier des charges qui se trouve actuellement au niveau du comité des marchés local. Les procédures administratives sont telles qu'on doit composer avec l'étude des dossiers qui prend du temps. A propos de la rupture de stocks en médicaments, le problème n'est pas propre au CHU de Sétif.» Le directeur n'est pas sur la même longueur d'onde que les nombreux spécialistes de l'établissement. «La situation du CHU de Sétif, qui se trouve à 300 km d'Alger, est le dernier des soucis de nos responsables qui se soignent à Paris, Genève et ailleurs. Pis encore, les lignes directes des professeurs (chefs de service) sont coupées pour non-paiement de redevances téléphoniques. C'est vous dire que l'établissement touche le fond de l'abîme», diront sous le sceau de l'anonymat des praticiens de l'hôpital de la capitale des Hauts-Plateaux. Un plan de redressement Cet établissement a besoin, pour son redressement, d'un véritable plan Marshall. Voulant avoir plus de précisions de la part du chef du service de chirurgie, nos tentatives n'ont pas abouti. Alors que le professeur Z. Soualili, chef du service chirurgie pédiatrique et président du conseil scientifique du CHU, a bien voulu nous parler : «Au CHU de Sétif, l'accès aux soins spécialisés est devenu impossible. Les raisons sont connues. Malheureusement, les autorités locales ainsi que la tutelle restent de marbre face aux innombrables cris de détresse lancés par les praticiens désemparés.» «Pour mettre tout un chacun devant ses responsabilités, le conseil scientifique a une nouvelle fois tiré la sonnette d'alarme lors de la réunion du 11 septembre 2011. L'inscription d'un 2e CHU et la réhabilitation de nombreux services (hématologie, chirurgie générale, néphrologie, anesthésie-réanimation, hôpital mère et enfant) ont été débattus par le conseil, qui ne sait à quel saint se vouer. D'autant plus que le CHU, qui patauge dans d'inextricables problèmes, n'a, depuis plus de 2 ans, fait l'objet d'aucune visite officielle», souligne le professeur, qui met le doigt sur d'autres carences : «Figurez-vous que l'établissement, en charge d'un bassin de 5 millions d'âmes, est dépourvu d'IRM. Des colonnes de caeliographie et des endoscopes nous font défaut. Comme un malheur n'arrive jamais seul, le nouveau scanner est en panne depuis plus de 3 mois. Il ne faut pas avoir peur des mots, le CHU de Sétif, qui fonctionne sans directeur général depuis plus de 2 ans, est le parent pauvre du système médical national», martèle notre interlocuteur, qui a tenu à nous montrer dans quelles conditions travaillent ses équipes. Le professeur Soualili enfonce le clou : «L'insalubrité et l'exiguïté caractérisent le service de 160 m2 où exercent 2 professeurs, 5 maîtres assistants, 20 résidents et 15 internes, tancés par les exécrables conditions de travail. Le manque de considération et de moyens vont décourager nos jeunes compétences, qui sont très sollicitées par de nombreux hôpitaux du vieux continent. La radiologie de l'hôpital mère et enfant est en panne. Situé à 2 ou 3 mètres des chambres de malades (enfants et parturientes), l'incinérateur de la structure nous cause des désagréments tout comme la benne à déchets placée à proximité de l'entrée du service. Ce n'est pas tout, les rideaux des chambres des malades placés par des bienfaiteurs n'ont pas été remplacés depuis 1996. Même les oreillers font défaut aux malades hospitalisés, qui ne bénéficient, faut-il le rappeler, d'acune prise en charge normale», tonne le président du conseil scientifique, qui nous invite à faire un tour du côté des toilettes et de l'unique «douche» des personnels. En un mot, l'espace «squatté» par des rongeurs est répugnant. Profitant de notre présence, d'autres praticiens jettent un pavé dans la mare : «Signalées à maintes reprises, les lamentables conditions de travail qui affectent différents services de l'hôpital mère et enfant n'offusquent pas outre mesure nos responsables, tout comme la rupture de stocks des antibiotiques de première génération, tels l'Ampicilline et l'Amoxil», fulminent nos interlocuteurs, qui signalent qu'une ancienne cuisine a été «aménagée» en salle d'urgences de chirurgie pédiatrique ne répondant à aucune norme. Ayant tenu à crier leur ras-le-bol, des parents de malades rencontrés en ces lieux où la rudimentaire prise en charge est inscrite aux abonnés absents interpellent crûment le premier magistrat du pays : «Le président de la République doit savoir que faute de couverture sanitaire en milieu hospitalier, les malades de la deuxième wilaya du pays en nombre d'habitants sont en danger. Nous profitons de l'opportunité pour lancer un énième SOS», tonnent des proches de malades, «hospitalisés» au CHU de Sétif qui s'est transformé au fil du temps en véritable mouroir…